VAUBAILLON Louis, Charles, Adolphe (dit P’tit Louis)

Par Michel Pigenet

Né le 12 septembre 1909 à Rouen (Seine-Inférieure), ouvrier du textile, docker, communiste, conseiller municipal de Rouen en 1947, membre du bureau en 1950, puis du comité (jusqu’en 1957) de la fédération départementale du PCF en 1950, syndicaliste unitaire, puis cégétiste, membre de la commission exécutive (1946-1968), du bureau (1957-1968), du secrétariat (1962-1968), du comité national (1968-1970), secrétaire général-adjoint (1964-1966) de la Fédération CGT des Ports et Docks.

Louis Vaubaillon naquit le 12 septembre 1909 à Rouen (Seine-Inférieure). Orphelin de père, livré à lui-même, l’enfant dut, très tôt, se prendre en charge. Cela n’alla pas sans mal. Plusieurs condamnations pour vagabondage ou infraction à la police des chemins de fer, suivies de séjours forcés au Patronage du Nord, ponctuèrent une jeunesse difficile également marquée par l’expérience précoce de la condition ouvrière et du combat syndical. Il travailla dans le textile, où il se syndiqua à la CGTU, et, dès 1925, sur les quais comme muletier, puis docker. Actif pendant la grève victorieuse de 1928, il devint contrôleur syndical à 19 ans. De santé fragile, sa réforme lui épargna le service militaire. Il adhéra au Parti communiste en août 1932. Il résidait alors à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Inférieure). Bientôt trésorier de la cellule du port, souvent mis à l’index lors des embauches, il milita contre Victor Engler qui, à Rouen et à Paris, maintenait la majorité des dockers unitaires dans l’opposition à la direction confédérale. A cette fin, Louis Vaubaillon contribua à l’organisation des chômeurs que ses camarades reprochaient à Engler de négliger. En perte de vitesse, ce dernier rallia les confédérés en 1934, abandonnant le syndicat unitaire aux communistes qui animaient le comité d’action du port. Cette étape franchie, Vaubaillon, nommé secrétaire général de la subdivision Manche-mer du Nord de la CGTU, se dépensa sans compter, en compagnie de Maurice Jeanne et Jules Duhamel, pour stimuler le réveil de la combativité ouvrière. Acteur de la réunification, tardive à Rouen où les amis d’Engler reculèrent le plus longtemps possible le moment de se retrouver dans la même organisation que les militants qui les avaient évincés des quais, Vaubaillon siégea au bureau du syndicat réunifié. Délégué, il fut l’un des signataires de l’accord paritaire de 1936 et de la convention collective du port, en 1937. Malgré de rudes conflits internes, il conserva ses responsabilités locales jusqu’à la dissolution du syndicat prononcée en 1939. Après l’exclusion de Jeanne et la saisie du matériel syndical par la police, il accompagna Duhamel à Paris afin de demander l’aide de la Fédération. Résolus à écarter les communistes, les dirigeants de celle-ci - Le Gall, Lorriot et Piquemal - ne voulurent rien savoir et les chassèrent après avoir confirmé leur appui au nouveau syndicat créé par Carrier. Douloureux, l’épisode se grava pour toujours dans la mémoire de Vaubaillon. Mobilisé, ce dernier échappa de peu à l’arrestation.

Résistant pendant l’Occupation, il réapparut à la Libération et participa, le 22 octobre 1944, à l’assemblée générale du syndicat reconstitué. Quelques semaines plus tard, il se rendit avec Jeanne dans la capitale où, selon ses dires, Le Gall continuait de soutenir Carrier et son organisation. A l’échelon national, les comptes se réglèrent en 1946, à l’occasion du congrès qui vit les anciens unitaires prendre le contrôle de la Fédération des Ports et Docks. Pour Vaubaillon, l’éviction de Le Gall et la désignation de Jeanne au secrétariat fédéral avait un goût de revanche d’autant mieux appréciée qu’elle renversait, au passage, l’ancienne suprématie havraise au profit de Rouen… A la suite du départ de Jeanne à Paris, Vaubaillon, lui-même élu à la commission exécutive fédérale, accéda au secrétariat général du syndicat normand. Il devait y rester jusqu’en 1963. Sous les traits de Vauban, Henri Grellet, employeur rouennais porté à la présidence de l’organisation patronale nationale – UNIM – a laissé le portrait compréhensif, teinté d’admiration, de celui qui fut, des années durant, son interlocuteur quais-quotidien. Doté d’un « tempérament de chef », le syndicaliste, prisonnier, aux dires de ce témoin, d’une « vision manichéenne du monde capitaliste », n’hésitait pas, au besoin, à « se ranger par loyauté aux avis des employeurs et du directeur du port ». « Je ne l’ai jamais vu rire, probablement parce que le rire est acquiescement, voire concession et peut-être complicité. Il lui fallait rester dur », ajoutait-il. Ce trait de caractère ne s’effaçait pas au contact de ses camarades, unanimes à parler d’une « poigne de fer ». L’intéressé en convenait, mais précisait que ses fonctions, y compris celle d’administrateur de la Caisse primaire de Sécurité sociale, l’amenaient aussi à sortir souvent du strict cadre syndical pour régler des problèmes de famille et de ménage. « Je faisais un peu le juge de paix », résumait-il.

Militant en vue du PCF à la Libération, Louis Vaubaillon fut conseiller municipal en 1947. Il appartenait au bureau de sa fédération départementale en 1950 et siégea à son comité fédéral jusqu’en 1956. A cette date, les questions syndicales retenaient l’essentiel de son attention. Sans doute la dégradation de l’état de ses poumons, à l’origine d’un brusque départ en sanatorium au cours de l’hiver 1950, n’était-elle pas étrangère à ce repli. Explication partielle, cependant, en ce qu’elle ne disait rien des satisfactions plus souvent éprouvées sur le terrain corporatif que du côté d’un Parti auquel il demeura néanmoins fidèle. Au fil des ans, la stricte orthodoxie de ses contributions aux débats qui traversaient la Fédération des Ports et Docks s’atténua. Il n’en était certes pas là quand, gardien vigilant d’une orientation inspirée de l’extérieur, il regretta le « pessimisme » du rapport moral présenté au congrès de 1950. Prêt à admettre que, dans la lutte pour la paix, il importait de ne pas « laisser mettre nos camarades dockers à la porte du port » ou à rendre simultanément hommage aux Havrais qui « ont su trouver des formules adéquates » et aux Marseillais pour leur « expérience de la lutte », il conclut sur une proposition en forme de mise sous tutelle des secrétaires fédéraux. Protestant de sa « confiance absolue » en eux, il n’insista pas moins sur la nécessité de leur adjoindre deux responsables en mesure de les « aider ». Malgré l’appel à les choisir parmi les militants de Marseille et du Havre qui « n’ont pas des opinions semblables en ce qui concerne l’action à mener », la suggestion fut perçue comme une manœuvre politique et rejetée par la majorité. Instruit par l’échec, Vaubaillon se le tint pour dit. Représentative d’une ligne plus « syndicale », son intervention au congrès de 1955 témoigna du désir de comprendre l’évolution de la manutention et d’argumenter face aux patrons et à l’administration. Article de revue à l’appui, il traita notamment des causes de la cherté reprochée aux ports français. S’il évoqua la composition de la direction nationale, ce fut, cette fois au nom des problèmes financiers de la Fédération. Il déclara ainsi que son syndicat pourrait de prendre en charge le salaire de Jeanne, réélu au secrétariat. « Moi et Jeanne, souligna-t-il, nous ne connaissons pas d’aujourd’hui, nous avons travaillé ensemble comme camarades de cale il y a une tranche d’années. Nous avons monté le syndicat des dockers ensemble, il y a 25 ans... ». La solution adoptée à Paris fut cependant difficile à mettre en œuvre à Rouen où les relations s’envenimèrent entre Jeanne et Vaubaillon. Sûr de ses qualités, ce dernier n’était pas disposé à céder la moindre parcelle de son pouvoir local. Il ambitionnait aussi de jouer un rôle sur la scène fédérale. L’objectif n’était pas de nature à déplaire au Parti qui le libéra de ses tâches normandes. Au vu du rapport moral de 1957, de nouveau jugé « un peu pessimiste », il recommanda une direction plus collégiale et la prise en compte de l’avis de « tous les membres de la commission exécutive ». A l’issue des assises, il entra au bureau fédéral, mais veilla à ne pas se couper de Rouen où il résidait, quai Cavalier-de-la-Salle. Moins virulent dans ses reproches que les Marseillais, il continua néanmoins, au congrès de 1960, à marquer une certaine distance vis-à-vis du secrétariat, en premier lieu de Brest, bête noire de l’aile la plus intransigeante de ses camarades de Parti. Défenseur rigoureux des intérêts des dockers, le syndicaliste ne craignit pas de choquer les mineurs en exprimant son souhait d’une augmentation des importations de charbon. Il revendiqua par ailleurs une politique de modernisation des ports comparable à celle menée dans le reste du Marché commun, mais dénonça les tentatives d’instauration de concessions privées dispensées d’employer des dockers professionnels ou autorisées à recruter des dockers permanents. Il manifesta la même intransigeance au sujet des cotisations sociales de la profession. Contre les syndiqués tentés, compte tenu de la modicité des prestations journalières et des pensions de retraite, de les porter au niveau du plafond, il ne cessa de considérer que les dockers intermittents ne travaillaient pas tous les jours et qu’une telle solution leur coûterait plus qu’elle ne leur rapporterait.

Personnage-clé du syndicalisme portuaire, Louis Vaubaillon accéda, en 1962, au sommet de l’exécutif fédéral avec le titre de secrétaire non-permanent. Désormais impliqué au plus haut niveau dans l’élaboration des orientations et le fonctionnement de la Fédération, le militant rouennais se montra dorénavant moins bienveillant envers les critiques formulées adressées à la direction nationale. En 1964, il reprocha ainsi à Honoré Charrière son « manque de fraternité ». Il rappela qu’à l’occasion d’une réunion de la commission exécutive tenu au lendemain des précédentes assises, Manunta, « qui n’a d’ailleurs jamais rempli son mandat », l’avait cloué « au pilori » avant de concocter avec les Dunkerquois un projet d’élimination des dirigeants fédéraux. Il reprocha, en outre, aux Phocéens d’avoir récemment court-circuité la Fédération au cours de négociations avec l’UNIM. Nommément mis en cause par le délégué des grutiers de Rouen – Vigor – qui l’accusait d’ériger, par journaliste interposé, le port normand en modèle de relations capital-travail, Vaubaillon démentit avec vivacité et certifia que son calomniateur aurait à répondre de ses propos devant les travailleurs concernés. Une nouvelle alerte médicale l’obligea toutefois à ralentir ses activités. A la suite d’une opération, il partit en invalidité à la fin de l’année 1965 et demanda à ses camarades de ne pas le reconduire à la direction du syndicat de Rouen. Convalescent, il s’installa à Sigoules (Dordogne), mais conserva ses fonctions nationales. En 1968, année d’importants remaniements à la tête de la Fédération, il quitta son noyau central pour passer au comité national, ultime palier avant l’abandon, deux ans plus tard, de toute responsabilité.

Au soir de sa vie, le syndicaliste n’avait rien perdu de sa vigueur, mais songeait dorénavant à transmettre son expérience. Auteur de brochures récapitulatives de son action passée, il y multipliait les conseils. « L’homme qui dans le mouvement syndical ne peut plus avoir un rôle actif, n’est plus indispensable », écrivait-il avec sa rigueur habituelle. « Lis, étudie. Ne saute pas du coq à l’âne, mais réalise », recommandait-il aux jeunes militants. Honoré, dès 1963, par la médaille fédérale réservée « aux vaillants de la vieille garde » pour son rôle dans la période 1940-1947, Louis Vaubaillon était détenteur, par ailleurs, de la Croix du Combattant volontaire de la Résistance ainsi que de la médaille du Combattant et de celle commémorant la guerre 1939-1945.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article144716, notice VAUBAILLON Louis, Charles, Adolphe (dit P'tit Louis) par Michel Pigenet, version mise en ligne le 5 février 2013, dernière modification le 5 février 2013.

Par Michel Pigenet

ŒUVRES : Un œil ouvert sur le passé, deux sur l’avenir, Syndicat général des Ouvriers du Port de Rouen, Rouen, 1964 ; Les dockers de Rouen, Rouen, 1972.

SOURCES : Centre des archives contemporaines : 920 251, art. 14. — Archives de la Préfecture de police : dossier 63591. — Archives de Moscou (RGASPI), 495 270 473, autobiographie du 5 juin 1933, classé B pus A1, "biographie insuffisante". — L’Avenir normand, 3 février 1950. L’Avenir des Ports de novembre, décembre 1965. — Congrès de fusion des syndicats Autonomes, Confédérés et Unitaires, Le Havre, les 13-15 décembre 1935, Imprimerie de l’Union, Le Havre. Congrès de la Fédération nationale des Ports et Docks, les 27-29 janvier 1938 (Nantes) ; 19-22 mars 1946 (Paris) ; 6-4 avril 1948 (Marseille) ; 22-24 juin 1950 (Paris) ; 17-18 mai 1955 (Paris) ; 24-25 octobre 1957 (Paris) ; 18-19 mai 1960 (Paris) ; 13-14 juin 1962 (Paris) ; 17-18 juin 1964 (Paris) ; 20-21 juin 1968 (Paris) ; 18-19 juin 1970 (Paris). S. Coutant, Le docker du port de Rouen : la pratique du métier du statut de 1947 au début des années 1960, maîtrise (dir. M. Pigenet), Rouen, 1996. D. Brest, Mémoires (inédits), 1972. H. Grellet, Entre dockers et technocrates. La vie profonde de ports marchands, SOS Manuscrits édition, 1981. E. Guillaud, Dockers et syndicalisme à Rouen, 1947-1962, maîtrise (dir. M. Pigenet), Rouen, 1994. M. Pigenet, « La liqueur et le fiel ou le difficile cheminement des dockers vers l’unité syndicale » in La CGT : Le Front populaire, Institut CGT d’Histoire sociale, 1996. P. Veyron, Les dockers du port de Rouen, 1919-1947, maîtrise, Rouen, 1972. — Entretien avec Lucien Nolent, le 8 juin 2000.

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