VANDENDORPE Désiré. [Belgique]

Par Jean-Paul Mahoux

Saint-Josse-ten-Noode (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 7 décembre 1856 − Bruxelles, 8 février 1910. Typographe, cabaretier, journaliste, dirigeant syndical et mutualiste, fondateur du Parti ouvrier belge et du journal Le Peuple, conseiller communal et échevin de Bruxelles, frère de François Vandendorpe.

Désiré Vandendorpe suit l’école primaire jusqu’à l’âge de onze ans. Il devient apprenti typographe, puis typographe. En 1887 et 1897, il est qualifié de cabaretier à la Vieille Halle aux blés. Est-il resté typographe, d’autant qu’il est chargé de responsabilités politiques et éditoriales depuis 1885 ? Il reste néanmoins attaché au milieu typographique jusqu’en 1909, date à laquelle le syndicat le rappelle dans des circonstances difficiles.

Désiré Vandendorpe adhère à l’Association libre des compositeurs et imprimeurs typographes en 1877, c’est alors le principal syndicat de l’agglomération qui a pu conclure des accords avec les employeurs et concerne la presque totalité des ouvriers qualifiés du secteur après avoir défendu avec succès le « closed shop ». Il devient trésorier en 1886-1887, président de 1889 à 1891. À ce titre, il organise une importante grève dans le secteur en 1890 à Bruxelles et dans le pays. Il est un des actifs rédacteurs de l’organe régional bruxellois, Le Typographe, et du journal national, La Fédération typographique. En 1909, le Syndicat du livre unifié, qui éprouve des difficultés de leadership, fait appel à lui pour assurer la transition.

L’activité syndicale de Désiré Vandendorpe l’entraîne vers l’engagement mutualiste et coopératif. Comme représentant des typographes, il participe à la création des Pharmacies populaires par la Fédération des mutualités de Bruxelles en 1881 : il fait partie du premier conseil d’administration. Il assume également le secrétariat de la fédération mutualiste, à l’origine de la Fédération des mutualités libres (lorsque apparaîtront les mutualités socialistes), puis sa présidence.

Désiré Vandendorpe nourrit également des ambitions plus larges. De 1881 à 1885, il est secrétaire de l’Association générale ouvrière (AGO), qui réunit diverses associations de métiers qualifiés. À l’issue d’une réunion de l’ensemble des organisations ouvrières de la ville convoquée par le bourgmestre libéral, Charles Buls, il est choisi comme délégué ouvrier, avec Louis Bertrand et Jean-Baptiste Wets, pour siéger au bureau de la Commission du travail qui se réunit à Bruxelles en septembre 1886. Il est révélateur que ce soient trois fondateurs du POB qui soient ainsi choisis dans un cadre, a priori, uniquement social.

Désiré Vandendorpe fait partie de ces milieux d’ouvriers qualifiés, engagés au plus haut niveau dans les trois branches du mouvement associatif pour ce qui le concerne, réticents à s’engager dans la sphère politique, qui dès 1880 sans doute − suite à la manifestation nationale du 15 août 1880 en faveur du suffrage universel (SU) −, se persuadent que le mouvement associatif seul, si bien organisé soit il, ne suffira pas à modifier la situation de la classe ouvrière. En 1882, avec Antoine Delporte et Edouard Maheu, il crée la ligue typographique En Avant en faveur du SU. Elle réunit les typographes favorables à l’engagement politique sans pour autant faire courir le risque d’affaiblir ou de diviser le syndicat qui restera un des derniers syndicats indépendants (en 1891, 98% des typographes sont affiliés). Il participe à la création de la Ligue ouvrière de Bruxelles, en 1884. Avec César De Paepe* et Charles Delfosse, il est candidat de la Fédération des ligues ouvrières de Bruxelles aux élections provinciales, sans succès

Élément modéré, Désiré Vandendorpe ne signe pas le Manifeste républicain, participe à la fondation du Parti ouvrier belge (POB) avec l’AGO. Élu au Conseil général du nouveau parti, il en devient le trésorier. Il participe à la création du journal Le Peuple, le 13 décembre 1885, et fait partie du premier comité de rédaction du nouvel organe. Il y est également typographe, du moins « compose »-t-il certains de ses articles. Il siège au conseil d’administration de la Coopérative de la presse socialiste, créée pour gérer l’ensemble de la presse en 1886.

La vie de Désiré Vandendorpe se confond désormais, avec celle de son parti. Il va être servi. Il est un actif meetinguiste en province (trois meetings en juin 1886 par exemple) et à Bruxelles. En 1887, lors de l’exclusion d’Alfred Defuisseaux* et la disparition de son journal En avant pour le Suffrage Universel, il est chargé par le Conseil général du parti de créer un nouvel hebdomadaire, L’Avant-garde, qui tente subrepticement de le remplacer, sans succès. Mais cette initiative mène avec vigueur la lutte contre le leader hainuyer et son parti, le Parti socialiste républicain (PSR), de 1887 à 1888. Defuisseaux le lui rend bien : il le dénonce comme ces ouvriers, « ces pseudo ouvriers », de la grande ville qui ne comprennent rien aux mineurs et qui pactisent avec la bourgeoisie.

Désiré Vandendorpe est élu conseiller communal sur une liste libérale progressiste en décembre 1887, à la suite d’une élection partielle suscitée par la démission de conseillers opposés à la politique d’emprunt de la ville. Le débat à cette occasion est national. Faut-il laisser accéder au conseil de la capitale un socialiste, républicain − il n’a pourtant pas signé en 1884, le Manifeste républicain, pas plus qu’aucun dirigeant de l’AGO à l’époque −. Les principales forces politiques refusent de participer à cette élection à l’indignation du ministériel Journal de Bruxelles qui brandit « la menace du drapeau rouge, qui porte dans ses plis la guerre civile, l’assassinat et l’asservissement » et qui propose face à lui la candidature « démocratique et hautement monarchiste et constitutionnelle » d’un de ses correcteurs-typographes, Motte (11 et 7 décembre 1887). Le succès est électoralement mitigé (les électeurs ne se sont pas pressés), mais politiquement symbolique.

Les faits et gestes de Désiré Vandendorpe sont scrutés par la presse. Lui utilise son statut pour porter la voix du POB, dans le pays. Le public se bouscule aux séances du conseil. Jean Volders écrit dans Le Peuple du 14 décembre 1887 : « Un des criminels individus, voués à l’indignation publique, vient d’être élu… Il va entrer à l’Hôtel de ville la tête haute… Les agents de police, les huissiers, les chefs de bureau le salueront… pour s’être dévoué à la même tâche que notre pauvre ami Falleur… Un mandat de conseiller communal pour l’un, vingt ans de travaux forcés pour l’autre. » Désiré Vandendorpe donne le ton d’entrée de jeu lors de la discussion d’un règlement concernant les animaux de trait, en réclamant un règlement interdisant aux enfants de porter de trop lourdes charges. Il défend l’amnistie des condamnés de 1886, le minimum de salaire, le SU, une position originale sur les orphelins, mais il s’oppose aussi au chef de la police, le bourgmestre Buls qui, de fait, est chargé de l’ordre « national » dans la capitale. Il est qualifié de « Cosaque », par Le Peuple. Non réélu en 1887 − il est candidat avec Meunier, marbrier, Lebrun, pistonnier, sur une liste libérale progressiste −, il continue à se faire le porte-voix de l’opposition démocratique à la ville jusqu’à sa réélection en 1890.

Le POB utilise désormais la politique communale comme levier de son action politique. La situation locale de Bruxelles s’y prête bien. Désiré Vandendorpe est élu avec l’appui de « l’Association » libérale progressiste contre doctrinaires et indépendants. Il restera conseiller communal jusqu’à sa mort. Il parvient, avec les sept élus progressistes (l’un d’entre eux, Léon Furnémont, rallie le POB en 1894,), à mener une politique d’opposition commune reprenant les thèmes du POB, y compris politiques. Il obtient un vote favorable au SU, au minimum des salaires… Il y gagne une incontestable stature. Le 16 décembre 1909, il est élu à l’unanimité échevin de la Bienfaisance publique, les conseillers catholiques ayant quitté la réunion « pour ne pas ternir par leur vote (négatif) l’affectueuse signification du scrutin », déclare le bourgmestre Adolphe Max, lors de ses funérailles en février 1910.
Désiré Vandendorpe est également conseiller provincial de 1907 à son décès. Et il s’implique dans d’autres actions du mouvement socialiste : ainsi en 1898, il participe à la création de la Coopérative de production « des tabacs ».

Désiré Vandendorpe est incontestablement une figure marquante du mouvement ouvrier bruxellois. Militant syndical dans une forte organisation jalouse de son indépendance et qui refuse, pour cette raison, l’adhésion au POB, il abandonne et l’autonomisme et l’apolitisme, largement répandus à l’époque, pour devenir une figure marquante du ralliement de la classe ouvrière à la lutte politique et devenir un dirigeant ouvrier éminent du POB à ses débuts. Il y défend des positions à la fois fermes et modérées (jamais il n’a été tenté par le radicalisme), comme beaucoup de ses compagnons bruxellois.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article144720, notice VANDENDORPE Désiré. [Belgique] par Jean-Paul Mahoux, version mise en ligne le 5 février 2013, dernière modification le 3 octobre 2023.

Par Jean-Paul Mahoux

ŒUVRE : Avec CLAES C.-J., Rapport du Congrès national des Sociétés de secours mutuels du 27 septembre 1885, Bruxelles, 1885 − Collaboration : Le Typographe, La Fédération typographique, Le Peuple (1885-1910), L’Avant-garde (1887-1888).

SOURCES : PUISSANT J., « Vanderdorpe Désiré », dans Biographie nationale, t. XXVII, 2, Bruxelles, 1972, p. 791-794 − PUISSANT J., La politique communale du POB (1884-1895), son application dans trois communes bruxelloises, Bruxelles, Molenbeek, Schaerbeek, Mémoire de licence ULB, Bruxelles, 1965.

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