FLAHAUT Émile, Amour. [Belgique]

Par Jean Puissant

Thon-Samson (aujourd’hui commune d’Andenne, pr. et arr. Namur), 7 mars 1837 − Huy, 26 juin 1879. Ouvrier marbrier puis entrepreneur, syndicaliste, militant de l’Association internationale des travailleurs (AIT) à Paris et à Bruxelles, délégué des marbriers parisiens aux Congrès internationaux de l’AIT à Bruxelles (1868) et à Bâle (Suisse, 1869), dirigeant de l’Association des marbriers de Bruxelles, socialiste révolutionnaire.

Émile Flahaut, qui travaille à Bruxelles avec le père de Louis Bertrand dont il devient l’ami intime, est logé dans une mansarde, aménagée à cet effet, dans le logis familial, rue du Peuple à Molenbeek (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale). Parti travailler à Paris en 1866, Flahaut revient loger chez les Bertrand lors du Congrès de l’AIT en septembre 1868. Il exerce une forte influence sur le jeune Louis Bertrand. « C’était un type intéressant au possible. Il lisait beaucoup… . C’est lui qui prête Les Misérables, Le juif errant et Les Mystères de Paris au jeune garçon, et l’amène, avec son père, aux réunions-meetings du soir du Congrès du l’AIT au « Cirque ». Il sera également son mentor en syndicalisme après son retour à Bruxelles.


Le militant syndical

Émile Flahaut travaille donc comme marbrier à Paris. Il y devient l’un des responsables du Syndicat des marbriers et sculpteurs et adhère à l’AIT. Il est inculpé en juin 1870 comme « membre d’une société secrète ». Il est acquitté et regagne Bruxelles en février 1871 (BERTRAND L., Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830, vol. 2, Bruxelles, 1907, p. 48). Après la levée du siège par les Prussiens, il ne participerait donc pas à la Commune, comme il le laisse parfois entendre notamment lors du meeting du 22 mars 1873, ou comme on le lui prête.

En revanche, Émile Flahaut est un défenseur acharné de la Commune et des communards. Il réorganise l’Association des marbriers qu’il dirige et étend aux sculpteurs et tailleurs de pierre. Elle est affiliée à l’AIT. D’après Louis Bertrand (Souvenirs d’un meneur socialiste, Bruxelles, 1927, p 97), les patrons des principaux responsables du syndicat (les « syndics ») leur intiment de choisir entre leur travail et leur engagement syndical. La réponse syndicale est d’exiger de « respecter le droit de leurs ouvriers de faire partie d’un syndicat » et de revendiquer une augmentation de salaire de 25 %. La grève commence dans les deux entreprises concernées, elle est suivie d’un « lock-out » patronal. Le conflit se prolonge durant six mois en 1872. Une réunion hebdomadaire des grévistes se tient le dimanche au Cygne, sur la Grand-Place de Bruxelles. Émile Flahaut en est le principal animateur. La solidarité des autres corporations et des ouvriers de province, de l’étranger, notamment de Paris et de Londres, est sollicitée et obtenue. Les employeurs finissent, les uns après les autres, par accepter les revendications sur la liberté syndicale et une augmentation de 15 %. Mais l’industrie entre en récession en raison de la grève et du renversement de la conjoncture économique, heureusement compensée par les grands travaux des boulevards centraux et du quartier de Notre-Dame-aux-Neiges.

En 1874, Émile Flahaut crée La Persévérance, organe de l’Union syndicale des ouvriers marbriers, sculpteurs et tailleurs et de pierre qu’il fait imprimer chez Désiré Brismée. Le 10 février 1875, il préside un meeting destiné à fêter le troisième anniversaire de la reconstitution de l’Association des marbriers : il commence par un cortège qui part de la chaussée de Louvain à Saint-Josse-ten-Noode (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), puis prend la rue Royale extérieure, afin de passer devant plusieurs marbreries et se rendre au Cygne, local de l’association. Il y prononce un discours célébrant les vertus de l’association, la réussite de la grève, mais aussi ses penchants révolutionnaires, le tout accompagné d’un éloge de la Commune de Paris. Flahaut interprète, avec d’autres, des chansons démocratiques. Georges Paterson chante la Marseillaise de l’Internationale. Deux rapports distincts signalent cent ou six cents personnes à divers moments de la manifestation.

La dernière mention de la présence militante de Émile Flahaut se situe le 15 avril 1877, date à laquelle il préside une réunion d’une centaine de personnes « en blouse et casquette » du Syndicat des marbriers. Selon ce dernier rapport de police, il exige le départ des non marbriers de la réunion et donc des deux « officiers de police » présents, ce qui nous prive ainsi de ses dernières paroles publiques.

En 1873, Émile Flahaut participe activement, avec d’autres militants, à des meetings destinés aux maçons (1er mai), aux menuisiers charpentiers (8 juin), aux tailleurs de pierre (4 mai), aux Congrès des sociétés de résistance (12 octobre, 9 novembre), les invitant à s’associer pour peser sur les salaires, à collaborer à la création d’une fédération des sociétés de métier au sein de l’AIT et, dans ce dernier cas, les invitant à soutenir les ouvriers des carrières de petit granit d’Écaussines (pr. Hainaut, arr. Soignies) en grève. En octobre 1874, il participe à une nouvelle tentative de créer une fédération des sociétés de résistance mais il en appelle aux travailleurs eux-mêmes, par tracts, et non à leurs comités. Les comités des typographes, des bijoutiers, des charpentiers… ne sont pas fiables selon lui. Le 2 novembre, il préside une assemblée générale des corporations ouvrières sous l’autorité de l’AIT. Il signe pour les marbriers une « grande affiche » appelant à un grand meeting public à « La cour de l’univers » (Brigittines) le 30 novembre, dans la double perspective de créer cette fédération, puis de protester contre les expulsions policières de « travailleurs étrangers ».

À cette réunion, Émile Flahaut s’en prend vivement aux corporations qui ont des contacts avec les autorités, l’Association générale ouvrière (AGO) et les associations qui y adhèrent, pour ne pas les nommer. La poursuite de ces deux objectifs conduit à une impasse et, insensiblement, la fédération en construction, bientôt la Chambre du travail, sous la conduite de Gustave Bazin et Louis Bertrand, mais aussi de l’internationaliste, Georges Paterson*, échappe à l’AIT et sera bientôt perçue comme concurrente. C’est le prix à payer pour permettre à certaines associations d’adhérer. À plusieurs reprises, Émile Flahaut tente de défendre ses positions à la Chambre du travail, mais il est mis en minorité, en particulier le 24 janvier 1876 où il « prétend que la Chambre emploie de mauvais moyens pour arriver au triomphe de la révolution ». Ce ne sont pas des conférences, des cours de comptabilité donnés par des (« bourgeois »). « C’est des fusils et de la poudre, qu’il nous faut pour faire disparaître par la force tous nos rois, nos représentants, nos ministres, nos prêtres… tous ceux qui nous exploitent et nous tiennent sous le joug de l’oppression…. Flahaut est à ce moment soutenu par l’Ami du peuple et l’Affranchissement mais même Désiré Brismée prend position contre lui.


Le militant internationaliste

Émile Flahaut participe activement aux activités de l’AIT, dont il apparaît à ce moment comme l’un des principaux militants avec Désiré Brismée, Laurent Verrycken et Camille Standaert. Avec l’appui d’Ernest Granger, communard blanquiste exilé à Londres, Flahaut crée un petit groupe de blanquistes, constitué principalement d’ouvriers français, qui se réunit discrètement, et où il est abondamment question de révolution. Le groupe reçoit Émile Eudes et Edouard Vaillant, venus de Londres. Émile Flahaut réussit à y faire assister le jeune Louis Bertrand, qui bien vite les abandonne, préférant « … la propagande au grand jour. Cela me semblait plus sérieux et plus conformes à nos mœurs… et au bon sens belge ». Le sien « se révoltait contre tout cet étalage de mystère. » (BERTRAND L., Souvenirs… op cit, p. 117). Lors d’un conseil de la Fédération bruxelloise de l’AIT, préparatoire au Congrès fédéral d’Anvers du 10 août 1873, il déclare : « Il ne faut plus s’occuper de ces questions mesquines de journées de travail et de salaire, qu’il faut étudier sérieusement les moyens d’arriver à un renversement complet de l’état de chose actuel, c’est-à-dire l’abolition et la destruction générale de l’exploitation et de l’oppression ».

Le 4 mai 1874, lors d’un meeting de l’AIT consacré à la hausse des prix (denrées, logements), Émile Flahaut se prononce pour la politique du pire, espérant la dégradation de la situation pour provoquer la réaction ouvrière, « … Le meilleur remède sera la force brutale ». Désiré Brismée le contredit. Flahaut insiste à nouveau, en prônant l’instruction, la propagande active, l’association, « afin d’être un jour en mesure de mener à bonne fin la révolution… ». « On n’arrivera à détruire les prisons et les couvents… maisons de corruption qu’en changeant la société de fond en comble » (25 mai 1874). Il s’en prend, « très violent », au gouvernement, à l’armée, à la police (25 août 1874) devant quatre cents personnes, « où la blouse dominait ». Pourtant, à la fin de l’année 1873, dans les Congrès des sociétés de résistance, il défend l’apolitisme nécessaire et la nécessité de se concentrer sur les revendications sociales. Il est vrai qu’ici, il parle comme représentant des marbriers tandis qu’aux réunions de l’AIT, il défend ses idées personnelles. Délégué des marbriers au IVe Congrès fédéral de l’AIT le 25 décembre 1873, il y défend l’autonomie des organisations par rapport aux fédérations régionales ou de bassin, plaidant pour une éventuelle adhésion directe à l’AIT. Sa position est minoritaire. À ce Congrès, il défend Gustave Bazin, en provenance de Genève, et suspecté de positions anti-internationalistes. En août 1874, il cherche à organiser la solidarité avec les menuisiers de Genève en grève, au sein des corporations ouvrières et de l’AIT. Il participe au Congrès international de l’AIT à Bruxelles en septembre 1874 : il y serait intervenu plus violemment que le cordonnier Jan Pellering*, ce qui n’est pas peu dire. Il siège au bureau du Congrès. Très régulièrement, il plaide en faveur de la solidarité avec des grévistes en Belgique et à l’étranger.

Bien que ne semblant pas avoir adhéré à une société rationaliste mais très anticlérical, Émile Flahaut « déplore la funeste influence exercée par les prêtres au sein des familles et voue au ridicule l’histoire sacrée » lors d’une réunion contre l’ingérence du clergé le 28 juillet 1873 (il siège au bureau). Cette rencontre aurait réuni 2.000 personnes selon la note de police. Il participe au Congrès rationaliste du 26 décembre 1874 à Bruxelles.

La dernière intervention documentée d’Émile Flahaut à une réunion des marbriers remonte donc au 15 avril 1877. Il a été une personnalité importante tant du point de vue syndical que de l’Internationale de 1871 à 1877, mais ses convictions « révolutionnaires », l’ont mis en porte-à-faux avec la tentative de la Chambre du travail, à qui il a prêté pourtant toute son énergie, de se recentrer sur l’organisation et la question sociale.

Émile Flahaut meurt, jeune encore, à quarante-deux ans, en 1879. Son disciple et cadet, Louis Bertrand, qui a pris rapidement ses distances avec lui sur le plan politique, accusé d’avoir « causé la mort de Flahaut » par Emmanuel Chauvière, ce qui n’est pas faux d’un point de vue symbolique, organise l’aide à sa veuve, comme l’indique un dernier signalement policier daté du 11 mai 1880.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article144721, notice FLAHAUT Émile, Amour. [Belgique] par Jean Puissant, version mise en ligne le 5 février 2013, dernière modification le 7 octobre 2023.

Par Jean Puissant

SOURCES : KEERENS V., « Fiche généalogique de Flahaut Émile Amour Gustave », dans geneanet.org, page consultée le 7 octobre 2023 (à voir directemenr sur le site, le lien ne fonctionnant pas) − BERTRAND L., Souvenirs d’un meneur socialiste, Bruxelles, 1927, p. 21-22, 37,78, 97, 104, 116-117 − DEWEERDT D., De belgische socialistische arbeidersbeweging op zoek naar een eigen vorm (1872-1880), Antwerpen, 1972 − FREYMOND J. (dir.), La Première Internationale. Recueil de documents, t. III, Genève, 1971, p. 501.

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