KAPE Josef (ou Joseph)

Par Daniel Grason

Né le 7 novembre 1898 à Lublin (Pologne), fusillé comme otage le 21 février 1942 au Mont-Valérien, commune de Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine) ; brocanteur.

Fils d’Isaac Kape et d’Ita Kape, née Kaperschmitt, Josef Kape, issu d’une famille juive, arriva en France en 1921. Il habita à Meulan (Seine-et-Oise, Yvelines), puis à Paris dans le XVIIIe arrondissement, successivement 59 boulevard Ney ; 149 rue Marcadet ; 91 rue Championnet. Le 24 mars 1930, il épousa Helena Zeikinsky, de nationalité polonaise, à la mairie du XVIIIe arrondissement. Le couple emménagea 26 passage Duhesme, Paris (XVIIIe arr.) en 1931. Brocanteur, il s’établit 136 avenue Michelet à Saint-Ouen (Seine, Seine-Saint-Denis), au marché Vernaison, berceau du marché aux puces de Saint-Ouen, Clignancourt, là où se vendaient principalement des meubles. Il s’inscrivit au registre du commerce de la Seine le 3 avril 1925.
En 1937 fut créée au sein des Renseignements généraux, une Section spéciale de recherche (SSR) chargée de la surveillance politique des étrangers dans le département de la Seine. Il y eut plusieurs « rayons », « espagnol », « russe », « italien », « allemands », « polonais »... Rompant avec le principe de la nationalité, fut créé en octobre 1941 un « rayon Juif », chargé de surveiller les étrangers comme les Français. Les Allemands étant à Paris, il n’était plus question de les surveiller. La direction du « rayon Juif » fut confiée à son ex-responsable, le brigadier-chef, Louis Sadosky, nommé inspecteur principal adjoint en janvier 1941, qui n’eut qu’un objectif, donner satisfaction à ses chefs de la direction des Renseignements généraux. Chargé d’arrêter des Juifs, il ne faillira pas. Il établira un fichier des « Juifs suspects », et n’hésitera pas à falsifier les rapports des inspecteurs qu’il eut sous ses ordres. Lui-même se vantait d’avoir fait fusiller entre soixante et quatre-vingts personnes.
Josef Kape s’engagea volontairement pour la durée de la guerre pour défendre sa nouvelle patrie. Il fut incorporé le 17 avril 1940 et dirigé sur le camp de Septfonds (Tarn-et-Garonne) où étaient regroupés des engagés volontaires étrangers. Affecté le 8 juin 1940 dans un régiment, il fut démobilisé le 9 septembre à Caussade dans le même département.
Sa carte d’identité délivrée par la préfecture de police portait la mention « commerçant », elle était valable jusqu’au 7 septembre 1943. Le gouvernement de Vichy promulgua le statut des Juifs le 3 octobre 1940, puis le 2 juin 1941 : Josef Kape ne pouvait plus travailler. L’article 4 indiquait : « Les Juifs ne peuvent exercer une profession commerciale, industrielle ou artisanale, ou une profession libre. » Dès novembre 1940, en zone occupée commença l’« aryanisation » des biens juifs, par le recensement des propriétaires de commerces, activités artisanales et d’établissements industriels. La spoliation fut souvent menée par des gérants membres des partis collaborationnistes. L’un d’eux fut désigné, et fit fermer le commerce de Josef Kape le 1er juillet 1941.
La police procédait régulièrement à des contrôles d’identité au marché aux puces. Le 8 septembre 1941, dix personnes furent arrêtées, dont six brocanteurs. Josef Kape était du nombre ; interpellé dans un café de la Porte de Clignancourt à Paris (XVIIIe arr.) ou dans la zone du même nom, il fut interné au camp de Drancy (Seine, Seine-Saint-Denis) réservé aux Juifs.
Quinze jours après, un inspecteur de police rendit visite à sa femme et lui déclara que l’arrestation de son mari était motivée par son activité politique. Or, aucune trace d’une quelconque activité politique ne figurait dans son dossier. Louis Sadosky écrivit qu’il ne s’était pas « conformé à la loi du 2 juin 1941, continuant son activité commerciale au public », il ajouta sans aucune preuve : « Propagandiste clandestin en faveur de la IIIe Internationale. Suspect au point de vue politique, susceptible de constituer un élément dangereux pour l’ordre intérieur. »

Dans la nuit du 5 au 6 février 1942, une sentinelle allemande fut très grièvement blessée à Tours (Indre-et-Loire). S’y ajoutait l’attentat commis à Rouen (Seine-Inférieure, Seine-Maritime) le 4 février 1942 contre des militaires allemands. En représailles, les Allemands décidèrent de fusiller ou de déporter cinquante otages ; ils désignèrent quatorze otages à exécuter au Mont-Valérien dont treize Juifs internés au camp de Drancy : Szmul Balbin, Abraham Gärtner, Léon Jolles, Josef Kape, Max Kawer, Mordka Korzuch, Towja Lipka, Samuel Marhaim, Aron Miller, Jankiel Minsky, Israël Rubin, Lejbus Wajnberg et Israël Wirtheim, ainsi que Henri Debray militant communiste interné à à la prison de la Santé à Paris (XIVe arr.).
Josef Kape fut passé par les armes le samedi 21 février 1942 au Mont-Valérien avec les treize autres otages. Il fut inhumé au cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne) le lundi 23 février 1942, division 39, ligne 2, n° 34. Le corps de Josef Kape fut restitué à son épouse le 26 juin 1946 et inhumé à Bagneux (Seine, Hauts-de-Seine)

Sur les cinq autres brocanteurs juifs appréhendés le 8 septembre 1941, Beirel Feiler et Szama Knapajs ont été fusillés au Mont-Valérien comme otages le 15 décembre 1941 ; Yvette Rembielinska et Kalman Stievelmacher moururent au camp d’extermination d’Auschwitz (Pologne).
Après la Libération, Helena Kape, quarante-deux ans, certifia devant la commission d’épuration de la police que son mari n’avait : « jamais fait de politique ». Devant les membres de la commission rogatoire chargée du dossier de l’inspecteur Sadosky, elle rappela qu’il avait « été arrêté dans un café de la porte de Clignancourt ». Elle informa qu’un inspecteur s’était présenté quinze jours après l’arrestation de son mari et lui affirma qu’il faisait de la politique. Dans les archives des Renseignements généraux, il n’y avait aucune trace d’une quelconque activité politique le concernant.
Le nom de Josef Kape figure sur la cloche du Mémorial de la France combattante au Mont-Valérien et à Bagneux sur la stèle commémorative de l’union amicale des marchands de Paris.

L’abbé Franz Stock évoque les 13 Juifs exécutés le 21 février 1942 dans son Journal de guerre :

« Samedi 21.2.42
14 exécutions.
Venu me prendre à 8h pour le Cherche-Midi, 14 otages doivent être exécutés à 11 heures : 13 juifs, d’origine germano-polonaises, du camp de Drancy ; un Français de la Santé.
....
Un jeune juif me dit : "Ils peuvent bien nous tuer mais d’autres se lèveront, il est impossible d’exterminer la race juive." Certains juifs étaient pieux, récitaient des psaumes, l’un s’est entouré de son châle de prière en soie, il voulait être enterré avec. Question : aucun rabbin ne vient ? Les 14 doivent être enterrés lundi seulement. Le seront à Ivry. »

Voir Mont-Valérien, Suresnes (Hauts-de-Seine)

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article144858, notice KAPE Josef (ou Joseph) par Daniel Grason, version mise en ligne le 9 février 2013, dernière modification le 24 janvier 2022.

Par Daniel Grason

SOURCES : PPo. BA 2439, KB 95, 77W 40, 77 W 5360-293795. — DAVCC, Caen, B VIII dossier 3 (Notes Thomas Pouty), AC 21 P 467 946. — Laurent Joly, L’antisémitisme de bureau, Éd. Grasset, 2011. — Louis Sadosky, brigadier-chef des RG, Berlin 1942, CNRS Éd., 2009. — Serge Klarsfeld, Le livre des otages, op. cit. — Site Internet Mémoire des Hommes. — Site Internet CDJC. — MémorialGenWeb. — Franz Stock, Journal de guerre. Écrits inédits de l’aumônier du Mont Valérien, Cerf, 2017, p. 66. — Répertoire des fusillés inhumés au cimetière parisien d’Ivry.

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