DE LESCURE Pierre

Par Julien Hage

Né le 30 mars 1891 à Oran (Algérie), mort le 19 juillet 1963 à Courbevoie (Seine) ; écrivain, journaliste, éditeur, proche des milieux catholiques nationalistes dans les années vingt, puis compagnon de route du Parti communiste à partir du milieu des années trente ; résistant au sein des réseaux de l’Intelligence Service ; fondateur avec Jean Bruller, alias « Vercors », des Éditions de Minuit clandestines en 1942 ; membre du maquis Franc Tireur Partisan du Haut-Jura (1943-1944) ; vice-président du Comité national des écrivains (1957-1962).

Issu d’une famille bourgeoise, Pierre de Lescure est le fils de Pierre Lescure, médecin, et de Flore Henry. Orphelin à l’âge de quatre ans, il fut élevé par son oncle Victor Henry et sa grand-mère maternelle à Valenciennes. Il est le petit-fils de Jules de Lescure, directeur des chemins de fer d’Algérie. Surnommé « Lescure le rouge », ce farouche républicain avait renoncé à sa particule à la suite des journées de juin 1848. Contrairement à son père, Pierre Lescure fait lui le choix de reprendre sa particule. Il se marie le 2 juillet 1917 avec Marie de Gentile, issue d’une famille d’officiers de carrière.
Se destinant à une carrière dans la diplomatie, il commença des études de droit et entre à l’École libre des sciences politiques en 1909, tout en nourrissant des intérêts pour la philosophie et la théologie. Atteint par la tuberculose, il interrompit bientôt ses études et part se faire soigner en Suisse. Méditant une vocation monastique, il entra au couvent dominicain du Saulchoir où il fit la connaissance décisive du père Antonin-Gilbert Sertillanges (1863-1948), professeur de philosophie à l’Institut catholique de Paris et spécialiste de Saint Thomas d’Aquin, une personnalité charismatique alors surnommé « l’apôtre des jeunes ». Ce dernier amena Pierre de Lescure, sensible au protestantisme, à revenir au catholicisme social. Ils prirent ensemble en 1915 la direction La Revue des jeunes, organe de pensée catholique et française d’information, à laquelle participent Jammes, Claudel, ou Mauriac. Pierre de Lescure intègre ainsi le milieu littéraire et fréquenta la droite catholique et nationaliste et les milieux conservateurs, en côtoyant Paul Bourget, Maurice Barrès, ou Raymond Poincaré. Il fonde avec Sertillanges Les Éditions de la Revue des jeunes, où il s’investit corps et âme.

Dix ans après leur rencontre, Pierre de Lescure rompit publiquement avec son mentor, dont il condamna avec virulence l’immoralité en 1921. Cette polémique, ajoutée à d’autres divergences, l’obligèrent à quitter la maison d’édition en lui faisant perdre le soutien des autorités religieuses et celui des financiers du Comité des Forges. Il lança malgré tout en 1923 une nouvelle librairie religieuse, L’Office central de librairie et de bibliothèque, qui ne survécut pas elle non plus à la défiance de la hiérarchie catholique et fut finalement rachetée par Desclée de Brouwer.

C’est dans le cadre de cette librairie qu’il se lia d’amitié en 1926 avec le dessinateur Jean Bruller, venu lui proposer de partager par souscription les frais d’impression de son premier album, 21 recettes pratiques de mort violente. En 1929, Pierre de Lescure fonda La Quinzaine critique des livres et des revues, un périodique à vocation absolument laïque cette fois, dont il assuma la direction et dans laquelle Bruller assura la critique d’art des « Éditions de luxe », jusqu’à la défection de ses financiers en 1932. En quête d’un repreneur, les deux amis fourbirent ensemble le projet d’un hebdomadaire littéraire moderne à grand tirage, intitulé Paru, qu’ils destinent à Plon. Mais l’entreprise se révéla incompatible avec la tutelle d’Henri Malassis, directeur éditorial de la maison et idéologue de l’Action française, par ailleurs déjà collaborateur de la Revue des jeunes.

En 1934, Pierre de Lescure avait épuisé complètement ses ressources pour pouvoir envisager une nouvelle entreprise éditoriale. Il tenta alors de vivre de sa plume et publia deux romans policiers chez Gallimard, dans la collection « Détective », sous le pseudonyme de Pierre Anzin. Les ouvrages connurent une fortune critique inespérée, notamment grâce à Ramon Fernandez. Ils constituèrent pour lui le tremplin vers une carrière d’écrivain, même s’il ne mentionne pas ces écrits dans sa bibliographie par la suite. C’est Pia Malécot, une transposition romanesque de l’épisode Sertillanges, publié chez Gallimard l’année suivante dans la collection « Blanche » à la demande expresse de Gaston Gallimard, qui lui amena la véritable reconnaissance. Ce succès d’estime lui assura de nouveaux contrats, même si ses trois livres suivants demeurèrent plus confidentiels.

Depuis le début des années 1930, Pierre de Lescure s’était éloigné du milieu catholique nationaliste. Il se rapprocha du Parti communiste, dont il fut un compagnon de route, alors que son fils François s’engageait aux Jeunesses communistes avant de devenir le secrétaire de l’Union des étudiants communistes de la Seine en 1939 et le vice-président de l’UNEF l’année suivante. Dans le contexte du Front populaire, l’écrivain suivit les débats du comité de vigilance des intellectuels antifascistes, participe à la revue Commune et au journal Ce Soir et fut introduit, sans doute par René Blech, dans le monde des intellectuels communistes. Ses nouvelles consacrées au prolétariat urbain parues à l’époque dans la presse de gauche manifestent une forte dimension sociale.

Violemment anti-munichois, Pierre de Lescure prend contact dès le lendemain de la défaite avec le groupe de résistants du Musée de l’Homme et le groupe Maintenir auquel appartient son fils. Grand amoureux de la culture anglaise et admirateur de Winston Churchill, il devient à l’automne 1940 agent de l’Intelligence Service au sein du réseau de son cousin Robert Le Guyon. Pierre de Lescure intervient bientôt dans les initiatives éditoriales clandestines communistes : d’abord en travaillant à un deuxième numéro de La Pensée Libre, un numéro qui ne survivra pas à la saisie, et en s’investissant dans Les Lettres françaises sans y demeurer plus avant. Partisan d’une littérature clandestine plus que d’un simple support de propagande, il fonda avec son ami Jean Bruller les éditions de Minuit avec le désir de « grouper autour des éditions le plus grand nombre d’écrivains français à réputation mondiale pour affirmer la résistance de l’esprit français à l’emprise nazie ».

À l’origine destiné à paraître dans La Pensée libre, Le Silence de la mer de Vercors, premier volume des vingt-cinq brochures publiées par Minuit durant la guerre, paraît en février 1942. Sa publication et sa distribution clandestines constituent un véritable tour de force technique et politique, à un point tel que Pierre de Lescure médite d’en suspendre la distribution pour éviter de faire courir des risques démesurés à des réseaux déjà fort menacés. Avec le démantèlement par la Gestapo du réseau Le Guyon, l’écrivain fut contraint de quitter la France au printemps 1942, puis, après un éphémère retour, de quitter de nouveau Paris en juin 1943 pour se réfugier dans le maquis FTP de Champagnolles dans le Haut Jura avec lequel il participa à la libération de Pontarlier. En son absence, Vercors et Jean Paulhan dirigèrent les éditions de Minuit, tandis que Pierre de Lescure sollicita pour prendre sa suite Paul Éluard, dont les éditions publièrent L’Honneur des poètes en 1943. En septembre 1944, affaibli par les privations et la clandestinité, il rentra dans la capitale ; son rôle de fondateur des éditions de Minuit fut enfin dévoilé au grand public. Pierre de Lescure ne s’y attarda pas : il partit jusqu’en 1946 avec sa compagne Célia Bertin en Suisse, chargé par le ministère de l’Information de renouer les relations avec les écrivains et les artistes de la confédération helvétique.

À Paris, Vercors décida de poursuivre au grand jour à la Libération les activités des éditions de Minuit. Les désaccords entre les deux fondateurs les mènent à une rupture définitive en septembre 1945, une rupture que Pierre de Lescure évoqua en 1959 dans un roman à clefs, La Saison des consciences, à charge contre Vercors, tandis que son roman précédent, Les Retardataires, relatait la période de la Résistance. De Lescure s’estima floué et marginalisé au sein des éditions par Vercors et Yvonne Paraf, alias « Desvignes ». La parution de l’Historique des éditions de Minuit de Jacques Debû-Bridel exacerba sa colère, faisant d’après lui la part belle aux écrivains et ignorant le rôle des imprimeurs et des typographes, à son gré plus exposés à la répression. Il n’accepta pas non plus la normalisation et la mercantilisation des éditions la Résistance à la Libération, qu’il ressentit comme un insupportable dévoiement. En 1951, Pierre De Lescure s’éleva avec la même virulence contre la Lettre aux directeurs de la Résistance du « simple grammairien » Paulhan et manifesta, à l’instar de René Char, que « sa résistance » n’était pas la sienne. Avec Célia Bertin, il lança en 1951 la revue littéraire Roman à Saint Paul de Vence qui connut 11 livraisons sous une couverture d’Henri Matisse. De plus en plus isolé, à l’exception des solidarités communistes, l’écrivain devint en 1957 vice-président du Comité national des écrivains (CNE) sous la présidence de Louis Aragon, qui avait succédé à Vercors, démissionnaire, après la transition de Francis Jourdain. Il signa notamment dans ce cadre la pétition dénonçant la saisie des Lettres françaises en écho à la publication de la Question d’Henri Alleg, tandis que le CNE octroie une bourse de 100 000 francs au directeur emprisonné d’Alger Républicain. Malade et appauvri, Pierre de Lescure quitta Paris en 1962 et s’éteignit à Courbevoie l’année suivante.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article145409, notice DE LESCURE Pierre par Julien Hage, version mise en ligne le 6 mars 2013, dernière modification le 21 décembre 2015.

Par Julien Hage

ŒUVRE : Sous le pseudonyme de Pierre Anzin : Trois baignoires, Le Chapeau sur l’étang, Paris, Gallimard, 1935. En son nom : Pia Malécot, Paris, Gallimard, 1935. Tendresse inhumaine, Paris, Gallimard, 1936. Souviens-toi d’une auberge, Paris, Gallimard, 1937. Le Souffle de l’autre rive, Tome I : Démons mes amis…, Tome II : Qui es-tu Seigneur ?, Anemasse, Éditions du Mont-Blanc, 1946. Sans savoir qui je suis, Paris, Plon, 1955. Les Retardataires, Paris, Del Duca, 1957. La Saison des consciences, Paris, Julliard, 1959. Aragon romancier, Paris, Gallimard, 1960.

SOURCES : Bibliothèque Nationale, Fonds Pierre de Lescure, département des manuscrits, Don 24 467. — Claude Faux, « Notice nécrologique de Pierre de Lescure », in Les Lettres françaises, 26 septembre-2 octobre 1963, pp. 1-11. — Anne Simonin, Les Éditions de Minuit, le devoir d’insoumission, Paris, IMEC éditeur, réédition augmentée, 2008. —Jacques Debû-Bridel, Les Éditions de Minuit, Historique et bibliographie, Paris, Minuit, 1945. —Vercors, La Bataille du Silence, souvenirs de Minuit, Paris, Presses de la Cité, 1967. — État civil de Courbevoie : recherches infructueuses.

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