MILLIEZ Paul, Lucien, Usmar, Marie

Par Bibia Pavard

Né le 15 juin 1912 à Mons-en-Barœul (Nord), mort le 12 juin 1994 à Paris (XIVe arr.) ; professeur en médecine ; catholique ; doyen de la faculté Broussais-Hôtel Dieu (1968-1974) ; résistant ; personnage important du débat sur la contraception et l’avortement.

Paul Milliez grandit dans une famille qui vivait modestement. Son père Lucien Milliez issu d’un milieu fortuné, ayant connu la ruine, était représentant des forges. Sa mère Marie-Thérèse Rivet, femme au foyer, éleva cinq enfants. Né à Mons-en-Barœul, près de Lille, il passa son enfance à Paris où ses parents déménagèrent quand il eut six mois. Il fut élevé dans la foi catholique qui imprégna tout son quotidien. Son éducation se fit chez les Jésuites, au collège Saint-Louis de Gonzague rue Franklin dans le XVIe arrondissement, où étaient allés son père et son grand-père avant lui. Il raconta qu’il avait forgé sa vocation médicale à l’âge de sept ans, lorsqu’atteint d’une grave tuberculose, il fut envoyé en séjour chez le frère de sa mère, le docteur Eugène Rivet. Sans être un élève brillant au lycée, il s’inscrivit à la faculté de médecine de Paris. Il fit alors partie de la conférence Laënnec qui réunissait les étudiants catholiques en médecine et constituait un cadre de travail et de spiritualité. Il y rencontra le Révérend Père Michel Riquet (1898-1993), qui en était l’aumônier et qui devint son directeur de conscience. Ses études de médecine furent marquées du sceau de l’excellence : il réussit le concours de l’externat en 1931, l’internat en 1936. Il travailla alors auprès du professeur Joseph Louis Pasteur Vallery-Radot (1886-1970) qui le prit dans son service à l’hôpital Bichat en 1938. Il épousa Jacqueline Lemierre en juin 1939, ils eurent six enfants (Françoise, Jean, Jacques, Anne, Yvonne et Odile).

Paul Milliez s’engagea dans la Résistance en 1940. Il se situait alors au carrefour de plusieurs réseaux. Il était d’abord le neveu de Paul Rivet, médecin devenu ethnologue qui avait co-fondé le Comité de vigilance des intellectuels anti fascistes en 1934, créé le musée de l’Homme en 1937 et fondé le réseau de Résistance du même nom. Paul Milliez était ensuite président de la conférence Laënnec et proche du R.P. Riquet qui entra également en résistance en 1940. Enfin, il était interne auprès de Pasteur Vallery-Radot avec lequel il fit d’abord du renseignement dans le réseau Kléber puis il organisa le service médical de l’Organisation civile et militaire. Parallèlement, Paul Milliez poursuivit sa carrière médicale. Il fut interne médaillé d’or en 1942 et docteur en médecine en 1943. Cette même année, lorsque Pasteur Vallery-Radot prit la tête du Comité médical de la Résistance qui devait unir tous les services de santé résistants, Paul Milliez en devint le secrétaire général. Il joua un rôle important dans le recrutement des internes pour constituer les Groupes médicaux de secours qui soignaient les résistants blessés. Lorsqu’en août 1944 Pasteur Vallery-Radot fut nommé secrétaire d’État à la Santé du Gouvernement provisoire de la République française, il devint son directeur de cabinet. Son patron démissionnant un mois plus tard, Paul Milliez resta un peu auprès de son successeur, le communiste François Billoux, avant de quitter définitivement la politique pour poursuivre sa carrière médicale. Il fut nommé médecin des hôpitaux de Paris en 1946, agrégé de médecine en 1949, professeur en pathologie médicale en 1959, médecin à l’hôpital Beaujon en 1960, professeur de clinique médicale en 1962, il exerça ensuite à l’hôpital Broussais à partir de 1963. Ses travaux portèrent sur les maladies des reins et l’hypertension artérielle. Il jouit d’une réputation internationale en devenant le médecin de chefs d’État de pays musulmans grâce à l’intermédiaire de Pasteur Valléry Radot. Il soigna ainsi le roi d’Afghanistan et son fils, Ibn Saoud roi d’Arabie, le Shah d’Iran, Hassan II du Maroc, ses fonctions l’amenèrent également en Algérie, en Syrie, au Liban ou en Albanie dont il soigna le président Enver Hodja. Cela lui valut plusieurs décorations : il fut officier du Nicham Iftikhar et Commandeur du Cèdre du Liban. Seule manqua à ses honneur une place à l’Académie de médecine qui lui fut refusée malgré ses candidatures répétées entre 1963 et 1971. Il trouva davantage de reconnaissance auprès du grand public comme médecin engagé.

Ses engagements furent multiples et se firent à la croisée de sa position de médecin, de catholique et d’ancien résistant. Figure humaniste respectée, il s’exprima sur des questions de société. Médecin reconnu, il prit également position sur l’hôpital et l’organisation des soins en France. Doyen de la faculté de médecine Broussais-Hôtel Dieu de 1968 à 1974, il était en première ligne au moment de la contestation étudiante. Formé par un mandarin, mandarin lui-même, il avait la nostalgie d’une médecine en train de disparaître. Clinicien avant tout, enseignant ensuite, il ne s’investit que marginalement dans la recherche. Pour lui, l’essentiel était le contact avec les patients et il se définissait volontiers comme un généraliste, ayant davantage vocation à soigner les malades que les maladies. Il était un ardent défenseur de l’humanisation de la médecine et du respect des patients. Il s’inscrivit contre une formation médicale de plus en plus technique, qui perdait le contact humain. Il défendit également les infirmières qu’il respectait pour leur connaissance des réalités du terrain.

En tant que médecin catholique, il fut sollicité sur les questions touchant à la médecine et à l’éthique. En 1969, les fondateurs de l’Association nationale pour l’étude de l’avortement le contactèrent pour lui demander d’en faire partie. Convaincu par le livre de l’avocate Anne-Marie Dourlen-Rollier sur l’avortement, il accepta de renforcer les rangs de l’association qui demandait l’élargissement de l’avortement thérapeutiques à d’autres cas que le danger de mort de la future mère (danger pour sa santé, pathologie de l’embryon, grossesse résultant d’un viol etc.). Il émit des réserves sur certains positionnements de l’association, notamment sur la volonté de dénoncer l’Ordre des médecins ou encore sur la promotion de la pilule qu’il jugeait antipshysiologique et parfois dangereuse pour la santé. Considérant l’avortement comme un crime contre la vie, il accepta néanmoins de s’engager pour défendre l’idée que certaines situations exigeaient de mettre fin à des grossesses qui auraient pu s’avérer désastreuses. En 1972, l’avocate Gisèle Halimi, le sollicita pour témoigner au procès de Bobigny où elle défendait Madame Chevalier qui avait aidé sa fille Marie-Claire, 16 ans, à avorter avec la complicité de ses collègues de la RATP. Paul Milliez se montra sensible à la situation particulièrement difficile dans laquelle se trouvait cette mère célibataire issue des classes populaires. Il dit par la suite avoir été au secours de « la veuve et l’orphelin ». Son témoignage au procès, particulièrement remarqué, fut relayé dans la presse et à la télévision, ce qui contribua à sa renommée. Il déclara que « si Mme Chevalier était venue [le] trouver, [il] l’aurait certainement aidée ». Racontant sa propre expérience et les cas désespérés auxquels il avait dû faire face, il affirma que « le législateur d[evait] changer la loi » pour que « les femmes puissent avoir recours à la contraception et que dans certains cas elles puissent se faire avorter ». Son témoignage obtint d’autant plus de poids qu’il lui valut une convocation par le ministre de la Santé, Jean Foyer, en présence du président du Conseil national de l’Ordre des médecins, ce dernier réprouvant publiquement ses déclarations les jugeant « incompatibles avec sa qualité de médecin et de responsable d’enseignements ». Il reçut ainsi un blâme de l’ordre. Plus généralement, ses positionnements dictés par le principe de « charité » le conduisirent parfois à s’éloigner de ce qui était préconisé par l’Eglise catholique pour prêter attention aux situations individuelles.

En 1974, il fit une hémorragie cérébro-méningée qui le plongea dans le coma. Soigné par ses élèves, il revint à lui mais dut lutter plusieurs années pour retrouver l’usage total de son corps et de son esprit. Cette expérience intime de la mort fut l’occasion pour lui d’exprimer ses vues sur l’euthanasie et il se déclara favorable au fait d’aider des patients atteints d’une maladie incurable, vivant dans la souffrance, à mourir. Il prit sa retraite en 1981.

En 1982, le Garde des Sceaux Robert Badinter* le nomma à la tête de la Commission pour l’étude de l’indemnisation des victimes de crimes et de délits. Par la suite, il confirma son statut de figure intellectuelle reconnue en écrivant plusieurs ouvrages où il revint sur sa vie et ses positions : Médecin de la Liberté (entretien avec Igor Barrère, 1982), Une certaine idée de la médecine avec le médecin communiste et ancien résistant Alexandre Minkowski* (1982), Du bon usage de la vie et de la mort (1983), Ce que je crois (1986), Ce que j’espère, suivi de Journal d’une drôle de guerre (1989). Il devint ainsi un habitué des plateaux télévisés où il était sollicité pour son expertise autant médicale que morale. Il décéda le 12 juin 1996 (EC 1994) et sa nécrologie dans Le Monde, signée Claudine Escoffier-Lambiotte, s’intitulant le « courage d’un croisé », donne le ton d’un hommage unanimement rendu par les médias à la mort de celui qui semble être l’un des dernier grands médecins humanistes.

Officier de la Légion d’honneur, décoré de la Croix de guerre avec Palmes ; décoré de la médaille de la Résistance avec rosette ; Chevalier de la Santé publique ; Officier du Nicham-Iftikhar (Tunisie) ; Commandeur du Cèdre du Liban.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article145623, notice MILLIEZ Paul, Lucien, Usmar, Marie par Bibia Pavard, version mise en ligne le 8 octobre 2013, dernière modification le 19 septembre 2017.

Par Bibia Pavard

SOURCES  : Différents ouvrages autobiographiques de Paul Milliez. — Dossier biographique de l’Académie nationale de médecine. — Archives télévisées de l’Institut national de l’audiovisuel. —Who’s Who in France. — Sandrine Garcia, Mères sous influence. De la cause des femmes à la cause des enfants, Paris, La Découverte, 2011. — État civil.

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