AXELRAD Martin, dit Jean-Pierre, ou Nicolas, ou Mackie

Par Philippe Bourrinet

Né le 28 mai 1926 à Vienne (Autriche), mort en août 2010 à Rome (Italie)  ; réfugié en France, avec une partie sa famille, après mars 1938 ; professeur de physique à Orsay (Paris XI) ; marxiste internationaliste, d’abord jeune militant trotskyste (Jeunesses communistes internationalistes) à Grenoble ou Paris, membre parisien de la Fraction française de la gauche communiste (FFGCI) au début des années 1950, enfin du groupe « Programme communiste » à partir de 1958 ; l’un des principaux organisateurs, enfin membre du groupe « Programme communiste » à partir de 1958 ; l’un des principaux organisateurs et rédacteurs du courant « bordiguiste » en France de 1960 jusqu’en 1982. Auteur anonyme (1960) de la brochure Auschwitz ou le grand alibi –, publiée par son organisation, faussement attribuée à Amadeo Bordiga –, ainsi que d’articles sur le matérialisme dialectique ; auteur (sous le pseudonyme de Max Aplboïm) d’un roman policier politique et d’un ouvrage anti-créationniste sous le titre Dieu n’existe pas.

Martin Axelrad
Martin Axelrad

Autrichien, Martin Axelrad dut abandonner enfant, toute sa famille d’origine juive et son pays natal après l’Anschluss. Pris en charge par l’OSE (Œuvre de secours aux enfants), destinée à secourir les enfants et à fournir une assistance médicale aux Juifs persécutés (présidée un temps par le physicien Albert Einstein), il gagna la France en 1939. Il vécut, dans la clandestinité, la totalité de la guerre, de Clamart à Grenoble en passant par Moissac (Tarn-et-Garonne) et Le Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), au gré des avancées de l’armée allemande, de la politique de collaboration de Vichy. Il tenta le 12 juillet 1943 de se réfugier en Suisse, mais fut refoulé car déjà âgé de plus de 16 ans. Pendant cette période périlleuse, il découvrit la vie en communauté, bénéficiant de l’accueil fraternel de la communauté cévenole protestante. Il fut durablement marqué par ses éducateurs, dont certains avaient connu la guerre d’Espagne. En 2006, dans un « roman policier » à fortes touches autobiographiques, il rappela avec émotion cette période de solidarité, notant cependant qu’il s’était opposé très jeune aux tentatives « de faire pression sur moi… pour que je ‘sois juif’ » : « Quand on est jeune et que cette pression est exercée par des gens qui s’occupent de vous sauver des persécutions et de la mort, parfois au risque de leur vie, il n’est pas facile de lui résister ».

Vers 1946-1949, il milita aux Jeunesses communistes internationalistes, auquel succéda le Mouvement révolutionnaire de la jeunesse (MRJ), organisation rattachée au Parti communiste internationaliste (PCI). Il dédia trente ans de sa vie au marxisme, une vie dont le « fil rouge » fut – selon ses anciens camarades – de « former les jeunes militants, animer les réunions publiques [de son] parti, organiser une action politique contre le colonialisme et le néocolonialisme, défendre l’égalité des droits français-immigrés, lutter contre l’illusion électoraliste, pour la défense des intérêts immédiats de la classe ouvrière, contre la mystification stalinienne et la politique de l’Etat d’Israël ».

Il consacrera plus de trente ans de sa vie au marxisme, formant les jeunes militants, animant les réunions publiques du parti, organisant l’action politique (par exemple contre l’impérialisme français, pour l’égalité des droits français immigrés, contre l’illusion électoraliste, pour la défense des intérêts immédiats de la classe ouvrière, contre la mystification stalinienne, contre la politique de l’Etat d’Israël...)

Ayant obtenu la nationalité française (décret du 5 mars 1954), il put s’engager plus ouvertement dans une activité « communiste internationaliste ». Il prit contact avec le courant « bordiguiste » vers cette date et adhéra en 1958 au groupe de Paris de la Fraction française de la gauche communiste internationale (FFGCI), suivant son épouse sur cette voie. Il y milita en compagnie de Daniel Dumartheray, Jacques Angot, André Claisse (dit Goupil), un des principaux protagonistes de la grève de Renault d’avril-mai 1947.

Le premier texte d’importance qu’il écrivit pour la presse de son « parti » fut une très longue contribution intitulée : Auschwitz ou le grand alibi (Programme communiste, 1960) ; ce texte répondait au besoin qu’il ressentait de démontrer que le marxisme était le seul cadre adéquat pour déterminer, derrière le travestissement idéologique de l’antisémitisme, les causes économico-sociales du génocide juif. Toute sa famille étant originaire de l’ancien Empire austro-hongrois, le génocide – qui avait particulièrement touché la communauté juive en Autriche et en Hongrie – restait chez Martin Axelrad, rescapé de l’Anschluss, une blessure qu’il tenta de cicatriser avec l’outil du « matérialisme dialectique ».

La brochure se voulait une réponse politique, en pleine guerre d’Algérie, à une affiche du MRAP, « attribuant au nazisme la responsabilité de la mort de 50 millions d’êtres humains dont 6 millions de Juifs. » Elle se proposait de combattre une « campagne bourgeoise » dont l’objectif était de dissimuler que c’était le « capitalisme lui-même » qui était « la cause des crises et des cataclysmes qui ravagent périodiquement le monde ». Elle ne niait aucunement la monstruosité de la « solution finale » nazie – une « extermination », une « gigantesque entreprise de destruction ») –, mais refusait que le « capitalisme lui-même », de nouveau, se « jette sur les cadavres des Juifs », une humanité doublement assassinée, corps mourant dans les camps de travail, puis corps mort devenu marchandise sous forme d’empilements de « montagnes de cheveux, de dents en or ».

La brochure donnait du phénomène de l’extermination un double décryptage : économique et social, qui mettait de côté le rôle moteur des « superstructures idéologiques ». La Shoah serait le produit de la récurrence de la « guerre impérialiste » dont la finalité jumelle serait « la destruction massive d’installations, de moyens de production et de produits » permettant « à la production de redémarrer », et la « destruction massive d’hommes » pour remédier ainsi à « la ‘surpopulation’ périodique qui va de pair avec la surproduction ». Surtout, socialement, la petite-bourgeoisie allemande aurait « ‘inventé’ l’antisémitisme ». Elle aurait voulu – « en sacrifiant une de ses parties » – « sauver et assurer l’existence des autres ». Ainsi, la « haine des Juifs » ne serait pas « la raison a priori de leur destruction », le racisme n’étant qu’une forme de « réaction petite-bourgeoise à la pression du grand capital », celui-ci pouvant alors « liquider une partie de la petite bourgeoisie avec l’accord de la petite-bourgeoisie ». Mais cette liquidation ne fut rendue possible que par « la défaite… du prolétariat allemand ».

En dernier lieu, la brochure se centrait sur le refus du capitalisme international d’accepter l’immigration des juifs, fait dont l’explication était exclusivement économique : il n’y avait pas un seul « pays capable d’absorber et de faire vivre quelques millions de petits-bourgeois ruinés ». Seule « une faible partie de Juifs a pu partir » tandis que la plupart seraient « restés, malgré eux et malgré les nazis ». Sur ce point la brochure hésitait dans ses conclusions à définir les rapports entre déterminisme et indéterminisme, et donc la transgression de toute idée de fatalité. D’un côté, elle soulignait que le « capitalisme… (avait) ‘organisé leur mort », massacrant « ceux qui ne pouvaient plus travailler, puis ceux dont on n’avait plus besoin » comme force de travail. De l’autre côté, elle s’attardait sur la « mission de Joël Brand », dirigeant d’une organisation de Juifs hongrois, qui, au printemps 1944, fut chargé par Eichmann de prendre contact avec les Anglo-Américains pour « échanger » un million de ces Juifs contre 10 000 camions. Ce maquignonnage échoua – non par mauvaise volonté des SS, qui « croyaient eux, aux idéaux de l’Occident ! » – mais par le refus inhumain de Londres et Washington, inévitable parce que « c’est le capital qui est inhumain ».

La brochure d’Axelrad se terminait par un « J’accuse » passionné contre le capitalisme international tentant d’« utiliser les cadavres des victimes du capital pour essayer de cacher la vérité, faire servir ces cadavres à la protection du capital », et ainsi de « la plus infâme façon de les exploiter jusqu’au bout ».

La position défendue par Axelrad et son organisation en 1960 n’était d’ailleurs pas exceptionnelle, dans le sens que même le courant trotskyste (dont Axelrad provenait) pouvait user d’un déterminisme économique réducteur. Ernest Mandel, le théoricien de la IVe Internationale, parlait d’une « rationalité » partielle du travail forcé dans les camps nazis, les crimes de l’« impérialisme allemand » devant être placés sur le même plan que les « crimes du colonialisme à l’époque du commerce africain d’esclaves et de la conquête espagnole des Amériques », ce qui tendait à gommer la dimension qualitativement nouvelle du phénomène génocidaire au XXe siècle.

Physicien de profession, sa connaissance du sujet alliée à son adhésion totale au « matérialisme dialectique » le qualifiaient particulièrement pour rapporter lors de réunions générales de son organisation (Parti communiste international – PCI) sur le thème « Marxisme et science bourgeoise » (Turin, 6-7 avril 1968).

Dès le début des années 60, il fut l’un des principaux dirigeants de cette organisation internationale, insistant sur la nécessité d’un « parti réel » d’intervention. Il fut aussi un vulgarisateur du « matérialisme dialectique », que certains, comme Jacques Camatte, militant du « parti » jusqu’en 1966, trouvaient fort sommaire dans ce culte mystique de l’anonymat : « …l’article anonyme a odeur de banalité à la Axelrad ! ». Par exemple Martin Axelrad – dans une critique « matérialiste » de l’« idéalisme » de Sartre (1966) – lâchait cet aveu : « Que le lecteur se rassure : nous ne sous sommes pas infligé la lecture des 800 pages de M. Sartre. Qu’il ne s’indigne pas : nous ne ferons pas la critique de ce livre que nous n’avons pas lu ». Axelrad resta néanmoins toujours un lecteur attentif de Sartre dont il avait lu à fond en 1949 L’Etre et le Néant, puis les recueils philosophiques (Situations). Son matérialisme, très proche de celui de Paul Nizan Les Matérialistes de l’Antiquité, 1936) s’appuyait beaucoup sur un matérialisme grec jugé indépassable : cette question, écrivait-il, « a été clarifiée une fois pour toutes par les Grecs » (1968).

En 1979, face à de nécessaires réflexions méthodologiques sur les rapports entre science biologique (Le Hasard et la Nécessité de Monod) et déterminisme marxiste, il évacuait le problème en affirmant : « …un virus nouveau a gagné cette invraisemblable province théorique qu’est le Tout-Paris littéraire : l’épistémologie est à la ‘pensée’ ce que la pollution est à la vie quotidienne, une mode, une préoccupation mondaine ». L’utilisation de l’outil « matérialiste dialectique » dans la science contemporaine passait par un retour à la philosophie de Lénine exposée dans Matérialisme et empiriocriticisme (1908), selon laquelle même la « gnoséologie » (= épistémologie) est traversée par « une lutte de parti » opposant le « matérialisme dialectique » et les « tendances et l’idéologie des classes ennemies de la société contemporaine ».

Politiquement et organisationnellement, Martin Axelrad essaya toujours de suivre une ligne prudente, répétant souvent dans les réunions publiques de son « parti » que l’on « ne pouvait sauter plus haut que de cul on a ! ». Ses camarades après 1982, date du séisme qui désagrégea tout le courant international « bordiguiste », jugèrent qu’il avait sa « part de responsabilité dans les erreurs et les faiblesses qui conduisirent finalement à la grave crise politique qui culmina dans le parti ».

Pourtant, au cours de cette crise, il fut à un moment donné - selon ses anciens camarades - pratiquement « le seul dans la direction internationale du parti à s’opposer franchement aux « dérives scissionnistes » de certains éléments parisiens d’El-Oumami » [« L’Internationaliste »], section algérienne du Parti communiste international qui voguaient « vent en poupe » vers le nationalisme arabe et palestinien. Pour d’autres « anciens » (Lucien Laugier*), au contraire, l’idéologie du « palestinisme » (« Palestine vaincra ! ») avait depuis longtemps opéré son œuvre de désagrégation. Une note de bas de page (anonyme) rajoutée et insérée dans une réédition de « Auschwitz ou le grand alibi » en 1978 affirmait que les « masses palestiniennes… ferment révolutionnaire [souligné dans le texte]… constituaient l’élément moteur de la lutte de classe au Moyen-Orient qui devrait s’intégrer à la lutte du prolétariat mondial », en raison de leur lutte contre l’« État colonial » d’Israël.

Hostile au « cours liquidateur qui devenait manifeste, il n’eut cependant pas la force de faire plus que de démissionner ». Dans une lettre circulaire du 23 septembre 1982 adressée à toutes les sections, il exprima pour la première fois son point de vue, tout personnel : cette crise était « comme un échec personnel. Tous les matériaux ont leur “point de rupture” et cassent sous une tension trop forte. J’ai été cassé par cette crise, et un militant cassé ne se recolle pas ».

Après 1982, il se retira du « militantisme politique actif », se consacrant de temps à autre à des activités de réflexion sur le matérialisme aujourd’hui à l’occasion de colloques scientifiques.

Cette période de crise dans son « parti » coïncida avec la tentative de détournement par Pierre Guillaume (1940) – actif un temps dans « Socialisme ou Barbarie » puis dans « Pouvoir ouvrier » (1960-1968) – de Auschwitz ou le grand alibi de Bordiga (écrit vingt ans plus tôt par Axelrad !). Ami du mystificateur négationniste Robert Faurisson (1929) et du pornographe néonazi Michel Caignet (1954), Pierre Guillaume, qui venait de créer les « Éditions de la Vieille taupe » (1979), prétendit « prouver » que « les Juifs étaient morts de faim et de froid » et qu’en conséquence la principale arme du crime (les chambres à gaz) n’avait jamais existé. La rapide évolution vers l’extrême droite de Guillaume, dès 1985, démontra qu’il fit le choix conscient de s’acoquiner avec une extrême droite qui avait jadis trempé dans la collaboration avec le nazisme, jusqu’à l’aider dans son entreprise d’extermination des Juifs.

Selon Lucien Laugier – dans une lettre de réponse adressée (8 juin 1988) au professeur canadien Werner Cohn –, s’il était parfaitement clair qu’il « n’y a jamais eu de rapports individuels ou organisationnels entre les ‘bordiguistes’ et les militants de la ‘Vieille Taupe’ » et que le « reprint » sauvage de Pierre Guillaume – à plusieurs reprises à partir de 1969 – « n’a fait l’objet d’aucune consultation des gens du PCI », il n’en demeurait pas moins que ceux-ci « n’ont aucunement désapprouvé, y trouvant au contraire une certaine satisfaction d’amour propre politique ».

Valérie Higounet, puis Christophe Bourseiller ont tenté de démontrer que Auschwitz ou le grand alibi était « le » texte fondateur du « négationnisme de gauche », en dépit de vives protestations publiques (1996) de « libertaires et ‘ultra-gauche’ », tels Gilles Dauvé et Serge Quadruppani, ou Louis Janover, auteur de Nuit et Brouillard du révisionnisme, sur un autre plan.

Néanmoins, malgré sa rupture avec son organisation, Martin Axelrad veilla à s’exprimer publiquement (mais très tardivement), non sur les protagonistes de l’« Affaire Guillaume-Faurisson », mais sur une « diabolisation » de son écrit de parti, catalogué de « négationniste » par un « mouvement de résistance et de vigilance antifasciste » (proche de la LCR), qui prenait l’étiquette de « Ras l’Front » (= Ras le bol du Front national). Ce mouvement, qui, disait Axelrad, ne semblait pas avoir lu son article parlant « de l’extermination des juifs, des camps de la mort, des fours crématoires et de la barbarie nazie en général, comme un fait avéré, d’une évidence criante ».

Sous la pression des événements, Axelrad donna son testament politique par un texte rendu public (non signé, mais daté : mai 2001) dans Le prolétaire : « Auschwitz ou le grand alibi. Ce que nous nions et ce que nous affirmons », écrit pour répondre à une campagne de presse où le « bordiguisme » était accusé d’être un mouvement « rouge-brun », l’incarnation même de la « perversion négationniste » niant la réalité du génocide juif.

Sous une forme didactique, et même scolastique (nous nions… nous affirmons…), Axelrad abordait la question politique de la lutte contre le fascisme (y inclus le Front national). Il niait avoir « ‘renvoyé dos à dos’… les nazis et les autres impérialismes, la démocratie et le fascisme », appelait au contraire « à combattre les uns et les autres, sur la base des exigences immédiates et historiques propres au prolétariat et en dehors de toute alliance contre nature », seule façon d’« entraîner certaines couches petites-bourgeoises dans une vraie lutte contre le racisme, contre le fascisme et la domination bourgeoise en général ». Dans ce cadre-là, une « propagande antifasciste » ne pouvait « se faire que sur la base d’une sérieuse propagande anticapitaliste », sans dissimuler « les crimes des États démocratiques ». L’extermination des Juifs d’Europe ne pouvait en aucun cas « servir d’excuse à quelque racisme, oppression ou massacre que ce soit », y inclus en Israël. Il rappelait que les « États démocratiques », en dépit de leur « croisade » contre « le dragon nazi, fasciste ou nippo-impérial » « avaient [auparavant] toléré et aidé à la prise du pouvoir par les nazis ».

Comme Martin Axelrad le répéta souvent, s’il avait « physiquement échappé aux camps nazis », il « n’y avait pas échappé politiquement ».

Cette brochure aura néanmoins suscité internationalement un large débat sur la validité d’une approche « économiste » par le marxisme du phénomène génocidaire : la Shoah, d’abord, mais aussi les autres génocides (arménien, khmer, tutsi, etc.), qui ne répondent à aucune espèce de « rationalité » économique. Pour Enzo Traverso, le génocide juif a été par nature « antiéconomique », sans aucune « rationalité » capitaliste. Son caractère « unique », « dans un contexte plus large de crimes et de violence racistes », correspond à une volonté nouvelle d’éliminer un « groupe humain pour des raisons de biologie raciste ». Auschwitz témoignerait que le « progrès économique et industriel » du capitalisme « n’est pas incompatible avec une rétrogression humaine et sociale ». Pour l’universitaire américain Alan Milchman, le fondement d’une causalité dialectique passe par un « rejet du modèle base/superstructure » propre au « marxisme orthodoxe » ainsi que de « toute tendance prononcée au déterminisme économique ». Auschwitz exprimerait les « tendances immanentes du capitalisme décadent » à « biologiser et racialiser l’Autre ». Pour lui, le « récit de l’Holocauste ne peut pas être écrit au passé, tant que le monde créé par la domination réelle du capital reste intact » : un monde d’absolue domination par la science et la technologie, où la surpopulation et l’exclusion par le profit démultiplient « le racisme et la haine envers l’Autre ».

L’universitaire américain Loren Goldner affirme que toute assimilation du texte d’Axelrad à du « négationnisme » à la Pierre Guillaume serait à mettre en parallèle avec la tentative d’écrire l’équation simpliste communisme = nazisme – comme dans Le Livre noir du communisme. Son « objectif serait de convaincre » qu’« il n’existe pas d’alternative à la spirale descendante dans laquelle nous entraîne le capitalisme mondial ».

Martin Axelrad était fier d’avoir été un « manuel » en contact avec la matière (ce qui se retrouvait dans sa pratique de la sculpture). Marxiste et universitaire, il manifesta toujours une méfiance viscérale envers l’esprit de « cercle académique », conception véhiculée, selon lui, par Jacques Camatte et Roger Dangeville.

Quelques années avant sa mort, il publia sous le pseudonyme de Max Aplboïm deux ouvrages :

Peu de temps avant sa mort (2006-2008), Martin Axelrad s’adonnait à la peinture surréaliste, à la sculpture, et à l’écriture. Il publia sous le pseudonyme de Max Aplboïm deux ouvrages. Le premier était un roman policier et d’espionnage intitulé Un jambon beurre pour le rabbin, un divertimento sur la question sans réponse de l’essence du « peuple juif ». Marqué par l’œuvre du philosophe britannique J. L Mackie consacrée au « miracle du théisme » (Axelrad se faisait appeler Mackie), il publia un recueil de lettres philosophiques, dédié à Engels – Dieu n’existe pas –, dirigé contre la conception spiritualiste d’un « dessein intelligent » dans le mouvement de la matière.

Atteint d’une grave maladie, Martin Axelrad mourut à Rome en août 2010. Militant depuis longtemps pour « le droit de chacun à décider de sa propre fin », son dernier combat a été d’« obtenir des médecins qu’ils cessent l’acharnement thérapeutique et le laissent mourir en paix ».

Mais même dans sa tombe, Martin Axelrad, par son écrit de parti, continue de susciter des polémiques. Peu après son décès, une organisation « Lutte ouvrière » se voyait accusée d’avoir « favorisé » les thèses négationnistes lors de ses fêtes en laissant exposer Auschwitz ou le grand alibi. Brochure « contestable » par son « titre provocant », selon LO, mais qui « n’en décrivait pas moins une certaine réalité : le génocide servant d’alibi aux dirigeants israéliens », « gendarme du monde arabe », dans le but de « justifier une politique qui nie tous les droits nationaux du peuple palestinien ».

Auschwitz ou le grand alibi, qui dénonçait la "responsabilité partagée" du "capitalisme mondial" dans le génocide juif, reste donc, un demi-siècle plus tard l’objet de controverses sur la question de l"antifascisme" et de son utilisation idéologique.

Sa fille, Catherine Axelrad, professeur d’anglais, et romancière réputée, a tenté de faire revivre dans son roman La Varsovienne (1990) le militantisme de ses parents (‘Christian’ et ‘Eva’) au sein du « Mouvement des communistes authentiques », pour « le vrai communisme », celui qui « abolirait les frontières, les drapeaux nationaux et les guerres fratricides ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article145639, notice AXELRAD Martin, dit Jean-Pierre, ou Nicolas, ou Mackie par Philippe Bourrinet, version mise en ligne le 18 mars 2013, dernière modification le 11 septembre 2015.

Par Philippe Bourrinet

Martin Axelrad
Martin Axelrad

ŒUVRE : (anonyme) « Auschwitz ou le grand alibi », n° 11 de la revue Programme Communiste 1960. – http://www.marxists.org/francais/bordiga/works/1960/00/bordiga_auschwitz.htm
(anonyme) « Matérialisme ou idéalisme ? (À propos de la « Critique de la raison dialectique » de J.-P. Sartre) », Programme Communiste, n° 36, juillet-septembre 1966, p. 38-56. — (anonyme) « Marxisme et science bourgeoise », Programme communiste, n° 43-44, janvier-juin 1969, p. 77-95. — (anonyme) Sur « Le Hasard et la Nécessité » : Comment Monsieur Monod terrasse la dialectique, Programme communiste, n° 58, avril 1973. — (anonyme) « À propos de la polémique sur notre texte ‘Auschwitz ou le grand alibi’ : Ce que nous nions et ce que nous affirmons », Le Prolétaire, mai 2001. — — Martin Axelrad : « Déterminisme et Univers », Fundamenta Scientae, vol. X, n° 2, 1989, p. 171-180. — Martin Axelrad, « Du déterminisme laplacien au déterminisme dialectique », contribution au colloque scientifique tenu à l’Institut Goethe de Paris, 11-12 septembre 2003, qui ne fut pas publiée dans les Actes de ce colloque : Jean Dubessy (dir.), Guillaume Lecointre (dir.) et Marc Silberstein (dir.), Les matérialismes (et leurs détracteurs, Syllepse, Paris, 2004. — (Max Aplboïm) Un jambon-beurre pour le rabbin, Portaparole, Rome, 2006. — Dieu n’existe pas, Portaparole, Rome, 2008.

SOURCES  : Témoignages écrits et oraux d’anciens membres du Parti communiste international (2013). — Archives d’État de Genève : « Personnes enregistrées à la frontière genevoise durant la Deuxième Guerre mondiale » : Martin Axelrad. Journal officiel du 11 avril 1954 (décret n° 7034x53-75 du 5 mars 1954). — Jacques Camatte, « Scatologie et résurrection », Invariance, Brignoles, nov. 1975. — « Nouvelles attaques contre ‘Auschwitz ou le grand alibi’ », Le prolétaire, n° 454, juillet-août 2000 : http://www.sinistra.net/lib/upt/prolac/muua/muuainucaf.html. — Le prolétaire, n° 497, juillet-octobre 2010, « Martin Axelrad ». — Lutte de classe, n° 130, 24 septembre 2010 : http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-actuelle-1993/article/michel-dreyfus-lutte-ouvriere-et. — Il Comunista, n° 118, Milan, oct. 2010, « Martin Axelrad ». — “Lutte Ouvrière, les ‘bordiguistes’ et Auschwitz ou le grand alibi : à propos d’une ‘mise au point’”, Le prolétaire, n° 500, mai-septembre 2011.
OUVRAGES ECLAIRANT LE DEBAT : Léon Poliakov, La condition des juifs en France sous l’occupation italienne, Paris, Centre de documentation juive contemporaine, n° 3, 1946. — Ernest Mandel, The meaning of the Second World War, Verso, Londres, 1986. — Pierre Vidal-Naquet, « Un Eichmann de papier » (texte de 1980) et « Anatomie d’un mensonge » in Les assassins de la mémoire, La Découverte, Paris, 1987. — (Collectif) Libertaires et ultra-gauche contre le négationnisme, No Pasarán, Réflex, 1996. Préface de Gilles Perrault.. — Stéphane Courtois et alii, Le livre noir du communisme, Laffont, Paris, 1997. — Enzo Traverso, « Auschwitz, Marx et le XXe siècle », Pour une critique de la barbarie moderne. Écrits sur l’histoire des Juifs et de l’antisémitisme, Éditions Page deux, Lausanne, 1997. — Valérie Higounet, Histoire du négationnisme en France, Seuil, Paris, 2000. — Christophe Bourseiller, L’Histoire générale de “l’ultra-gauche”, Denoël, Paris, 2003. — Alan Milchman, « Marxism and the Holocaust », in Historical Materialism 11 (3), Londres, 2003, p. 97-120. – http://www.historicalmaterialism.org/ — Loren Goldner, « Ce que raconte et surtout ce que ne raconte pas l’Histoire générale de l’ultra-gauche de Christophe Bourseiller », Agone n° 34, Marseille, 2005, p. 237-253. – http://atheles.org/agone/revueagone/index.html . — Michel Dreyfus, L’Antisémitisme à gauche. Histoire d’un paradoxe, de 1830 à nos jours, La Découverte, Paris, 2010.

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