MERCIER Albert, Élie, Pierre

Par Claude Roccati

Né le 20 juin 1933 à Mathay (Doubs), mort le 28 avril 2008 à Osny (Val-d’Oise) ; modeleur-mécanicien ; secrétaire de l’Union des métaux de Franche-Comté CFTC puis CFDT (1960-1966), secrétaire national de la Fédération générale de la Métallurgie CFDT (1966-1976), membre de la commission exécutive de la CFDT, chargé successivement de l’action revendicative (1976-1982), du secteur société et libertés (1982-1984) et du secteur international (1984-1988).

Albert Mercier
Albert Mercier

Issu d’une famille modeste d’agriculteurs, Albert Mercier était le dernier de neuf enfants. Ses parents, Gustave et Marguerite (née Fresard), tous deux nés en 1890, originaires de Goumois, s’étaient installés sur le plateau de Maîche, entre Dambrichard et Goumois (Doubs), tout proche de la frontière suisse. Son père avait appris le métier de cordonnier mais ne l’exerçait plus et s’employait comme ouvrier agricole dans les fermes de la région. Étant parvenu en 1929 à obtenir un poste de tourneur aux cycles Peugeot, il vint vivre avec sa famille dans la région de Montbéliard (Doubs). Sa mère, aidée de ses aînés, prit en charge une petite ferme à Mathay, l’unique salaire d’ouvrier spécialisé (OS) gagné à l’usine ne pouvant suffire à nourrir la famille nombreuse. La guerre fut une période sombre : si son père s’illustra dans la Résistance, approvisionnant les maquis voisins et utilisant la ferme pour héberger des combattants en quête de refuge, Albert Mercier perdit un de ses frères, abattu par les Allemands en pleine rue, et son frère aîné, blessé à Rethel (Ardennes), dut être rapatrié à Pau (Pyrénées-Atlantiques).

Albert Mercier était un bon élève, ce dont témoigna sa première place au certificat d’études primaires, au point que son instituteur convainquit ses parents de le laisser poursuivre ses études et d’engager une formation au collège technique pour apprendre le métier de modeleur-mécanicien sur bois, une qualification reconnue dans la métallurgie et nécessitant la maîtrise d’un savoir-faire précis. Une fois le CAP en poche, il commença à travailler à l’âge de dix-sept ans comme ouvrier professionnel aux Aciéries du Doubs puis à la fonderie Wyss.

C’est en découvrant le milieu professionnel qu’il se lança dans le militantisme syndical. Bien qu’il ait été élevé dans la foi catholique et fût membre de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), il n’adhéra pas à la CFTC par conviction religieuse. Il fallut qu’il mesurât l’importance de l’organisation du travail, des contraintes sur les ouvriers, du poids des cadences et de la productivité conditionnant le montant des salaires. Impressionné par l’activité d’un délégué, il le suivit et adhéra à la CFTC à la fin de l’année 1952.

En 1956, à son retour du service militaire, il parvint à entrer aux usines Peugeot de Sochaux (Doubs), pour travailler aux ateliers de fonderie, ce qui représentait à l’époque une situation enviable, garantissant un bon revenu et la sécurité de l’emploi. Après quelques mois, il devint délégué du personnel, grâce à une dérogation de l’Inspection du travail. Dans des usines où les syndicats se développaient par atelier, la section CFTC était dynamique et Albert Mercier participa à son évolution, avec d’autres militants de sa génération qui partageaient son esprit combatif et unitaire, à l’inverse de leurs aînés proches du Mouvement républicain populaire (MRP). Il se dépensa pour augmenter le taux de syndicalisation, sa section passant en quelques années d’environ 800 à 2 600 adhérents, bataillant contre les clauses anti-grèves incluses dans les accords de 1955 que la CFTC avait signés, au contraire de la CGT. À la même période, révolté par la politique colonialiste qu’il avait observée en Tunisie lors de son service militaire, il s’engagea pour l’indépendance de l’Algérie en rendant service aux Algériens en lutte, de l’impression de tracts au convoyage de fonds. Alors qu’il aurait pu être inquiété par les autorités, il fut seulement condamné pour avoir écrit des slogans sur les routes.

Ces premières années de militantisme s’accompagnèrent d’une adhésion au Parti socialiste autonome (PSA), certainement influencée par ses camarades militants, en particulier les frères Minazzi. Mais il abandonna toute activité politique en 1960 lorsqu’il fut appelé par Jean Maire pour lui succéder comme secrétaire de l’Union des métaux de Franche-Comté, considérant qu’il ne pouvait mener de front activité syndicale et politique à partir du moment où un mandat était exercé. Auparavant, il avait fait part de sa disponibilité pour aller aider à la syndicalisation de la région marseillaise. Finalement, demeuré en Franche-Comté comme secrétaire des Métaux, il se trouva plongé, dès son arrivée, dans les grandes négociations sur les classifications lancées par Peugeot. Sous son mandat, la région connut plusieurs conflits durs qui l’amenèrent à lutter pour la réintégration de syndicalistes licenciés. En tant que responsable régional, il découvrit également l’action syndicale au sein d’autres secteurs d’activités, comme les horlogeries du Doubs, des petites entreprises paternalistes pour lesquelles il fallait adapter la structure syndicale.

En tant que permanent, il devint membre du conseil de la Fédération générale de la métallurgie (FGM) et se familiarisa peu à peu avec le secrétariat fédéral, au point d’intégrer la commission exécutive en 1965. L’année suivante, il fut sollicité pour être secrétaire national, ce qui entraîna le déménagement de sa famille à Pierrefitte-sur-Seine (Seine, Seine-Saint-Denis). Il prit en charge l’Union fédérale automobile et se trouva ainsi en première ligne pour suivre les grèves qui animèrent l’année 1968, de la SAVIEM de Caen (Calvados) jusqu’aux usines Renault et Peugeot durant les événements de mai. Il fut également responsable du secteur politique et du sous-secteur formation, collaborant en particulier avec Pierre Jeanne puis André Acquier sur le problème des conditions de travail. En 1971, il fut nommé secrétaire général adjoint et ajouta à ses responsabilités la direction du Bulletin du militant. Durant ces années marquées par les grèves d’OS, l’action revendicative était au cœur de ses préoccupations, comme le démontra le rapport qu’il présenta au congrès de Grenoble en avril 1974, rapport intitulé « Une stratégie d’action pour tous les métallurgistes ». Cependant, sa conception de l’action revendicative pouvait s’éloigner de celle de la confédération, imaginée par les équipes de Frédo Krumnow puis de Michel Rolant*, dont il contestait le caractère parfois trop idéologique. Le contexte de l’après-68 favorisa en effet un renouveau contractuel très attendu dans la métallurgie, entraînant la signature de conventions collectives et la négociation d’accords nationaux (accord sur les conditions générales de l’emploi, accord de mensualisation du 10 juillet 1970, accords sur la réduction du temps de travail entre 1968 et 1973). Albert Mercier participa en particulier aux très longues discussions nationales sur les classifications – qui débouchèrent sur l’accord du 12 juillet 1975 que la FGM refusa de signer.

En 1976, il entra à la commission exécutive de la CFDT car il apparaissait nécessaire qu’un membre de la FGM fût présent dans l’équipe entourant Edmond Maire. Sa désignation pouvait paraître étonnante car il ne fréquentait guère les réunions confédérales et n’était même pas le représentant de sa fédération au bureau national. Jacques Chérèque, dont il était le secrétaire général adjoint à la FGM, aurait pu logiquement le devancer au sein de l’exécutif confédéral (il devint membre de la commission exécutive trois ans plus tard). Mais Albert Mercier arriva fort de son expérience fédérale pour prendre en main le secteur de l’action revendicative, dont il partagea la responsabilité jusqu’en 1980 avec Jeannette Laot. Libre de choisir les membres de son équipe, il privilégia des responsables de « terrain » ayant expérimenté l’unité d’action au niveau local. Son objectif était de faire de la CFDT un interlocuteur crédible dans les négociations, ce qui signifiait non seulement élaborer une plate-forme d’objectifs revendicatifs – la « plate-forme de revendications et d’objectifs immédiats » fut publiée en 1977 –, mais également renouer le contact avec les partenaires syndicaux et gouvernementaux. À partir du mois de décembre 1977, il rencontra régulièrement et discrètement François Ceyrac en compagnie de Jacques Moreau*. Il fit également partie des délégations de la CFDT reçues par le président de la République et le Premier ministre à l’issue des législatives de 1978. Plusieurs terrains de lutte l’occupèrent, en particulier la durée de travail, la revalorisation du SMIC, le droit d’expression des travailleurs dans l’entreprise.

Au sein de la commission exécutive, Albert Mercier représentait la voix à la fois ouvriériste, par son métier d’origine, et professionnelle, par son expérience fédérale. Au fil de sa carrière, il fut systématiquement précédé d’une réputation dont il se désolait et qu’il attribuait à son identité « métallo » ; son franc-parler et son caractère, « brut de décoffrage », qui déjà, jeune conscrit, l’avait conduit à prolonger son service militaire de six mois pour avoir trop tendance à sortir du rang, pouvaient le faire paraître « indomptable », selon le mot de Michel Noblecourt. La fin de son parcours confédéral obéit plutôt à des enjeux internes. Il se retrouva trois ans à la tête du secteur société et libertés, où il prit notamment en charge le secrétariat immigré, jusqu’en 1984, puis trois ans à la tête du secteur international (1984-1988), alors qu’il ne parlait aucune langue étrangère et avouait son peu de goût pour les voyages. Il infléchit la politique internationale de la confédération en conduisant l’adhésion de la CFDT à la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) et la transformation de l’Institut syndical de coopération technique international (ISCTI) en Institut Belleville. Il se découvrit un certain intérêt pour les questions européennes, dont le combat pour la création d’un espace social lui apparut comme la poursuite de l’action revendicative qu’il avait toujours privilégiée, au point d’accepter, à son départ de la commission exécutive, le poste de représentant au Conseil économique et social européen.

En 1988, affaibli par des ennuis de santé, il quitta la confédération. Il exerça un mandat de quatre ans au Conseil d’État dans l’attente de sa retraite. Sa femme, Simone Epergue, institutrice à Voujeaucourt (Doubs) au moment de leur rencontre, épousée le 6 février 1961 à Audincourt, et avec laquelle il eut un fils, Paul, et deux filles, Françoise et Anne, milita au SGEN.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article145992, notice MERCIER Albert, Élie, Pierre par Claude Roccati, version mise en ligne le 12 avril 2013, dernière modification le 19 septembre 2017.

Par Claude Roccati

Albert Mercier
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SOURCES : Arch. interfédérales CFDT : fonds FGMM (réunions statutaires, dossier du secrétariat). — Arch. confédérales CFDT : entretien avec Pierre Autexier et Louisette Battais, 20 février 1989. — Notice nécrologique de Michel Noblecourt, « Albert Mercier, ancien dirigeant national de la CFDT, il incarnait un syndicalisme populaire », Le Monde, 10 mai 2008. — Frank Georgi, Soufflons nous-mêmes notre forge. Une histoire de la Fédération de la métallurgie CFTC-CFDT 1920-1974, Les Éditions ouvrières, 1991. — Hervé Hamon et Patrick Rotman, La deuxième gauche. Histoire politique et intellectuelle de la CFDT, Ramsay, 1982. — Nicolas Hatzfeld, Des gens d’usines. Cinquante ans d’histoire à Peugeot-Sochaux, Les Éditions de l’Atelier, 2002. — Georges Minazzi, En marche. Trente ans de lutte à Peugeot-Sochaux. L’itinéraire d’un militant, Éditions Syros, 1978. — Entretien avec Simone Mercier, février 2013.

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