NIEDERHEF Michel, Raymond, Marie

Par Claude Roccati

Né le 16 mars 1930 à Mergey (Aube) ; ouvrier agricole ; secrétaire général du Syndicat libre des travailleurs de la terre d’Oranie CFTC (1958-1962), puis du syndicat des travailleurs agricoles de la région d’Oran UGTA (juillet 1962-janvier 1963).

Michel Niederhef grandit dans un village de l’Aube. Il n’avait que deux ans quand son père, petit ouvrier dans la bonneterie, se retrouva veuf avec cinq enfants à charge. Attiré par le monde rural, le jeune Michel quitta l’école avec son certificat d’études et s’employa aussitôt, dès l’âge de quatorze ans, comme ouvrier agricole dans les fermes des environs. Ayant fait la connaissance d’un négociant en vin qui, possédant trois exploitations dans la région d’Oran, lui avait proposé de le rejoindre en Algérie, Michel Niederhef débarqua à Oran en août 1946. Arrivé au moment des vendanges, il travailla quelques semaines dans la cave d’une ferme située à Aïn-el-Arba avant de se familiariser avec la conduite des tracteurs. Il rejoignit ensuite une grande exploitation, la ferme du Khémis, près de Saint-Maur-d’Algérie, qui couvrait environ 1 800 hectares et employait une centaine d’ouvriers. Il y fut rapidement chargé de quelques responsabilités, notamment le contrôle des ouvriers aux champs, la tenue de la comptabilité et la distribution de la paye chaque semaine. Logé à la ferme avec d’autres Européens, côtoyant à la fois les ouvriers algériens, tous analphabètes, et, par l’intermédiaire de son employeur, la société des colons, il prit peu à peu conscience de la dureté du régime colonial.

À dix-neuf ans, il devança l’appel pour s’engager volontairement dans l’armée, ce qui lui permettait de choisir son corps d’arme. Remarqué durant son instruction, il intégra l’école des élèves gradés dont il sortit maréchal des logis. Il fut immédiatement envoyé en Indochine et débarqua à Saïgon en mars 1950, affecté au 6e GSMP (groupe de spahis marocains à pied) pendant vingt-sept mois. Il en profita pour parfaire sa connaissance de l’arabe et de la conduite des hommes.

Michel Niederhef ne contestait pas les motivations de la guerre, il s’apprêtait d’ailleurs, à l’été 1953, à repartir en Indochine, lorsqu’il lui fut proposé de revenir au Khémis avec la perspective de succéder au gérant. Il se lança alors dans l’action militante, fortement influencé par la Jeunesse agricole catholique (JAC) et en particulier Élie Protot, le permanent qui avait été envoyé pour dynamiser la région oranaise. Animé par de fortes convictions religieuses, fréquentant l’Église, Michel Niederhef s’engagea pleinement dans ce mouvement dont le discours, dénonçant l’inégal traitement entre Français et Algériens et les injustices produites par le régime colonial, correspondait à ses convictions. Après son mariage en 1955 avec Thérèse Madier, fille du gérant du Khémis, il poursuivit son engagement au sein du Mouvement familial rural (MFR) et créa une association familiale à Aïn-el-Arba, association qu’il souhaitait ouverte à toutes les familles, françaises comme algériennes, sans rencontrer le succès espéré. Il désira agir pour améliorer les conditions de vie des ouvriers agricoles dont il était très proche quotidiennement. Encouragé par l’évêque d’Oran, Mgr Lacaste, auprès de qui il avait pris conseil et profitant de vacances passées en France à l’été 1957, il entra en contact avec la Fédération générale de l’agriculture CFTC (FGA), par l’intermédiaire de son trésorier Jean Villot, qui lui fit rencontrer Jean Haniquaut, le secrétaire général. Ce dernier le dirigea vers l’UD-CFTC d’Oran, en particulier vers Léonce Duchemin, le principal animateur, employé à la mairie d’Oran, directeur du bureau de bienfaisance, qui avait participé à la création de l’association « Fraternité algérienne ».

Entre-temps les « événements » d’Algérie se précipitaient et Michel Niederhef se retrouva entraîné dans un camp qu’il n’avait pas vraiment choisi. Imprégné de la doctrine sociale de l’Église, il était soucieux du respect de la personne humaine. En avril 1957, après des exactions commises dans des exploitations de la région, il intervint auprès des autorités pour prendre la défense des ouvriers agricoles du Khémis qui avaient été arrêtés. Il alla jusqu’à témoigner à leur procès, ce qui signifiait contester le discours des autorités.

Il profita du climat de « fraternisation » qui survint après le 13 mai 1958 pour créer le Syndicat libre des travailleurs de la terre d’Oranie. La première assemblée générale, le 15 juin, rassemblant 35 ouvriers dans une grange du Khémis, constitua un bureau de cinq membres qui élirent Khatir Chabane président et Michel Niederhef secrétaire général. Très vite 90 ouvriers du Khémis se syndiquèrent. Les difficultés cependant étaient nombreuses. Dans un contexte où les syndicats étaient inexistants, tant pour des raisons structurelles qu’à cause de l’interdiction des organisations nationalistes et communistes, les relations avec les autorités étaient problématiques, certains maires, inspecteurs du travail ou militaires n’hésitant pas à multiplier les obstacles. Le syndicat lutta en particulier pour faire respecter la réglementation en matière de congés payés, de licenciement, et obtint, à force d’acharnement, la mise en œuvre de la durée légale de travail pour le département d’Oran. Il pouvait compter sur l’aide apportée par la FGA, grâce à une correspondance régulière avec ses dirigeants qui le conseillaient et lui transmettaient de la documentation. Lucien Cavelier, son secrétaire général, vint même visiter le syndicat à Aïn-el-Arba en décembre 1961. Michel Niederhef parvint également à diffuser un bulletin mensuel, El Mer’boun (« L’accablé »), écrit en français et en arabe grâce à l’aide apportée par l’interprète du tribunal d’Aïn-el-Arba, Abdelkader Driff, lequel le conseillait également pour les actions menées en justice par le syndicat. Cette publication pouvait apparaître peu utile pour des ouvriers dont beaucoup étaient illettrés, mais elle permit de faire connaître le syndicat au-delà d’Aïn-el-Arba.

Michel Niederhef put se consacrer entièrement au syndicat après avoir été licencié du Khémis en février 1959. Embauché dès lors comme permanent CFTC, il ouvrit une permanence à Aïn-el-Arba et multiplia les tournées de propagande dans la région d’Aïn-Temouchent et d’Oran. Parallèlement, il fut élu administrateur à la caisse régionale des assurances sociales agricoles d’Aïn-Temouchent. Intégré à l’UD-CFTC d’Oran, il fréquenta les réunions de l’union régionale algérienne, participant en particulier à Alger au congrès régional de février 1959 qui vit les militants favorables à l’Algérie française s’opposer violemment à leurs responsables régionaux, Alexandre Chaulet et François Fraudeau. Il intervint également en 1959 au congrès confédéral de la CFTC au nom de la FGA.

Progressivement, le syndicat se développa au point de réunir à son apogée 800 adhérents environ. Mais Michel Niederhef dut interrompre son action lorsqu’après la signature des accords d’Évian, au plus fort des tensions, il fut victime d’une agression. La FGA le convoqua alors en France, sous le prétexte d’une session de formation, pour qu’il puisse y trouver provisoirement refuge. De retour en Algérie au début du mois de juin 1962, il entreprit aussitôt de relancer son syndicat et de préparer son affiliation à l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), l’organisation syndicale algérienne désormais en place. Cela se fit sans difficulté et l’adhésion fut votée le 29 juillet 1962. L’UGTA lui proposa alors de poursuivre son travail en le nommant secrétaire général du syndicat des travailleurs agricoles de la région d’Oran. Il maintint des échanges avec certains dirigeants de la CFTC, Gérard Espéret en particulier, qui restait très attentif au développement algérien. Durant ces premiers mois de reconstruction, il contribua au redémarrage des exploitations agricoles dans le cadre de l’opération « labour » en incitant les propriétaires terriens à la reprise du travail, quitte, en cas d’absence de ces derniers, à créer des comités de gestion sur les « biens vacants ». Il mit ainsi en œuvre les premières expériences d’autogestion – en allant chercher directement les directives au ministère de l’Agriculture à Alger –, organisées autour d’un conseil syndical réunissant les ouvriers et gérant collectivement la relance de la production. Cependant, en janvier 1963, peu de temps après avoir assisté au congrès de l’UGTA, il démissionna brusquement, refusant que l’organisation syndicale passe sous la coupe du parti unique, ce qui mit fin à sa carrière syndicale. Michel Niederhef ne se désintéressa pas pour autant de la question de l’autogestion. Devenu conseiller pour la gestion des « biens vacants agricoles » auprès du sous-préfet d’Aïn-Témouchent, Roger Mas, il collabora à la mise en place des comités de gestion dans l’arrondissement. Après la décision du gouvernement, en octobre 1963, de nationaliser toutes les terres détenues par les colons et l’établissement d’une administration spécifique sous l’autorité de l’Office national de la réforme agraire, modifiant fondamentalement la situation, il quitta la sous-préfecture. Néanmoins, à la demande de l’UGTA, il élabora un texte sur l’autogestion, en prenant l’avis des comités de gestion en place. Ce texte, qui devait être présenté au « congrès des fellahs » à Alger en novembre 1963 et représentait une contribution très concrète de la base à la future charte de l’autogestion en agriculture, fut remis au responsable oranais de l’UGTA. Il reçut un accueil chaleureux de la part des congressistes mais, dérogeant au cadre posé par l’administration, il fut délibérément écarté des débats. Michel Niederherf s’occupa une dernière fois d’autogestion lorsqu’à la demande encore de l’UGTA, il travailla deux mois, en mai et juin 1964, à ACILOR, une usine d’acier à la périphérie d’Oran, pour y remettre de l’ordre, mettant à profit l’expérience acquise dans l’organisation collective du travail. À l’été 1964, il fut embauché à l’évêché d’Oran à l’initiative d’un prêtre local, l’abbé Caporal, qui souhaitait créer un secrétariat social sur le modèle de celui d’Alger. Michel Niederhef participa notamment à la mise en place d’une bibliothèque d’ouvrages à caractère économique, social et politique à destination des techniciens, des universitaires et des coopérants.

À l’été 1968, il rentra en France avec sa famille où, grâce à ses anciens contacts syndicaux, notamment la FGA, il trouva un emploi à la chambre d’agriculture du Tarn à Albi. S’il adhéra encore à la CFDT, il refusa de prendre des responsabilités et préféra retourner à l’anonymat, consacrant son temps aux études débutées à l’université d’Oran en économie et en gestion, poursuivies jusqu’au doctorat à l’université de Toulouse, et à des engagements paroissiaux. Terminant sa carrière comme directeur du centre de gestion agricole du Cantal, il eut à cœur, durant sa retraite, entre autres activités, d’œuvrer pour le dialogue entre chrétiens et musulmans.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article145995, notice NIEDERHEF Michel, Raymond, Marie par Claude Roccati, version mise en ligne le 12 avril 2013, dernière modification le 19 septembre 2017.

Par Claude Roccati

SOURCES : Arch. interfédérales de la CFDT : fonds de la Fédération générale de l’agriculture : instances statutaires, courriers-départ secrétaire général (36G4-36G6). — Arch. Confédérales de la CFDT : correspondance Algérie (7H649). — Gérard Duprat, Révolution et autogestion rurale en Algérie, Armand Colin, Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, 1973. — Michel Launay, Paysans algériens. La Terre, la vigne, les hommes, Éditions du Seuil, 1963. — Roger Mas, La source des chacals (1962-1963). Témoignage, L’Harmattan, 2001. — André Nozière, Algérie : les chrétiens dans la guerre, Cana, 1979. — Entretien avec Michel Niederhef, février 2013.

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