Par Roger Vignaud
Né vers 1841 à Embrun (Hautes-Alpes) ; participant à la Commune de Marseille (Bouches-du-Rhône) ; élu député en 1872, 1876 et 1881.
Demeurant à Marseille, où Émile Bouchet exerçait la profession d’avocat. Républicain et Franc-maçon, Bouchet s’opposa à l’Empereur dès son plus jeune âge. Le 31 mars 1865, il participa à la création du projet d’école laïque pour les enfants. Membre fondateur de l’Association phocéenne de l’instruction, créée en juillet 1868 avec Crémieux, J.B. Brochier, Tardif, etc, et de l’Union démocratique. En juin 1869, il milita en faveur de l’élection de Léon Gambetta comme député de Marseille. L’année suivante, Bouchet se présenta aux élections cantonales sur la liste de l’Union Démocratique. Il était élu au second tour.
Après la proclamation de la République le 4 septembre 1870, Esquiros, administrateur supérieur des Bouches-du-Rhône, le nomma substitut du procureur. Il prit ses fonctions le 8 septembre. Lors de l’insurrection marseillaise du 23 mars 1871, Bouchet, ulcéré par les atermoiements et face à la position ambiguë du gouvernement versaillais, démissionna de ses fonctions judiciaires. Le soir même, il apprit qu’il venait d’être désigné par une délibération du club de la Garde nationale dont il était membre pour faire partie de la Commission départementale présidée par Gaston Crémieux qui siégeait à la préfecture depuis l’insurrection. Le 24 mars, il libéra le capitaine Roussier détenu dans les sous-sols de la préfecture. L’ancien substitut du procureur fut molesté par quelques insurgés qui n’appréciaient pas du tout son initiative. L’un d’entre eux le menaça même d’un revolver ; un autre l’ayant saisi par le bras, le plaqua à terre. Bouchet était écœuré. Il tenta néanmoins d’obtenir la libération du reste des prisonniers en otage mais sans grand succès. Il essaya également sans plus de résultat que le drapeau rouge hissé sur le balcon du bâtiment préfectoral soit retiré. Devant l’échec de ses démarches, il donna sa démission à la Commission. Le lendemain, alors qu’il se trouvait à la permanence du club de la Garde nationale, Crémieux vint demander à ce que la démission de Bouchet soit refusée. Les membres du Club à l’unanimité l’invitèrent à reprendre ses fonctions. Le 27 mars, face à la radicalisation du mouvement insurrectionnel, le Conseil municipal retira le mandat de ses trois délégués siégeant au sein de la Commission. Le Club de la Garde nationale en fit de même. Bouchet démissionna de nouveau. Il protesta par voie de presse. Le 4 avril, il ne participa pas au combat contre les troupes de Versailles.
Après l’échec de la Commune, Bouchet fut arrêté et écroué. Il fut déféré devant le Conseil de guerre et jugé du 12 au 28 juin avec les principaux protagonistes du mouvement insurrectionnel. Pour sa défense, Bouchet précisa que sa participation à la Commission départementale n’avait qu’un but de conciliation car le milieu dans lequel il évoluait le remplissait de dégoût. Lors de son réquisitoire, le procureur accusa l’ancien magistrat de forfaiture, affirmant que par sa présence Bouchet avait cautionné les actes insurrectionnels de la Commission et réclamant à son encontre la peine de mort. Les juges ne suivirent pas le réquisitoire. À la surprise générale, Bouchet fut acquitté le 28 juin 1871.
Au début de l’année 1872, il souhaita reprendre sa profession d’avocat et demanda à réintégrer le barreau de Marseille. Par décision du 26 avril, le Conseil de l’Ordre rejeta sa demande, considérant que l’engagement de Bouchet aux côtés de Gaston Crémieux avait fait de lui l’un des principaux instigateurs, même modéré, de la Commune ce qui l’entachait d’indignité définitive de réintégration. Les avocats, membres du conseil de l’ordre précisèrent : « Jamais le Barreau et la Magistrature ne toléreront qu’on puisse, sans blesser profondément tous les sentiments de l’honnêteté publique, étant substitut du Parquet le matin, se placer le même jour dans un milieu insurrectionnel pour prendre une part quelconque à des actes qui auront commencé par la mise sous surveillance et fini par la détention comme otages des autorités desquelles on relevait encore le matin. Par cette dernière considération, qui domine en importance toutes les autres, il y a, en dehors de toute acception politique un obstacle absolu à l’admission demandée ». Par décision en date du 17 août 1872, la Cour d’appel d’Aix en Provence confirma la délibération du Conseil de l’Ordre des Avocats. Depuis le 7 janvier 1872, Bouchet était élu député de la 4e circonscription de Marseille. Il fut réélu le 20 février 1876 et le 21 août 1881. Il fit partie de ces députés qui soutinrent à la Chambre l’amnistie des communards.
Par Roger Vignaud
SOURCES : Archives départementales des Bouches-du-Rhône ; côte : 2R.520 – jugement n° 63, registre d’ordre n° 11024 et Rapport du Conseil de guerre, Affaire du mouvement insurrectionnel du 4 avril 1871 à Marseille, Samat, Marseille 1871, 138 p. — Ugo Bellagamba, Les Avocats à Marseille, praticiens du droit et acteurs politiques (XVIIIe et XIXe siècles) Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2001 ; 577p.