OUSSEDIK Mourad

Par Vanessa Codaccioni

Né le 20 août 1926 à Bougaâ (Algérie), mort le 14 juin 2005 à Paris ; avocat du collectif FLN.

Issu d’une famille de notables kabyles, Mourad Oussedik naquit à Bougaâ, dans le département de Constantine. Interne au collège Eugène Albertini de Sétif, il a assisté, le 8 mai 1945, au meurtre d’un manifestant algérien par un policier européen en civil. Jusqu’alors relativement épargné par le racisme et la réalité de la colonisation, il fut définitivement marqué par la répression de la manifestation de Sétif et les massacres du Contantinois. Il subit alors une lente « révolution intérieure » selon ses propres termes qui le conduisit à s’isoler et à entrer dans une période de marginalisation. Son père, avocat, l’inscrivit au lycée Bugeaud à Alger et, après qu’il eut obtenu son deuxième baccalauréat en 1947, il entra à la faculté de droit. Vivant dans un grand appartement, Mourad Oussedik était alors plus préoccupé par les événements festifs propres à la jeunesse étudiante, et par la littérature américaine qu’il dévorait, que par l’engagement militant. Il refusa ainsi d’adhérer à l’Union générale des étudiants musulmans d’Algérie (UGEMA). Pour échapper au service militaire, il s’installa à Paris en 1949 et devint pendant trois ans surveillant au lycée Sainte-Barbe. Arrêté en 1952, il dut rejoindre la caserne de Satory. Licencié en droit, il retourna en Algérie en mai 1954. Libéré de ses obligations militaires, marié et père d’une petite fille, Yasmine-Angelique, née en avril 1953, il fit son stage au cabinet de son père et devint avocat à Bougie. Il plaida sa première affaire dès le lendemain de sa prestation de serment et travailla dur sous les ordres de son père qui, ayant eu un accident, fut immobilisé d’avril à octobre 1954.

Le 1er novembre 1954, la révolution algérienne éclatait et Mourad Oussedik plaida sa première affaire politique puisqu’il défendit un groupe de militants qui avaient scié des poteaux télégraphiques à Tazmalt, dans la vallée de la Soummam. Au printemps 1955, il fut constitué par les deux frères Didouche, dont l’un, Mourad, est le chef de la Wilaya II, et qui avaient été interceptés alors qu’ils transportaient des médicaments et de l’argent dans la région de Bougie. Si à cette date, Mourad Oussedik ne s’engagea pas au sein du Front de libération nationale, il n’en décida pas moins de militer de manière individuelle, et de participer à certaines activités d’aide à l’organisation frontiste comme la transmission de messages pour le FLN à l’extérieur des prisons. Ayant sévèrement « corrigé » l’un des commissaires de Bougie, connu pour les tortures qu’il infligeait aux Algériens arrêtés, Mourad Oussedik échappa de peu aux poursuites judiciaires. Mais il commença à être surveillé par les autorités. Cette surveillance était aussi alimentée par l’engagement de deux de ses cousins germains : Omar et Boualem Oussedik, très actifs au sein du FLN. À la même période un ami, officier de retraite en carrière, l’informa de son futur rappel comme réserviste. Il l’avertit aussi de sa possible élimination lors d’une opération militaire. Mourad Oussedik quitta l’Algérie le 12 septembre 1955.

Dès lors engagé dans la lutte au sein de la Fédération de France du FLN, il fut contacté par les avocats Amokrane Ould Aoudia et Ben Abdallah pour former le collectif d’avocats en charge de la défense des militants FLN en métropole. Avec ces deux avocats, il défendait les indépendantistes principalement arrêtés à Paris et dans les régions de Rouen, d’Orléans, de Pontoise et de Versailles. Il devint rapidement l’une des chevilles ouvrières du collectif, se chargeant principalement des finances de l’organisation. D’après un rapport de la Préfecture de police de Paris, il était à ce titre en « rapport régulier » avec le dirigeant Boumaza Bachir, recevant des « directives générales d’orientations » et l’argent nécessaire à la défense des inculpés. A partir de février 1958, le nom de Mourad Oussedik était donné à tous les chefs du FLN de Seine-et-Oise comme celui du « conseil » auquel il fallait s’adresser. C’est ainsi que parmi les très nombreux indépendantistes défendus, il devint l’avocat de Mohamed Acherfouche, alias Hamid, responsable de la région Nord-Ouest Pas-de-Calais et arrêté à Roubaix l6 janvier 1958, celui de Mohamed Ben Aïssi, l’un des responsables de la wilaya du Nord arrêté par la DST en août à Lille, ou encore celui de Bennour Boussad, alias Jean Lebrun, chef de la zone 2 de la wilaya de Paris-centre, et emprisonné à Fresnes la même année.

Au début de l’année 1959, Mourad Oussedik défendit aussi les auteurs de l’attentat manqué contre Jacques Soustelle de septembre 1958, qui comparaissaient devant le Tribunal militaire de Paris le 2 février 1959. Déjà pratiquée lors de précédents procès, la stratégie de défense du collectif FLN s’y exprimait plus clairement, passant par la revendication du statut de combattant pour les militants algériens et la récusation de la compétence du tribunal au nom de la situation de guerre entre la France et l’Algérie. La même année, il fut aussi l’un des avocats à l’origine du « scandale » de La Gangrène, qui réunissait cinq plaintes d’étudiants et deux témoignages dénonçant la torture. C’est lui qui sortit les textes de prison et qui les remit au bureau de presse du collectif dirigé par Jacques Vergès. Le livre, publié le 18 juin 1959 aux Éditions de Minuit, fut d’ailleurs le premier à être saisi sous la Ve République, ce qui entraîna une nouvelle vague de dénonciations de la guerre et de la violence exercée par les agents de l’État colonial.

En 1960, Mourad Oussedik plaida dans l’un des procès les plus retentissants de métropole, celui du réseau Jeanson, « le procès politique de la guerre d’Algérie ». Pour structurer la défense des accusés, Mourad Oussedik partit à Damas rencontrer Ali Haroun. Il participa alors à la bataille de procédure mise en œuvre par le collectif, mettant par exemple en cause l’interprète choisi par le tribunal, dénonçant deux juges, vus avec Pierre Sidos, le dirigeant du groupe d’extrême droite Jeune nation, ou insistant sur le fait que le mot « guerre » d’Algérie avait été prononcé par le général de Gaulle.

Pour cet engagement militant, et comme de nombreux avocats défenseurs des indépendantistes, Mourad Oussedik fut réprimé. En janvier 1960, accusé d’avoir aidé la rébellion algérienne, il fut ainsi arrêté chez lui par des CRS avant d’être interné au camp de Larzac par une mesure administrative de Maurice Papon, soutenu par le ministre de l’Intérieur Michel Debré. Défendu par l’un des jeunes avocats militants qu’il avait formés au sein de son cabinet, Jean-Jacques de Félice, Mourad Oussedik fut extrait de son camp le 22 février. Confié à la justice, il fut inculpé « d’atteinte à la sûreté de l’État » par le juge d’instruction Monzein avant d’être remis en liberté. Si aucun procès n’a eu lieu, il fut à nouveau condamné en 1961 à six mois de prison avec sursis pour avoir, le 6 février, été pris au poste douanier d’Hirson avec l’un des « agents » du FLN, Belkaïd.

La même année, il rédigea avec d’autres avocats du collectif FLN, Abdessamad Benabdallah, Maurice Courrégé, Jacques Vergès et Michel Zavrian, Défense politique, texte dans lequel ils revinrent sur leur stratégie de défense au sein des prétoires. Toujours en 1961, il plaida, notamment aux côtés de Jean-Jacques de Félice ou de Paul Bouchet, du barreau de Lyon, l’un des derniers procès retentissants de la guerre d’Algérie, celui de Robert Daveziers, arrêté le 29 janvier 1961 à Lyon, inculpé « d’atteinte à la sûreté de l’État » et « d’associations de malfaiteurs » et qui comparaissait devant le Tribunal permanent des forces armées de Paris deux mois plus tard.

Après l’indépendance, Mourad Oussedik fut désigné par le FLN membre de la commission d’amnistie dite du « Rocher Noir », chargée d’examiner les cas litigieux dans le cadre des accords d’Evian, et devint brièvement député de l’Assemblée constituante de la République algérienne. En 1964, il s’installa définitivement en France, où il fut pendant un temps conseiller juridique à l’ambassade d’Algérie à Paris. Il continua aussi à défendre des militants criminalisés. En août 1979, avec l’avocat Michel Zavrian, il fut envoyé en mission en Iran par la Fédération internationale des droits de l’Homme, notamment pour s’informer du sort de quatorze militants du Parti socialiste des travailleurs, de tendance trotskiste, arrêtés pour distribution de tracts et possession de journaux « extrémistes ». Ils constatèrent sur place la multiplication des condamnations à mort, l’arbitraire des décisions judiciaires et ils dénoncèrent une « répression exceptionnelle ». À partir de 1993, Mourad Oussedik défendit les opposants au roi Hassan II et fit partie du comité d’organisation de la Société des amis de la Démocratie au Maroc, aux côtés notamment de Claude Bourdet, Francis Crémieux ou Bernard Langlois. Il devint aussi, aux côtés de Jacques Vergès, l’avocat de Carlos, celui qu’il nomma le « combattant d’un monde nouveau ». En 1994, Mourad Oussedik, avec Jean-Jacques de Félice, défendit des manifestants kurdes interpellés à Paris. Durant toute la décennie quatre-vingt-dix, il s’engagea ainsi aux côtés des réfugiés politiques kurdes. Puis il défendit l’église de scientologie, notamment en 2001 lorsque sa section Île-de-France et son président furent accusés de « tentative d’escroquerie » par le juge d’instruction parisien Renaud van Ruymbeke, alors au pôle financier de Paris. C’est encore lui qui plaida lorsque l’église de scientologie porta plainte contre la chaîne de télévision TF1 pour « diffamation ». En 2004, il défendit le chanteur de raï Khaled, mis en examen pour « abandon de famille » et « organisation frauduleuse de son insolvabilité », l’une de ses dernières affaires relativement médiatisées.

Mourad Oussedik décéda le 14 juin 2005. Après une bataille judiciaire engagée par certains membres de sa famille qui souhaitaient qu’il soit enterré en Algérie, il fut finalement inhumé dans l’Oise, à Saint-André-Farivillers, selon les vœux de son épouse et de ses trois enfants.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article146261, notice OUSSEDIK Mourad par Vanessa Codaccioni, version mise en ligne le 29 avril 2013, dernière modification le 19 septembre 2017.

Par Vanessa Codaccioni

SOURCES : « Le plaidoyer posthume de Mourad Oussedik », La Tribune, 11 mai 2010. — « Être au camp : un homme sans défense. Entretien avec Maître de Félice  », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 92, 2008. — « Mourad Oussedik », in Jacques Charby (dir.,), Les porteurs d’espoir. Les réseaux de soutien au FLN pendant la guerre d’Algérie : les acteurs parlent, Paris, La Découverte, 2004. — Hervé Hamon, Patrick Rotman, Les porteurs de valises. La résistance française à la guerre d’Algérie, Paris, édition Albin Michel, 1979, 436p. — Anne Simonin, « Le droit au mensonge : comment dire le vrai pendant la guerre d’Algérie ? À propos de La Gangrène », in Luc Boltanski et al (dir.), Affaires, scandales et grandes causes. De Socrate à Pinochet, Paris, Stock, 2007, pp. 249-276. — Sylvie Thénault, « Défendre les nationalistes algériens en lutte pour l’indépendance. La Défense de rupture en question », Le Mouvement social, n° 240, 2012.

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