MONIER Charles, Marius, Désiré

Par Noël Barré, Nathalie Viet-Depaule

Né le 7 juin 1908 à Grenoble (Isère), mort le 15 janvier 1999 à Francheville (Rhône) ; jésuite, enseignant puis prêtre-ouvrier, soumis en 1954, manœuvre ; syndicaliste CGT.

Fils d’Henri, Ferdinand, Charles Monier, mégissier devenu manœuvre, syndicaliste (CGT), qui s’était fixé à Annonay (Ardèche), Charles Monier avait quatre ans quand il perdit sa mère, Marie-Cécile, née Perrin, emportée par la tuberculose. Avant-dernier d’une fratrie de cinq enfants (une fille et quatre garçons), il fut élevé par sa sœur aînée qui allait devenir religieuse trinitaire (sœur Marie-Aloys Monier). Après une scolarité à l’école apostolique de Thonon-les-Bains (Haute-Savoie), tenue par des jésuites, puis un an au petit séminaire d’Alger (1924-1925), il fit le choix en 1925 d’entrer chez les jésuites. Il dira plus tard que sa décision, si elle avait été respectée, était néanmoins considérée comme une trahison vis-à-vis de son milieu : « Quand je suis parti pour entrer au noviciat, mon père (qui ne voulait pas de religion) m’a dit sur le quai de la gare : « Tu te fais prêtre, et jésuite, tu es libre et jamais je me suis opposé à ta liberté ; mais tu trahis la classe ouvrière. »

Charles Monier entra au noviciat à Lyon (Rhône), puis poursuivit ses études littéraires à Yzeure (Allier) et philosophiques à Jersey (île anglo-normande). Ayant obtenu deux certificats (français et latin), il enseigna les lettres au collège jésuite de Beyrouth (Liban) en 1932, fit l’année suivante son service militaire (60e bataillon de chars de combat), puis enseigna à nouveau au Caire (Égypte) pendant deux ans. En 1936, il entama ses études de théologie à Lyon. Ordonné prêtre le 24 août 1939 à Fourvière, il fut mobilisé un mois plus tard, le 24 septembre. Fait prisonnier à Charmes (Vosges), il fut interné au stalag IX.C (matricule 21912) et vécut une captivité de cinq ans pendant lesquels il travailla dans plusieurs commandos comme ouvrier, n’hésitant pas – le cas échéant – à participer à des actes de sabotage. Ce fut le fait de partager la même misère que les autres prisonniers, de côtoyer des ouvriers qui racontaient leurs difficultés et de mesurer l’importance de son sacerdoce, qu’il comprit qu’il souhaitait rejoindre évangéliquement le monde auquel il avait été mêlé et dont il était issu.

Après la guerre, il termina son cycle d’études au bout d’un an puis devint professeur de seconde au collège Saint-Michel à Saint-Étienne (1947-1948). Il avait, entre-temps, appris l’existence de la Mission de Paris qu’Henri Godin allait animer et dont, à sa mort, André Depierre avait, en quelque sorte, hérité. Charles Monier avait alors décidé de devenir missionnaire en terre ouvrière. Encouragé par le recteur de son collège, le jésuite Pierre Lyonnet, il fut embauché pour un mois, sur la recommandation d’un ami, dans une usine stéphanoise (Automoto), afin d’obtenir un certificat de travail. Il fut ensuite envoyé, avec l’accord de ses supérieurs, à Marseille (Bouches-du-Rhône) pour seconder le dominicain Jacques Loew, chargé de la paroisse de La Cabucelle. Là, nommé vicaire-ouvrier, il cumulait à la fois les fonctions de prêtre de la paroisse et de salarié d’une entreprise. Il trouva du travail aux Établissements Huart où, manœuvre, il déménagea une usine de plomb et se syndiqua à la CGT.

En janvier 1949, il fut embauché à la raffinerie de sucre Saint-Louis, à cinq minutes de l’église de La Cabucelle. Il y rencontra trois jeunes femmes qui, au nom de leurs convictions religieuses, partageaient la condition ouvrière en étant elles-mêmes ouvrières. Il allait se lier durablement avec leur petite communauté qui, habitant rue de la Croix, près du vieux port, était animée par Huguette Gamonet. Charles Monier occupa divers postes de manœuvre à la raffinerie et se fit rapidement repérer pour son militantisme syndical. Délégué du personnel, il fit débrayer l’usine fin avril 1950, ce qui lui valut un avertissement de la direction et une démarche auprès de la hiérarchie jésuite mais ne l’empêcha pas, comme délégué suppléant, de participer du 21 au 24 mai suivant au XIXe congrès national de la Fédération des travailleurs de l’Alimentation et des hôtels, cafés, restaurants de France et des territoires d’outremer qui se tint à Vichy (Allier). Il signa d’ailleurs la carte adressée aux responsables syndicaux : « En votre nom à tous, nous avons à l’ouverture du congrès, adopté l’Appel de Stockholm et pris l’engagement que dans les quinze jours, vous aurez en tant que responsables syndicaux, recueilli cent pour cent de signatures contre la bombe atomique. » Le 11 septembre 1950, il était licencié.

Ses deux expériences de travail et sa cohabitation avec Jacques Lœw lui firent comprendre que son statut de vicaire-ouvrier ne lui convenait pas. Il décida de vivre pleinement la vie ouvrière en étant prêtre-ouvrier comme les autres prêtres-ouvriers de Marseille, le dominicain André Piet*, les diocésains Pierre Berthoumieu, Albert Gauche et François Vidal* qu’il connaissait et avec lesquels il allait faire équipe. Il travailla désormais au gré de ses embauches, de ses licenciements, du chômage dans plusieurs entreprises (Durbec et Cie, savonnerie Bellon-Dramard, société d’étanchéité et d’asphaltage du Sud-Ouest) jusqu’à sa décision de faire un stage de formation comme tôlier chaudronnier (OP1). Il put ainsi entrer chez Coder, puis chez Coudry comme tôlier de septembre 1952 à juillet 1953. Il ne s’était pas départi de son engagement syndical, bien au contraire, il avait même créé une section syndicale CGT à la savonnerie Bellon-Dramard, dont il avait été, d’ailleurs, licencié.

Charles Monier n’ignorait pas que l’existence des prêtres-ouvriers était menacée et que la hiérarchie de l’Église catholique désirait mettre fin au progressisme chrétien. Mgr Delay, archevêque de Marseille, devança la décision qui allait le 1er mars 1954 mettre fin à leur mission. Il écrivit le 27 mai 1953 à André Piet, Albert Gauche et Charles Monier de cesser le travail salarié en donnant les arguments suivants : « J’ai toujours regretté que vous soyez engagés sans assez tenir compte de votre sacerdoce et de ses exigences dans des charges et responsabilités temporelles. Par là surtout vous avez été conduits à épouser – sentimentalement d’abord – la mentalité marxiste de vos camarades, à accepter la lutte des classes et le combat sans voir où tendent réellement les dirigeants cégétistes, sous la dépendance totale du communisme, c’est-à-dire à une dictature athée… Vous vous éloigniez certainement des enseignements de l’Église et des directives de la hiérarchie, comme des intentions de votre archevêque et de ceux qui le représentaient. Par tout votre comportement vous avez créé, sans mauvaise intention, une gêne pénible dans le clergé et les milieux catholiques, des consciences ont été troublées et des bonnes volontés arrêtées. »

Si André Piet et Albert Gauche n’obtempérèrent pas à l’ordre de leur évêque, Charles Monier obéit, profondément déchiré, se sentant « expulsé de la classe ouvrière ». Il quitta Marseille, passa quelque temps à Lyon, tenta, sur les conseils d’André Depierre, un essai dans un camp de l’abbé Pierre* (1954), puis partit à Alger où l’abbé Jean Scotto, chargé de la paroisse d’Hussein-Dey, l’accueillit (1954-1955). Quand il revint à Lyon, ses supérieurs l’autorisèrent à travailler. Il trouva de l’embauche, le 23 février 1956, comme livreur de mazout à la société La Mure tout en étant rattaché d’abord à la Maison d’accueil des jeunes ouvriers, puis à la Maison des étudiants catholiques.

Lorsque le 5 mai 1957, le provincial de Lyon, André Ravier, communiqua que « tout travail, même en petite entreprise, même si cette entreprise est « familiale », était supprimé, [seul] pourrait être autorisé le travail artisanal », Charles Monier quitta Remington où il travaillait depuis le 1er octobre 1956. Il avait déjà pris le parti de poursuivre son engagement missionnaire comme salarié. Une lettre du jésuite Jean Villain, ancien supérieur de l’Action populaire, datée du 27 mai 1957, l’encouragea à chercher du travail en lui indiquant plusieurs solutions compatibles avec les directives ecclésiales. Le 23 mars 1958, il écrivait : « J’ai été viré de la toute petite boîte d’ameublement ; j’ai immédiatement trouvé une place de garçon de courses dans un magasin. J’en ai été viré il y a juste 15 jours, et demain j’entre comme manœuvre dans une fabrique de peinture, la Compagnie des vernis Valentine, 100 à 110 ouvriers à Villeurbanne. » Il y travaillera jusqu’à sa retraite, le 31 août 1974. Réaffirmant toujours qu’il n’était pas possible d’évangéliser si on ne participait pas à une lutte commune, il créa le syndicat CGT, en fut le secrétaire et délégué du personnel et, quand il fut retraité, il assura des permanences à la Bourse du travail jusqu’à la détérioration de son état de santé. En 1985, il entra à la maison de retraite de la Chauderaie (Francheville, Rhône).
Il avait toujours gardé des contacts avec ses compagnons jésuites et avait fini par rejoindre, après le concile Vatican II, le collectif des prêtres-ouvriers. Il avait aussi, tout au long de sa vie, exercé son talent d’épistolier et écrit de nombreux poèmes qui sont restés inédits.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article146369, notice MONIER Charles, Marius, Désiré par Noël Barré, Nathalie Viet-Depaule, version mise en ligne le 12 mai 2013, dernière modification le 14 mars 2017.

Par Noël Barré, Nathalie Viet-Depaule

SOURCES : Archives jésuites à Vanves. — ANMT, Archives de la Mission de France, 1997011 0007 et 1997011 0008. — Michel Daune, La mission de Marseille 1945-1951, thèse, 1986. — « Charles Monier 1908-1999, prêtre-ouvrier jésuite », Lettre des jésuites en monde populaire, hors série, octobre 1999. — Michèle Rault, « En mission dans le monde ouvrier, dans les années 1940-1970 », « Chrétiennes », Clio, 2002, p. 135-145. — Charles Suaud, Nathalie Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers. Une double fidélité à l’épreuve 1944-1969, Karthala, 2004. — Marie-Hélène Reynaud, « Charles Monier, jésuite annonéen et prêtre-ouvrier », Mémoire d’Ardèche et temps présent, Privas, février 2006, p. 59-73.

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