OLHAGARAY Jean

Par Nathalie Viet-Depaule

Né le 26 janvier 1920 à Bayonne (Basses-Pyrénées, Pyrénées-Atlantiques), mort le 18 novembre 2011 à Saint-Jean de Luz (Pyrénées-Atlantiques) ; prêtre du diocèse de Bayonne, prêtre-ouvrier à la Mission de Paris, insoumis en 1954, fraiseur ; permanent CGT de la Fédération des Métaux (1952-1953).

Fils de Bernard Olhagaray, encaisseur à la Compagnie du gaz, et de Marie, née Itcia, domestique avant son mariage, Jean Olhagaray, aîné de quatre enfants (un garçon, trois filles) grandit au sein d’un foyer basque dans le quartier Saint-Esprit de Bayonne. Il fit sa scolarité à l’école primaire libre, fréquenta le patronage, partit en colonie de vacances avec le curé de sa paroisse et entra au petit séminaire d’Ustaritz. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclata, Jean Olhagaray, qui avait alors intégré le grand séminaire de Bayonne, dut remplacer le vicaire instituteur de sa paroisse à Saint-Esprit. Dans ce cadre, il anima des réunions du premier groupe de jocistes qui, si elles le laissèrent perplexe, furent suffisamment déterminantes pour qu’il conservât des liens avec certains de ses membres.

Mobilisé fin 1940 à Pau, il fut envoyé avec son bataillon dans un des chantiers de jeunesse de la Montagne Noire jusqu’à sa démobilisation en février 1941. À son retour, il apprit qu’un séminaire destiné aux prêtres qui souhaitaient être missionnaires en France venait d’ouvrir à Lisieux mais, le Service du travail obligatoire (STO) venant d’être institué, il fit le choix de rejoindre les jeunes Français en Allemagne. Il fut ordonné prêtre le 29 juin 1943 à Bayonne afin de pouvoir partir, mais son projet n’aboutit pas et il fut nommé professeur au collège Saint-Louis de Biarritz. Alors qu’il aurait désiré exercer son apostolat en quartier populaire, il dut enseigner, mais il était bien déterminé à demander une autre affectation à la fin de l’année. La lecture de La France pays de mission ? des abbés jocistes Henri Godin et Yvan Daniel, qu’il fit à ce moment-là, fut une véritable révélation. Il trouva dans cet ouvrage ce qu’il recherchait, faisant le même constat que ses auteurs des limites de l’Action catholique spécialisée et retrouvant dans leurs propositions le même désir d’apostolat en terre ouvrière. En mai 1945, il fut à nouveau mobilisé (18e RI en Allemagne) pour quelques mois comme aumônier du premier bataillon et, à son retour, demanda l’autorisation de passer quelque temps à la Mission de Paris.

Finalement, son évêque, Mgr Terrier, ne sachant comment répondre à ses aspirations d’apostolat populaire, l’envoya en 1946 faire « un stage avec des “missionnaires de Paris” », louant dans sa lettre d’introduction « son jeune prêtre […] doué d’un zèle très enthousiaste » qu’il souhaitait employer au mieux dans son diocèse pour l’aumônerie de l’Action catholique ouvrière. Son insertion dans la capitale ne fut pas immédiate. On l’envoya se former en suivant les cours et en partageant la vie du séminaire de la Mission de France à Lisieux pendant un trimestre. Plongé dans l’effervescence apostolique de ce séminaire, il fut rapidement conquis par la perspective dynamique de donner une nouvelle image de l’Église. Quand il revint à Paris, il fit équipe avec Pierre Riche*, rue de Ménilmontant, partageant au fond d’une cour une pièce-cuisine dans une baraque. La Mission de Paris, sous la houlette de son supérieur, Jacques Hollande, se réunissait tous les mardis soirs rue Ganneron (XVIIIe arr.) et comptait treize membres en 1946 : Lucien Lacour, Auguste Rosi, Yvan Daniel, Charles Pautet, Bernard Tiberghien*, Roger Déliat, Jean-Marie Marzio, François Laporte, Jean Desailly, André Depierre, Jean Olhagaray, Pierre Riche et Christian du Mont.

Assez vite, Jean Olhagaray comprit que son apostolat ne pouvait que passer par la condition de salarié. Il chercha du travail et fut embauché le 3 décembre 1946 chez BLZ, petite entreprise artisanale. Son inadaptitude fut telle qu’il décida d’acquérir un métier dans un centre de formation accélérée. Ce fut dans ce contexte qu’il se syndiqua à la CGT. Devenu fraiseur, il entra en août 1948 chez Planche, rue Saint-Maur, et choisit d’habiter en hôtel meublé. Il travailla ensuite trois mois chez Rateau à La Courneuve puis dans diverses petites usines. En mars 1950, André Depierre lui proposa de faire équipe avec lui à Montreuil (Seine, Seine-Saint-Denis), où il animait avec Geneviève Schmitt* une petite communauté. Ayant accepté, Jean Olhagaray trouva une chambre dans un hôtel meublé et du travail chez PPZ à Bagnolet (Seine, Seine-Saint-Denis) où il fut rapidement licencié pour avoir lu un tract de la CGT. Lorsque la campagne de signatures en faveur de l’Appel de Stockholm s’organisa sous l’impulsion d’André Depierre et de Jacques Duclos, Jean Olhagaray fit du porte à porte dans le « bas » Montreuil, faisant ainsi connaissance avec les militants du quartier.

Cherchant parallèlement une embauche, il passa brièvement chez Delasson, une entreprise de caoutchouc, puis entra, en octobre 1950, au Jouet de Paris comme régleur. Devant la multiplication des accidents dus au travail sur les presses, le rendement au boni alors que les machines étaient inégalement performantes, les humiliations permanentes, Jean Olhagaray décida, quand arriva la date des élections de délégués aux conditions de travail, de faire en sorte que la CGT pût présenter une liste face à la liste FO constituée des anciens délégués « maison ». Il devint ainsi délégué du personnel et organisa un débrayage pour faire infléchir la direction qui refusait de satisfaire les revendications. Mais son passage dans cette entreprise fut bref, car il fut licencié en juillet 1952 au prétexte d’avoir cumulé congés et arrêt de travail (otite) sans avertir la direction.

Le syndicat des Métaux lui proposa alors une responsabilité de permanent pour s’occuper du secteur Est de la région parisienne. Connaissant plusieurs responsables locaux avec lesquels il s’était bien entendu, Jean Olhagaray accepta. « L’unité d’action » tout comme le fait de se rendre utile ne pouvaient qu’entrer dans ses perspectives. Pendant neuf mois, aimant discuter avec André Lunet, il mesura combien son engagement et celui des militants qu’il côtoyait se rejoignaient : rapports de solidarité, luttes pour l’amélioration des conditions de travail et de vie, aspiration à davantage de justice, même s’ils ne puisaient pas leurs convictions aux mêmes références, à savoir Dieu pour lui ou le marxisme via l’URSS pour ses camarades de la CGT.

Pendant que les prêtres-ouvriers suscitaient autant d’opposition que d’admiration chez les chrétiens et que la hiérarchie catholique commençait à donner des signes de désaveu vis-à-vis de ce ministère qu’elle voyait sous l’emprise du communisme, Jean Olhagaray, avec son mandat de permanent, se situait au sein de la Mission de Paris parmi ceux qui vivaient leur mission radicalement, « sans esprit de retour », auraient-ils dit. Mais pas sans doutes non plus : était-il possible d’être en même temps catholique en règle avec l’Église et ouvrier libre de ses choix politiques et syndicaux ? La participation à la manifestation du Mouvement de la Paix contre le général Matthew Ridgway à Paris, où deux prêtres-ouvriers, Bernard Cagne et Louis Bouyer furent matraqués, souleva non seulement une vive polémique dans la presse, mais annonça les prémisses de la condamnation du progressisme chrétien. Les prêtres-ouvriers allaient bientôt devoir choisir entre l’usine et le retour dans le giron traditionnel de l’Église.

Jean Olhagaray préféra en mai 1953 reprendre le chemin de l’usine, s’y sentant plus à sa place. Embauché chez Pizay-Bourget à Courbevoie, ce fut dans cette usine qu’il vécut la décision vaticane d’arrêter « l’expérience des prêtres-ouvriers » au prétexte qu’il n’était pas possible d’être à la fois prêtre et ouvrier. Elle le terrassa : « Il faut vraiment être un bureaucrate pour penser que je suis en expérimentation, d’autant plus que des rapports ont été faits sur chacun de nous à Rome. […] Je me suis engagé, dès le premier jour, à travailler jusqu’à ma retraite. J’ai donné ma parole d’homme qui est aussi une parole de prêtre, celle de l’un des premiers à entrer dans la classe ouvrière », écrira-t-il plus tard dans son autobiographie. Se sentant profondément trahi, meurtri de devoir choisir entre deux fidélités (l’Église ou la classe ouvrière ?), il choisit, à l’heure de l’ultimatum, le 1er mars 1954, de rester à l’usine. Il prit sa décision en butte à une alternative impossible : « J’ai réfléchi devant Dieu et devant le Christ. Vous dire que des certitudes me sont apparues, serait mentir. Il me semble que ma décision, quelle qu’elle soit, est imparfaite. Devant le Christ du Jugement dernier, celle de rester ouvrier me semble moins imparfaite que celle de quitter le travail », écrivit-il à Jacques Hollande.

L’usine et sa vie syndicale vinrent alors meubler sa nouvelle vie. Il demanda sa « réduction à l’état laïque » – que son évêque refusa – et s’engagea syndicalement. Il avait quitté Pizay-Bourget pour GSP, une autre usine de Courbevoie, où il accepta de faire partie du bureau de la section syndicale CGT, quand l’intervention de l’armée soviétique en Hongrie vint brutalement ébranler les responsables syndicaux. L’émotion fut telle que le comité exécutif se réunit et décida au congrès de l’Union départementale de faire part des questions soulevées dans l’usine. Délégué au congrès, Jean Olhagaray prit la parole qui contrait les justifications données par le Parti communiste et la CGT. Si André Tollet vint lui arracher le texte qu’il venait de lire, son intervention fut, par contre, appréciée des travailleurs de son usine qui réaffirmèrent leur confiance dans le bureau syndical. Celui-ci fut vite démantelé lorsque la tension constante entre la direction et les ouvriers atteignit un point de non-retour sous l’effet d’une chaleur caniculaire. Devenant quasiment impossible de travailler sous le toit en tôle et réclamant en vain un poste d’eau fraîche, les fraiseurs demandèrent un bon de sortie d’un quart d’heure pour se désaltérer. La direction profita de l’occasion pour refuser leur réintégration à leurs postes et les licencia. Malgré une grève de quatre semaines, la décision des prud’hommes confirma le bien-fondé du licenciement.

Quelques mois plus tard, Jean Olhagaray retrouva du travail chez Meyer-Asti, toujours à Courbevoie. Il s’était entre-temps marié à la mairie du XVIIIe arrondissement, le 22 décembre 1956, avec Thérèse Dhuit qui travaillait au Nid (mouvement contre les causes et les conséquences de la prostitution) en compagnie de l’abbé Alexandre Glasberg. Il continuait à voir les prêtres-ouvriers qui, comme lui, étaient considérés par l’Église comme des « insoumis ». Il participa à partir de 1957 au groupe informel de prêtres insoumis ou, parfois, en délicatesse avec l’Église, qui allait se réunir régulièrement et compter jusqu’à une vingtaine de membres dans les années soixante, parmi lesquels Maurice Combe, Bernard Chauveau, Jean-Marie Huret, Aldo Bardini, Roger Déliat, Robert Lathuraz, Bernard Cagne, etc. Il signera en août 1964 avec quatorze d’entre eux la « Lettre aux pères du Concile » dont l’objectif sera de « soumettre à l’attention des évêques une réflexion sur les rapports entre Église et classe ouvrière » avant le début de la troisième session.

En 1961, Jean Olhagaray entra chez Jaeger, à Levallois, où il allait rester jusqu’à son licenciement économique en juin 1979. Élu au comité d’établissement, il mit en place une commission de formation professionnelle, un club sportif et une amicale de retraités. Quand Mai 68 éclata, il participa à l’occupation de Jaeger et fut désigné pour prendre la tête du comité de grève. Il instaura diverses commissions chargées de la sécurité, de l’intendance, des relations avec la direction, la collecte de fonds et des produits indispensables pour faire tourner le self-service, la recherche de carburant pour les voitures… Il vécut ces moments intensément et, s’il fut difficile de terminer la grève dans l’euphorie, il crut que la manière d’exercer l’autorité dans l’usine avait changé. Il ne sut cependant pas faire en sorte qu’une intersyndicale s’instaurât, ni qu’une section syndicale CFDT vît le jour.

Lorsque l’informatique commença à envahir tous les secteurs de la production, il demanda, dans la perspective de sa retraite, de travailler au service « entretien » afin de savoir « bricoler » et de pouvoir se retirer au Pays Basque. En janvier 1980, il quitta la capitale et mit toute son énergie à construire une maison sur un terrain que sa tante lui avait vendu. Quand celle-ci fut achevée, il contacta tous les anciens insoumis de la Mission de Paris pour les inviter à rassembler tous les documents possibles pour que leur histoire entre 1944 et 1954 ne soit pas occultée. Il archiva ensuite ces documents et les déposa au Centre des archives du Travail à Roubaix.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article146373, notice OLHAGARAY Jean par Nathalie Viet-Depaule, version mise en ligne le 12 mai 2013, dernière modification le 19 septembre 2017.

Par Nathalie Viet-Depaule

ŒUVRE : Ce mur il faut l’abattre, Biarritz, Éditions Atlantica, 1999. — « Que votre oui soit oui », La Mission de Paris. Cinq prêtres-ouvriers insoumis témoignent, Karthala, 2002, p. 177-243.

SOURCES : ANMT Roubaix, fonds prêtres-ouvriers insoumis, 1993002/001, et fonds Mission de France 1996028/0267 et 1997015/0148. – AHAP, fonds Frossard, 2D1 2, 10. — Jean-Marie Huret, Prêtre ouvrier insoumis, Le Cerf, 1993. — Émile Poulat, Naissance et fin des prêtres-ouvriers, Le Cerf, 1999. — Marta Margotti, Preti operai. La Mission de Paris dal 1943 al 1954, Turin, 2000. — Charles Suaud, Nathalie Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers. Une double fidélité mise à l’épreuve 1944-1969, Karthala, 2004, p. 36-37, 89, 363-367. — Tangi Cavalin, Nathalie Viet-Depaule, Une histoire de la Mission de France. La riposte missionnaire 1941-2002, Karthala, 2007. — Entretiens avec Jean Olhagaray.

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