MOREAU Ernest, Eugène, Louis

Par Gérard Boëldieu

Né le 1er août 1930 à Magnat l’Étrange (Creuse), mort le 3 août 2017 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) ; instituteur public de 1957 à 1987 à La Chapelle-Saint-Aubin (Sarthe) ; militant syndicaliste du SNI ; conseiller municipal de La Chapelle-Saint-Aubin (Sarthe) de 1959 à 1983.

Moreau dans <em>Ouest-France</em> en 1987.
Moreau dans Ouest-France en 1987.

Ernest Moreau était enfant unique de Camille, Ernest, Émile Moreau, cultivateur à Magnat l’Étrange (Creuse) où il naquit en 1901, et d’Élise Murat, ménagère, née en 1903 au Mas d’Artige (Creuse). Orphelin de mère assez jeune, Ernest Moreau fut, par son père, placé pensionnaire dans un établissement scolaire catholique de Guéret. Il réagit négativement à l’éducation qu’il y reçut.

Ernest Moreau, bachelier, entra dans l’enseignement primaire public par “la petite porte” en 1953. Le tableau d’avancement des instituteurs de la Sarthe du 1er janvier 1954, le signalait en effet instituteur remplaçant-stagiaire à l’École normale, avec 11 mois et 16 jours d’ancienneté dans cette fonction. Dans des écoles de la Sarthe, département déficitaire en instituteurs, exerçaient déjà nombre d’hommes et de femmes originaires du Massif central. Un an plus tard, Moreau était sous les drapeaux. Son temps passé au service militaire excéda la durée légale puisque, en rapport avec les débuts de la guerre d’Algérie, il figura au nombre des « maintenus ». De retour dans la Sarthe en 1957, Moreau fut nommé instituteur titulaire à La Chapelle-Saint-Aubin, commune rurale (589 habitants en 1954), à cinq kilomètres du Mans, vers le nord-ouest. Il y resta trente ans. Seul enseignant à l’école de garçons au début, il termina directeur du groupe scolaire.

Dès la fin de 1957, et continûment tant que la tendance « autonome », devenue « Unité, Indépendance et Démocratie », resta majoritaire, jusqu’en 1972, Ernest Moreau siégea au bureau de la section sarthoise du Syndicat national des instituteurs. Deuxième secrétaire adjoint à partir de décembre 1959, en même temps que responsable de la commission « Jeunes » puis de celle des « Retraités » en 1961, il accéda, au début de 1962, au poste de secrétaire général que quittait Robert Dernelle appelé à exercer des responsabilités au plan national. Au bout de quatre mois, Moreau demanda à en être déchargé. Dans sa lettre de démission datée du 12 mai 1962, parue dans L’Instituteur syndicaliste de juin suivant, il estimait, pour raison de santé, se « trouver actuellement dans l’impossibilité d’assumer une telle responsabilité syndicale en même temps que d’effectuer convenablement le travail [qu’il considérait] être celui d’un instituteur dans un poste ». Victor Claude lui succéda, remplacé un an plus tard par Roger Salinas qui fut reconduit jusqu’en 1970. Un temps délégué à la fédération départementale des parents d’élèves, Moreau fit partie de 1962 à 1972 de la commission des affaires administratives et corporatives : secrétaire de 1962 à 1966, simple membre de 1966 à 1968, de nouveau secrétaire de 1968 à 1972. Dans le même temps, il appartenait à celles des « questions sociales » et des « affaires pédagogiques ». Il accompagna Salinas lors de tournées dans des sous-sections, ainsi au Lude le 11 mars 1964. En octobre 1968, Ernest Moreau assurait le secrétariat de sa propre sous-section, Le Mans-Rural I. À compter de 1972, après le renversement de majorité au profit de la tendance « Unité et Action », qu’il vécut très mal, Moreau appartint à la Commission technique de spécialité « École élémentaire » animée par Éveline Bruneau, une de ses adjointes à l’école de la Chapelle-Saint-Aubin, de la même tendance que lui. Moreau donna toute sa mesure de syndicaliste du début des années 1960 aux années 1980 en tant qu’élu titulaire au Comité technique paritaire départemental, attentif en particulier aux conditions d’exercice et de formation des débutants, remplaçants et normaliens sortants, ainsi qu’au Conseil départemental de l’enseignement primaire où il se révéla un pugnace délégué des instituteurs. Dans les années 1970, jusqu’en 1981, Moreau siégea à la commission administrative de la section sarthoise de la Mutuelle générale de l’Éducation nationale. Politiquement, il était sympathisant socialiste.

Dans la section sarthoise du SNI, où il ne ménagea pas la minorité ex-cégétiste — « le programme des majoritaires, parce qu’ils sont majoritaires, s’applique à tous » lui lança-t-il en 1966 — Moreau intervint à propos de la défense laïque, sur les pénuries de remplaçants (en 1974) et de postes (en 1969), sur l’école rurale.

Délégué de la Sarthe au congrès national du SNI en août 1969 à Paris, dans son intervention à la « Commission de l’Enseignement Préscolaire et Élémentaire », Ernest Moreau se posa en instituteur représentatif de l’ensemble de ses collègues, définis par lui en ces termes : « gens de bons sens, de bonne volonté, qui font leur métier du mieux qu’ils peuvent et en tout état de cause comme on le leur a appris », afin de mieux dénoncer l’introduction « trop précipitée » des mathématiques modernes en 1967 dans certaines classes de sixième, « alors que dans leur quasi totalité les élèves ont été, tout au long de leur scolarité élémentaire, initiés aux mathématiques dites traditionnelles ». Ensuite, il regretta la disparition des stages de formation à l’école normale à l’intention des remplaçants. Enfin, il estima « d’un dirigisme inadmissible et rétrograde » le mode de désignation des instituteurs titulaires aux stages de recyclage : directement par leurs inspecteurs, « sans qu’il soit fait appel aux candidatures ». Il réclamait le déroulement des séances d’information et de recyclage des instituteurs sur le temps scolaire, avec remplacement des titulaires y assistant.

Les résultats d’une enquête effectuée au début de 1969 dans les sous-sections sarthoises, dont une grande partie abordait la situation de l’école en milieu rural, nourrirent son intervention à la Commission pédagogique du même congrès, lors du débat sur le thème « l’école rurale menacée ». Après avoir énuméré les causes de la baisse des effectifs scolaires en campagne (l’exode rural mais aussi « l’application de la réforme qui enlève à l’enseignement élémentaire deux années d’âge au moins » avec la fermeture des classes de fin d’études), puis envisagé les conséquences regrettables pour les maîtres (déplacement de titulaires bien intégrés à leur commune, suppressions de postes, alourdissement des effectifs des classes restantes), pour les cantines scolaires (certaines condamnées), pour les municipalités (leur découragement face au matériel et aux locaux communaux inutilisés), Ernest Moreau recommanda la prudence à son syndicat confronté à « ce phénomène irréversible ». Ce dernier ne devait pas proposer de « solution unique valable partout, tant il est vrai qu’est grande la diversité des départements, mais aussi que peuvent exister des différences importantes à l’intérieur d’un même département ». Opposé à « toute décision centralisée, toute doctrine, tout système technocratique imposé », il exposa les avantages et les inconvénients, selon lui, des solutions alors proposées. Les regroupements par unités pédagogiques rendent possible le travail de groupe, mais l’éloignement de l’école impose à beaucoup d’élèves le recours au ramassage scolaire qui « ne présente pas que des avantages » ; en outre ils signifient disparition de l’école publique dans nombre de communes dont celles « à concurrence », disparition de l’instituteur animateur donc de l’école « foyer communal de vie ». Le regroupement par écoles de niveau permet le maintien de l’école ; il exigeait toutefois le recours au ramassage scolaire pour les familles ayant des enfants dans des écoles éloignées les unes des autres. À contre-courant d’une opinion largement répandue chez les enseignants, il termina par un plaidoyer en faveur de l’école à classe unique, dont le maintien présupposait une revalorisation de la condition matérielle des instituteurs par le règlement du problème des zones de salaire, ainsi qu’une amélioration de leur formation « car la classe unique difficile entre toutes, c’est incontestable, […] exigent une solide formation et de solides qualités ».

La crise de l’école rurale, telle qu’il la décrivit en 1969, Ernest Moreau ne la connut pas à La Chapelle-Saint-Aubin, commune de plus en plus rurbaine. Le nombre d’habitants y ayant triplé en trente ans, les effectifs scolaires, écoles primaire et maternelle confondues, où la co-éducation existait depuis 1958, ne cessèrent en effet d’augmenter : 120 élèves en 1972, 200 en 1976, 259 en 1980. Les locaux scolaires étant défectueux, étroits, difficiles à agrandir, Moreau, soutenu par des parents d’élèves, qui, à la rentrée de 1976 lancèrent un mot d’ordre de grève scolaire de deux jours, n’eut de cesse de réclamer la construction d’un groupe scolaire « à la dimension des enfants ». Le conseil municipal se rallia peu à peu à ses vues. Sur un terrain de deux hectares, en plein centre du bourg, l’école maternelle et l’école primaire furent ainsi réunies en un groupe scolaire au plan duquel Moreau contribua largement. Il comptait dix salles de classe reliées par groupes de deux à un préau central de 500 m2, le tout largement ouvert sur un espace vert que Moreau, pour qui la rose était la fleur préférée, escomptait planté de mille rosiers au moment de son départ en retraite. Chaque classe, séparée de sa voisine par un espace avec blocs sanitaires, vestiaires et placards à chaussures, les élèves devant, à l’intérieur, se déplacer en chaussons, était pourvue d’un coin-atelier et d’une bibliothèque, le tout avec des matériaux appropriés : brique, bois, gravillon lavé, ardoise. Fonctionnel à partir de 1978, le groupe scolaire, alors considéré comme « la plus belle école de l’Ouest », fut inauguré à la fin mai 1980 en présence du ministre des Transports, le Sarthois Joël Le Theule,

Le combat pour la construction du groupe scolaire, Moreau le mena aussi au sein du conseil municipal où il siégea quatre mandats durant, de 1959 à 1983, sous trois maires. Toujours élu au second tour, avec tantôt un, tantôt deux de ses co-listiers, il s’y posa en leader d’une opposition qu’il voulait « non systématique » face à une majorité prudente, parfois défiante, mais qui lui fit globalement confiance pour ses projets scolaires. Le 20 avril 1972 il se dit toutefois « peiné » de l’attitude du conseil municipal envers les œuvres scolaires. À la même séance du conseil, il intervint pour rappeler que l’utilisation des locaux scolaires, pour banquets, bals, conférences, n’était pas de la compétence du conseil municipal. En novembre 1980, en désaccord avec les méthodes employées pour établir le budget, Moreau refusa d’approuver le compte administratif 1979. À partir de juin 1964, élu par le conseil municipal, il fut un des trois délégués de sa commune au Syndicat intercommunal pour l’aménagement de la zone industrielle La Chapelle-Saint-Aubin-Le Mans. En 1971, en liaison avec les organisations de gauche du département, Moreau mena l’opposition à l’entrée de La Chapelle-Saint-Aubin dans la Communauté urbaine du Mans. Sans convaincre car, après bien des tergiversations du conseil municipal, La Chapelle-Saint-Aubin fut des sept communes représentées au premier conseil communautaire installé le 17 janvier 1972.

Grand travailleur et soucieux de faire de l’école publique un centre d’animation communal, Moreau créa à La Chapelle-Saint-Aubin des œuvres parascolaires (sportives notamment au sein de l’USEP) et périscolaires (cantine qu’il géra, coopérative). Avec les fonds recueillis par la coopérative, qui organisa dans la salle de la cantine des bals, des concours de cartes, des tombolas, il put emmener régulièrement ses grands élèves dans le Massif central en fin d’année scolaire. Enseignant directif, très susceptible, « méfiant envers tout changement fondamental » (Le Maine Libre 17 janvier 1981) concernant l’École, Moreau resta attaché à des traditions comme, jusqu’en 1982, la distribution des prix en présence des autorités locales. À la fin d’octobre 1987, lors de son départ en retraite, devant nombre de ses élèves et anciens élèves, Ernest Moreau récapitula les valeurs qu’il s’était efforcé de leur inculquer : nécessité de l’effort, ténacité, goût du travail bien fait, respect de la propriété individuelle et collective, solidarité. En 1994 il quitta La Chapelle-Saint-Aubin pour les environs de Clermont-Ferrand.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article146395, notice MOREAU Ernest, Eugène, Louis par Gérard Boëldieu, version mise en ligne le 13 mai 2013, dernière modification le 12 septembre 2022.

Par Gérard Boëldieu

Moreau dans <em>Ouest-France</em> en 1987.
Moreau dans Ouest-France en 1987.
Mai 1965, Moreau, debout, lors d'un voyage organisé à Falaise en mai 1965 par les parents de son école.
Mai 1965, Moreau, debout, lors d’un voyage organisé à Falaise en mai 1965 par les parents de son école.

SOURCES  : Mairie de Magnat l’Étrange. — Procès-verbaux des délibérations du conseil municipal de La Chapelle-Saint-Aubin. — Bulletin de l’Enseignement primaire, département de la Sarthe. — L’Instituteur syndicaliste, bulletin de la section sarthoise du SNI. — MGEN-Sarthe Informations. — Presse locale : Ouest-France 18 septembre 1976 (Grève scolaire des parents d’élèves de La Chapelle-Saint-Aubin) ; Ouest-France 2 juin 1980 (Inauguration du groupe scolaire) ; Le Maine Libre 17 janvier 1981 (« À la Chapelle-Saint-Aubin, la plus belle école de l’Ouest ») ; Ouest-France 2 novembre 1987 et Le Maine Libre 5 novembre 1987 (Départ à la retraite d’Ernest Moreau : « trente ans au service de l’école publique »). — Informations ou pistes de recherches fournies par Serge Bertin et les habitants de La Chapelle-Saint-Aubin présents à la « veillée » du 1er décembre 2012 où il fut question d’Ernest Moreau ; par Luc Barroy, Michel Grégoire, Armand Le Foll, Pierre Rolland, anciens instituteurs ; par Éveline Bruneau, institutrice à La Chapelle-Saint-Aubin, de 1964 à 1975. — Comptes rendus des interventions de Moreau au Congrès national du SNI d’août 1969 à Paris, communiqués par Jacques Girault.

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