WETS Jean-Baptiste.

Par Jean Puissant - Jean-Paul Mahoux

Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 1832 − 5 octobre 1890. Ouvrier bronzier, syndicaliste, mutuelliste, président de l’Association générale ouvrière, fondateur des Pharmacies populaires, de la Fédération des mutualités de Bruxelles, de la coopérative La Maison du Peuple de Bruxelles, du Parti ouvrier belge.

Ouvrier ciseleur à la Compagnie des Bronzes de Bruxelles, Jean-Baptiste Wets participe sans doute à la création d’un premier syndicat des bronziers en 1858, sous la houlette de F. Thys*, également ciseleur à la Compagnie, à celle de l’Association générale ouvrière (AGO). Disparu, à la suite du retrait de F. Thys, devenu greffier du Conseil des prudhommes en 1862, le syndicat se reconstitue en 1865. Le 5 juillet, en effet au Cygne, situé à la Grand-Place de Bruxelles, soixante-neuf bronziers fondent l’Association libre des ouvriers du bronze. Wets en assume le secrétariat, un bijoutier, Ch. Dubois, la présidence, probablement pour éviter la question de la préséance de telle ou telle catégorie de travailleurs (ciseleurs, monteurs et mouleurs).

C’est Jean-Baptiste Wets qui, tenant compte des intérêts particuliers de chacun, prend la responsabilité, en 1869, de dissocier les trois groupes. Une Fédération regroupe désormais les trois associations autonomes. Wets prend la tête des ciseleurs, catégorie la plus qualifiée, mieux payée, plus proche de l’art que de l’industrie tout en assumant les tâches de trésorier. Cette société de maintien de prix, telle qu’elle se qualifie, obtient en 1871, grâce à un mouvement de solidarité avec les mécaniciens de Newcastle (Angleterre), la journée de dix heures et un supplément de salaire de 25% pour les heures supplémentaires. Wets est, avec Petermann, l’artisan de ce succès. Dès 1879, dans une conjoncture renversée, cet avantage disparaîtra. L’Association libre des compagnons ciseleurs est la mieux organisée des trois. « Moins exaltés et plus prudents que les monteurs et tourneurs, ils réfrénèrent l’impatience de ces derniers, leur rendant ainsi l’immense service de conserver leur force », écrit Albert Daver*, alors secrétaire de la Fédération du Bronze en 1906.

La personnalité modérée de Jean-Baptiste Wets est soumise aux attaques de l’Association internationale des travailleurs (AIT), notamment lors de la tentative de fédérer les associations syndicales sous son autorité en 1873. L’AGO est hostile à cette manœuvre et Wets quitte la direction du syndicat, pour se consacrer à la Mutualité des compagnons bronziers, qu’il contribue à fonder en 1865, peu avant le syndicat. Il en assure le secrétariat, puis la trésorerie et enfin la vice-présidence. Il s’agit d’une caisse de secours mutuels, alimentée par les cotisations mensuelles de ses membres, ainsi que par les amendes dues en cas de retard de paiement, d’absence non justifiée aux réunions, de non-respect des statuts, d’impolitesse de langage ou de tenue négligée lors des enterrements (il existe également une caisse destinée à financer les funérailles des membres défunts). « Les associés sont formellement et individuellement tenus de ne rien négliger de ce qui peut améliorer leur sort et augmenter la considération des compagnons sans jamais franchir les limites de la légalité et de la justice, de s’aider mutuellement, de concourir de tout leur pouvoir à procurer du travail à ceux de leurs confrères qui en seraient privés. » L’affiliation au syndicat est obligatoire. Une caisse de prévoyance s’y ajoute en 1887 pour « secourir les ouvriers bronziers devenus malheureux par l’âge, les infirmités ou les accidents. » En 1885, le directeur de la Compagnie des Bronzes décide de remettre l’encaisse de la caisse patronale à la mutualité ouvrière.

Jean-Baptiste Wets, toujours secrétaire ou trésorier des associations qu’il anime, développe ensuite la Fédération des sociétés de secours mutuels de Bruxelles et des faubourgs, créée en 1863. Pour assurer aux membres des médicaments de qualité et à bas prix, il fonde la coopérative Les Pharmacies populaires dont il est le secrétaire en 1881. À sa mort, la Fédération compte 60 sociétés et 8.000 membres, les Pharmacies sont au nombre de neuf à Bruxelles et dans les communes de la première couronne. Il participe ensuite à la création de la Fédération nationale des mutualités neutres, dont il est vice-président, en 1886.

Élu suppléant au Conseil des prudhommes en 1867, Jean-Baptiste Wets devient effectif en 1870. Il en est le vice-président de 1876 à sa mort. La représentation ouvrière au sein de ces conseils est contrôlée par l’AGO. F. Thys en est toujours le greffier. Les représentants patronaux relèvent de l’Union syndicale, l’association patronale de l’époque. Les contacts entre « ouvriers » et « patrons » y sont étroits - et dénoncés par l’AIT -, notamment au sein des loges maçonniques progressistes. Membre de l’AGO dès son affiliation au syndicat, Wets en est le président de 1886 à 1888. C’est en 1886 que l’AGO obtient la responsabilité de la gestion de la coopérative des Ateliers réunis, restaurants populaires, créés en 1869 par les loges des Amis philanthropes et des Vrais amis de l’union et du progrès. C’est au sein de cette intersyndicale que mûrissent les projets mutualistes et coopératifs dont il est question.

Jean-Baptiste Wets est donc une personnalité majeure d’un mouvement associatif actif, « neutre », proche de certains milieux libéraux. Mais il est ouvert à tout ce qui innove, réunit et renforce. Il n’est pas étonnant de le voir parmi les fondateurs de la boulangerie coopérative La Maison du peuple en 1881. Il la quitte, avec les autres membres de l’AGO (32) qui y ont adhéré, en septembre 1883, au moment où la majorité décide l’adhésion au Parti socialiste brabançon. Ce n’est pas une scission, ils décident de ne pas réclamer leurs parts du capital. Reconnaissants, les majoritaires décident d’utiliser cette somme à la fabrication et à la distribution gratuite de cramiques lors des fêtes de fin d’année, nous raconte Louis Bertrand.

En 1884, un moment candidat aux élections communales, Jean-Baptiste Wets se rallie à la liste proposée par la Fédération des ligues ouvrières et des sociétés démocratiques. Il refuse donc de figurer sur la liste de l’Association libérale, comme l’y invite Paul Janson. De même, à la tête de l’AGO, Wets participe à la création du Parti ouvrier belge (POB) - il siège au premier Conseil général - et du quotidien Le Peuple - il est membre du conseil d’administration - en 1885. César De Paepe* écrit à ce propos : « C’est chose frappante, touchante même, que de voir au congrès ouvrier…, les deux nuances les plus divergentes du POB, les communistes gantois et les mutuellistes bruxellois, Edouard Anseele et Wets, se rencontrer et s’entendre sur le terrain pratique (le socialisme expérimental), plein d’espérance pour tous les deux et où tous les deux ont fait un grand pas… Là où est l’accord, là est l’avenir. » (Le National belge, 10 avril 1885). Wets explique lors du Congrès mutualiste bruxellois de 1888 : « … nous sommes tout simplement socialistes parce que, en dehors de toute considération de philosophie, nous recherchons l’amélioration matérielle et morale du sort des travailleurs et démocrates, parce que nous voulons que la classe populaire s’émancipe par elle-même, par sa volonté et par son travail… » (Le Mutuelliste, 1er septembre 1888).

Au contraire de ses acolytes de l’AGO, Désiré Vandendorpe et Jean Volders, par exemple, Jean-Baptiste Wets ne peut accepter le refus du parti de s’engager dans la voie proposée par Alphonse Wormhout, lors du Congrès de Jolimont (commune de La Louvière, pr. Hainaut, arr. Soignies) des 21 et 22 avril 1889, de considérer le POB comme une fédération d’organisations sociales autonomes, mutuellistes, coopératives, syndicales, ni l’évolution du POB au moment de la réunification des forces ouvrières en 1889-1890, surtout de s’engager dans la voie des grèves générales en faveur du suffrage universel, exigée par les mineurs hainuyers. L’AGO, du moins ce qui en subsiste, et Wets quittent alors le POB. C’est juste avant son décès. Sa présence active, à la création du POB, a permis, le ralliement d’un certain nombre d’associations de métier à la lutte politique et aux socialistes de prendre la tête du mouvement. Ce que n’ont réussi ni l’AIT en 1867-1873, ni le Parti socialiste brabançon en 1879-1880. Il est vrai que la crise et ses conséquences sont passées par là.

Les funérailles, civiles, de Jean-Baptiste Wets, le 8 octobre 1890, « au milieu d’un grand concours de monde » (Louis Bertrand), réunissent les ouvriers « socialistes », désormais majoritaires et « neutres » dans un même hommage à une personnalité marquante. Un monument, un buste de bronze sur une colonne de pierre, est érigé l’année suivante au cimetière de Bruxelles. Le bronze a été réalisé à la Compagnie des bronzes, par son ami et compagnon de toujours, Émile Wyninckx. Cette entreprise de quelques centaines d’ouvriers, fabricante d’équipements d’éclairage et de bronzes d’art décoratifs et monumentaux (aujourd’hui siège de La Fonderie, musée de l’industrie et du travail) se révèle notamment à travers lui, un berceau particulièrement important du mouvement ouvrier organisé à Bruxelles.

Jean-Baptiste Wets est également à l’origine de la création du Cercle choral des compagnons bronziers qui se produit lors de festivités ou lors des funérailles d’ouvriers du bronze. Il collabore au Mutuelliste, organe de la Fédération nationale.

Jean-Baptiste Wets est particulièrement représentatif de ces ouvriers qualifiés bruxellois à l’origine du mouvement associatif particulièrement dynamique. Il se retire du mouvement socialiste naissant. Est-ce une question de génération - il a plus de cinquante ans à la création du POB -, ou de milieu social (il faudrait vérifier s’il a été initié à la franc-maçonnerie, ce qui n’est pas impossible) ? Il n’a en tout cas jamais fait l’objet de signalement policier.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article146442, notice WETS Jean-Baptiste. par Jean Puissant - Jean-Paul Mahoux, version mise en ligne le 15 mai 2013, dernière modification le 18 avril 2020.

Par Jean Puissant - Jean-Paul Mahoux

SOURCES : DAVER A., Histoire des syndicats des ouvriers bronziers, Gand, 1906 − GUBIN E., MAHOUX J.-P., PUISSANT J. , « Question sociale et libéralisme. L’exemple de l’AGO (1858-1920) », dans VERHULST A., PAREYN L., Huldeboek Prof. Dr. Marcel Bots. Een bundel historische en Wijsgerige opstellen, Gent, 1995, p. 139-165 − PUISSANT J., « Bronziers d’hier et d’avant-hier et le mouvement social », Les Cahiers de La Fonderie, 28-29, 2003, p. 56-73 − MAHOUX J.-P., L’Association générale ouvrière 1858-1894 (manuscrit inédit).

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