AUBRY Émile, Hector. Pseudonymes : Ricard Henry, H.R., Durand G.

Par Francis Sartorius - Luc Keunings

Rouen (département de la Seine Maritime, France), 8 avril 1829 − Ivry-sur-Seine (département du Val-de-Marne, France), 23 février 1900. Lithographe, un des fondateurs de l’Association internationale des travailleurs, communard, réfugié politique en Belgique.

Émile Aubry milite, très jeune, à Rouen, en 1850, dans les rangs de ceux qui désirent mettre sur pied des formes associatives de travail. Plus tard, en 1866, il est l’un des fondateurs de la section de l’Association internationale des travailleurs (AIT) de Rouen. Il parraine l’adhésion d’Ernest Vaughan, jeune industriel. Très en vue dans l’Association, il est délégué, la même année, au Congrès de Genève et on le trouve parmi les quatorze membres de la commission chargée d’élaborer les statuts de l’Internationale. Peu après, en 1868, il participe au Congrès de l’AIT à Bruxelles.

Sous la Commune, Émile Aubry gagne Paris où il devient responsable de la caisse de la recette principale des postes. Après la chute de la Commune, il est détenu à Lorient mais le 23 août 1871, une ordonnance de non-lieu est rendue à son égard. Il regagne alors Paris où il donne des correspondances socialistes au journal, L’Internationale, de Bruxelles, sous les initiales de H.R. puis sous le pseudonyme d’Henri Ricard.

En décembre 1871, craignant sans doute de nouvelles poursuites, Émile Aubry gagne Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale). Il assiste au Congrès de Noël de l’AIT. Il ne trouve pas de travail et vit dans la misère. Une souscription est organisée en sa faveur. Il serait redevable de la somme de cent francs à l’AIT. Il retourne à Paris à la fin de février 1872. À nouveau poursuivi, (il est condamné par contumace le 12 mars 1874 à la déportation dans une enceinte fortifiée), Aubry revient à Bruxelles en juillet 1873. Il réside et travaille chez Désiré Brismée, chez Ernest Vaughan, signe des correspondances de Paris sous le nom de Durand G. dans L’Internationale. « Il n’y a qu’un homme inoccupé qui puisse écrire aussi longuement et d’aussi insignifiantes lettres », note un rapport de police.

À partir de ce moment, Émile Aubry se fixe quasi définitivement en Belgique avec sa famille. En effet, en 1896 encore, il réside à Ixelles (aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale). Ses qualités professionnelles sont telles qu’il est rapidement considéré, sur la place de Bruxelles, comme un des premiers spécialistes de la photogravure qui est, à cette époque, en plein développement. Il utilise aussi les procédés classiques de la lithographie : on connaît, par exemple, de lui, un magnifique portrait lithographié du bourgmestre de Bruxelles, Jules Anspach. Il réalise également divers travaux pour les associations démocratiques.

Avec ses antécédents, Émile Aubry garde naturellement des contacts nombreux et répétés avec les pionniers belges de l’AIT, rencontrés avant 1870. Il fréquente durant les années 1870 les réunions de l’Internationale et assiste à des meetings organisés par la Chambre du travail. Il est membre des Solidaires et du cercle d’économie sociale, Le Prolétariat. Son ami, Désiré Brismée, l’héberge en 1873 lors de son retour à Bruxelles. Aubry reste très lié avec Brismée. On en veut comme preuve qu’il prononce un discours sur la tombe de ce dernier lors des obsèques en 1888.
Les activités multiples de Aubry le mettent souvent en difficulté vis-à-vis de la Sûreté belge qui veut l’expulser. Ce n’est que grâce à de puissants appuis venus de la gauche progressiste qu’il doit de pouvoir rester en Belgique.

L’évolution des idées socialistes de Émile Aubry est intéressante à dégager. Avant 1870, on peut le rattacher au courant proudhonien. La guerre franco-allemande le pousse vers un socialisme plus radical et, après la chute de la Commune, désemparé sans doute, il opte pour un socialisme césarien, celui de certains de ses amis, séduits par les idées de Napoléon III, revenus aux utopies de sa jeunesse, se faisaient les champions. Il faut considérer qu’il n’abandonne pas tout à fait ces idées « autoritaires » car il devient, à la fin des années 1880, un champion du général Boulanger dont il célèbre les vertus lors d’une cérémonie sur la tombe de celui-ci au cimetière d’Ixelles. Mais cet itinéraire semble avoir connu des variations. En effet, comment expliquer qu’en 1878, il a des liens étroits avec des membres d’une assemblée composite, il est vrai, qui, en séances secrètes, décide de s’en prendre à la vie des souverains de l’Europe ? Les membres de cette société sont en majeure partie d’anciens communards dont certains exercent la profession de mécanicien ou de fondeur ce qui ne manque pas d’alerter la police inquiète de voir des ouvriers spécialisés impliqués dans la préparation d’attentats. La police cite, comme compromis dans cette affaire, outre Aubry, Adolphe-Eugène Fradin et Favy mais aussi, chose curieuse, un noble belge « désargenté », le comte d’Arschot. Malgré la variation toute relative de ses idées, on peut donc considérer que Émile Aubry continue, en Belgique, de diffuser parmi les milieux qu’il fréquente l’essentiel de ses idées démocratiques et sociales. Toutefois, faute d’études sur la question, nous ne savons pas dans quelle mesure il fut influencé ou influença le socialisme belge naissant. Il meurt en 1900 dans un hospice près de Paris.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article146450, notice AUBRY Émile, Hector. Pseudonymes : Ricard Henry, H.R., Durand G. par Francis Sartorius - Luc Keunings, version mise en ligne le 15 mai 2013, dernière modification le 4 janvier 2021.

Par Francis Sartorius - Luc Keunings

ŒUVRE : voir liste dans MAITRON J. (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, t. IV, 2e partie : La Première Internationale et la Commune, Paris, 1967.

SOURCES : Archives de la ville de Bruxelles, fonds de la police, liasse n° 292, fichier des étrangers, dossier n°5840 − Le National belge, Bruxelles, 20 mars 1885 − La République belge, Bruxelles, 4 mars 1888 − JEBOULOVSKAIA E.A., La chute du second Empire et la naissance de la 3ème République en France, Moscou, 1959 − MAITRON J. (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, t. IV, 2e partie : La Première Internationale et la Commune, Paris, 1967 − FREYMOND J. (dir.), La Première Internationale. Recueil de documents, t. III, Genève, 1971 − BAKOUNINE M., De la guerre à la Commune. Textes de 1870-1871, Paris, 1972 − VARLIN E., Pratique militante et écrits d’un ouvrier communard, Paris, 1972 − SARTORIUS F., DE PAEPE J.-L., « Les communards en exil à Bruxelles », Cahiers bruxellois, fasc. 1-2, 1970-1971 − SARTORIUS, F., DE PAEPE J.-L., « Enkele verbannen communards », Socialistische standpunten, n°1, 1971 − KEUNINGS L., JOSEPH S., SCHWILDEN L., « Émile-Hector Aubry (1829-1900), un communard phototypiste à Saint-Gilles », Cahiers bruxellois, t. XXVIII, 1987, p. 42-59.

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