Par Claude Pennetier
Née le 19 novembre 1933 à Paris (XIIIe arr.), morte le 23 novembre 2003 à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) ; professeure d’histoire, historienne ; militante communiste jusqu’en 1964 ; militante du Comité de défense des libertés en Tchécoslovaquie.
Nadia Ténine était fille du docteur Maurice Ténine, militant communiste dont la famille juive avait émigré de la Russie tsariste en 1905, conseiller municipal de Fresnes de 1937 à 1940, arrêté en février 1941 et fusillé comme otage par les nazis le 22 octobre 1941. Sa mère, Annette Etléa Galaburda, originaire de Bessarabie, militante communiste elle aussi, partit en zone sud, Nadia la suivant dans ces périples en étant confiée successivement à des familles amies. Alors qu’elle séjournait ainsi chez des amis à Thorenc dans les Alpes-Maritimes, sa mère fut arrêtée lors d’une rafle et disparut entre le camp de Drancy et Auschwitz. Nadia resta dans la famille où elle se trouvait, la famille de Paul Lévy, directeur de l’hebdomadaire Aux Ecoutes, pendant toute l’année scolaire, puis résida à Magagnosc pendant un an encore chez une autre personne jusqu’à ce qu’en 1945 sa grand-mère maternelle, qui devait décéder peu après, la ramène à Paris.
Nadia Ténine vécut en diverses maisons d’enfants de la CCE (Commission centrale de l’enfance, association juive progressiste), poursuivant ses études et obtenant son baccalauréat au lycée Marie-Curie de Sceaux (Seine). Elle fit ses études d’Histoire à la Sorbonne. Pendant sa jeunesse, elle fut mise en situation de lire des textes dans les meetings d’hommage aux résistants. Elle en garda un souvenir douloureux.
En septembre 1955, elle rencontra Claude Michel lors d’une soirée organisée par le GUMS : Groupe universitaire de montagne et de ski, alors étudiant à Sciences Po et en Droit, dont la famille modeste habitait Aix-en-Provence, et ne le quitta plus, se mariant avec lui le 5 mars 1956 à Nanterre. Ils militèrent tous deux à l’Union des étudiants communistes (UEC).
Un premier enfant, Denis, naquit le 10 septembre 1956, atteint d’un handicap mental profond. Ses parents décidèrent qu’il vive avec eux et se battirent pour que les conditions d’accueil, d’éducation et de travail des handicapés, quasiment inexistantes au début, s’améliorent.
Le couple dut travailler pour financer sa vie et ses études surtout lorsque Claude partit au service militaire, en septembre 1959, puis en Algérie avec le contingent jusqu’en juin 1961. Nadia Ténine-Michel fit face seule, alors qu’un deuxième enfant, Laurent, naissait le 7 juin 1961. Elle réussit le CAPES puis l’agrégation.
Nadia Ténine-Michel enseigna dans un lycée parisien, puis au lycée de Champigny-sur-Marne, enfin, à partir de 1966 au lycée Jean Zay d’Aulnay-sous-Bois où elle prit sa retraite. Elle se battit pour un enseignement permettant la promotion sociale des enfants de familles déshéritées ou immigrées. Elle tenait à habiter en banlieue, certes dans une maison confortable. Lorsque certains de ses élèves réussissaient particulièrement, intégrant une grande école ou accédant à une profession valorisante, elle en ressentait une satisfaction profonde et nombre de ses élèves lui en ont rendu témoignage. Son fils Laurent, devenu magistrat au Parquet de Paris a d’ailleurs suivi ce parcours, faisant ses études secondaires au lycée Jean Zay d’Aulnay-sous-Bois avant de rejoindre les classes préparatoires de Louis-le-Grand et d’entrer à Polytechnique.
Dans les derniers temps de son activité d’enseignante, Nadia Ténine-Michel avait soutenu une jeune fille exclue pour port du voile et avait organisé pendant toute l’année scolaire chez elle un véritable petit cours privé avec plusieurs de ses collègues permettant ainsi à Yamina de passer son bac avec mention très bien et d’intégrer la fac de médecine à Bobigny. Elle avait toutefois évolué dans sa position sur le voile en tenant compte des risques communautaires et de manipulation, tout en étant très circonspecte.
Au moment de sa retraite, elle soutint l’expérience qui eut lieu notamment au lycée Jean Zay de filière particulière pour l’entrée à Sciences Po et participa à la première sélection d’élèves.
Dans le cours de sa retraite, elle avait consacré du temps à la recherche en histoire, participant un temps à la revue Communisme, aux activités de l’IHTP (CNRS) à partir de 1982 (enquêtes " Communisme des années sombres ", " Édiles locaux " les " Gaullistes "), puis au dictionnaire Maitron dans le cadre du Centre d’histoire sociale de Paris I, travaillant particulièrement avec Claude Pennetier sur la région parisienne. Elle s’était passionnée pour l’ancien département de la Seine-et-Oise et avait travaillé dans cet espace politique, pour le Maitron, pour les enquêtes de l’IHTP. Elle avait participé à la création et à l’animation de l’association AHMO (Association histoire et mémoire ouvrière en Seine-Saint-Denis). En dernier lieu, elle s’engageait dans une enquête sur la " guerre d’Algérie en France " conduite par Sylvie Thénault. Bref, elle était pleine de projets lorsque la maladie l’a frappée de façon foudroyante et tout à fait imprévisible.
Nadia Ténine-Michel tout en gardant la carte du Parti communiste, sans y avoir de responsabilités, mais en enseignant à plusieurs reprises dans les écoles centrales du parti sur le thème de la Nation, avait en 1956 pris ses distances avec le stalinisme dont elle tirait un bilan sévère. Son nom apparaît cependant dans un rapport de la commission des cadres sur les conférences de section de Seine-Sud en avril 1964 : « Une proposition identique d’élire le Bureau politique au scrutin secret vient de la camarade Pulvermacher d’Arcueil qui travaille au groupe à l’Assemblée Nationale et correspond à la même défendue par la camarade Nadia Michel de Champigny dont le mari travaille également à l’Assemblée. » En fait, si Nadia Michel enseignait à Champigny, elle ne militait pas à la section locale. Il s’agit plutôt de conversations utilisées pour maintenir la vigilance à l’égard de l’équipe technique du groupe parlementaire et de son président Robert Ballanger dont Claude Michel était à l’époque le principal collaborateur.
Éloignée définitivement du Parti communiste à la fin des années soixante, elle n’eut plus d’appartenance partisane, tout en conservant des proches et des amis membres du PCF et en restant fidèle à ses options fondamentales et à la mémoire de ses parents. Elle avait activement milité au sein du Comité de défense des libertés en Tchécoslovaquie avec Arthur et Lise London et était entrée au bureau de l’Amicale de Châteaubriant-Voves.
Aimant la vie, femme de grande culture et de goût raffiné, rationaliste et dépourvue de croyances religieuses, mais tolérante et ouverte, elle abordait une phase plus sereine de sa vie, avec son mari, ancien bâtonnier du barreau de la Seine-Saint-Denis, avocat honoraire, s’initiant à l’informatique.
Par Claude Pennetier
OEUVRE : Parmi ses travaux, on peut citer ses contributions sur l’histoire de la Seine-et-Oise, dans : Jean-Pierre Rioux, Antoine Prost et Jean-Pierre Azéma (dir), Les communistes français de Munich à Châteaubriant (1938-1941), Presses de la FNSP, 1987. — Philippe Buton et Jean-Marie Guillon (dir), Les pouvoirs en France à la Libération, Belin, 1994. — Gilles Le Béguec et Denis Peschanski (dir), Les Élites locales dans la tourmente. Du Front populaire aux années cinquante, CNRS Éditions, 2000. — " Les Français et la politique dans les années soixante (II) ", dossier coordonné par Éric Duhamel et Gilles Le Béguec, in Les Cahiers de l’IHTP, n° 79, premier semestre 2002.
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Elle a également participé à la rédaction d’une centaine de notices du Maitron (citons : Maurice Nilès [maire d’Aulnay], Louis Péronnet [maire de Bezons], Jean Marty [frère d’André], Alexandre Prachay [député]) dans le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier puis le Dictionnaire biographique, mouvement ouvrier, mouvement social.
SOURCES : Arch. Thorez, 626 AP 42 (Paul Boulland). — Arch. Dép. Seine-Saint-Denis. — Claude Michel, Itinéraire d’un avocat engagé, L’Harmattan, 2010. — Témoignages.