MOUCHARD Ginette, Cécile, Renée

Par Yvonne Delemotte

Née le 6 juin 1943 à Courlay (Deux-Sèvres) ; ouvrière puis agent de maîtrise ; militante au MRJC ; secrétaire du syndicat CFDT Hacuitex (1969-1987) ; conseillère fédérale Hacuitex (1973-1983) ; membre de l’UL-CFDT de Cerizay ; membre du conseil de l’UD-CFDT des Deux-Sèvres (1972-1976).

Ginette Mouchard
Ginette Mouchard

Deuxième d’une fratrie de dix enfants, Ginette Mouchard prit place dans la famille entre deux couples de jumelles décédées. Son père Arthur Mouchard, né en 1913, fut ouvrier agricole puis manœuvre dans le bâtiment et sa mère, Henriette née Payneau en 1918, fut couturière à domicile. Ses parents, croyants et pratiquants réguliers, vécurent à Courlay, en location, dans une maison sans confort, jusqu’en 1957, année où ils purent faire construire une maison plus grande avec les commodités de l’époque.

En 1946, Ginette Mouchard fréquenta l’école privée des filles de Courlay jusqu’en 1957, où elle obtint le certificat d’études primaires. Durant une année, elle suivit une formation professionnelle de couture à l’EPIC (École de formation professionnelle de l’Immaculée Conception) de Bressuire (Deux-Sèvres) située à 12 km du domicile, mais elle n’y allait que deux jours par semaine, secondant sa mère les autres jours. À la suite de la naissance de jumeaux, elle cessa complètement d’assister à ces cours et fit en plus de l’aide qu’elle apportait à sa famille, divers travaux de ménage et des lessives chez des particuliers, participa aux préparatifs et services de repas à domicile et dans la restauration et assura des services dans des restaurants, cafés et bars. Lorsque les jumeaux devinrent plus autonomes, elle voulut reprendre ses études mais sa mère l’inscrivit contre son gré, fin 1961, dans l’entreprise Moynaton-Roy à Courlay (entreprise textile et confection de chemises hommes) de 300 salariés, majoritairement féminins. Entrer dans l’usine était alors considéré comme une promotion, par rapport aux jeunes filles qui devaient travailler à la ferme et rares étaient celles qui poursuivaient des études au-delà de quatorze ans. Ginette Mouchard fut affectée à l’atelier de confection dans lequel travaillait plus de la moitié du personnel et assuma comme polyvalente, la majorité des postes de travail de la confection, ce qui la mit en contact avec l’ensemble du personnel. En parallèle, elle prit des cours par correspondance pour être assistante sociale.

Elle commença sa vie militante en 1960 au MRJC (Mouvement rural de la jeunesse chrétienne) où elle assuma des fonctions d’animation et de responsable de camps d’adolescents. Au MRJC elle fut sensibilisée à l’histoire du monde ouvrier et à l’importance de la lutte pour plus de justice et de respect des personnes, ce qui l’amena à considérer que l’usine où elle était embauchée était le lieu où il fallait agir pour de meilleures conditions de travail et de vie. Le terrain étant syndicalement vierge, tout était à faire. Au quotidien, elle attira l’attention de ses collègues sur les conditions de travail et impulsa une forme de solidarité consistant pour certaines à ralentir les cadences afin que d’autres ne soient pas surchargées, le travail étant très parcellisé et à la chaîne.

En 1966 la direction lui proposa une courte formation à Cholet (Maine-et-Loire) dispensée par le CETIH (Centre d’études techniques des industries de l’habillement) pour devenir monitrice d’une section de formation d’éducation professionnelle au sein de l’entreprise.

En 1969, ne supportant plus leurs conditions de travail et leurs horaires particulièrement longs (52 h 30 par semaine), des ouvrières de Moynaton-Roy contactèrent Ginette Mouchard, qui était alors monitrice de la section de formation, pour faire entendre leurs revendications. Cette amplitude d’horaires était due au contexte particulier de Courlay, située dans le bocage vendéen. Petite commune rurale de 2 000 habitants, la moitié appartenait à une église catholique dissidente issue d’une frange qui, au moment du concordat, refusa de se soumettre au pape et poursuivit sa propre pratique religieuse. L’entreprise Moynaton-Roy étant gérée par deux associés dont l’un, dissident, imposa aux salariés, au-delà des jours fériés officiels, l’ensemble des jours religieux des dissidents : toutes les fêtes de la Vierge, la Fête Dieu, Saint-Pierre, Saint-Paul, etc. Tous ces jours chômés et non payés étaient récupérables. C’était l’annualisation du temps de travail avant l’heure. Pour donner suite à la demande des salariées, Ginette Mouchard adhéra avec cinq, six femmes au syndicat CFDT Hacuitex des Deux-Sèvres. Elles engagèrent un processus de création d’une section syndicale et se réunirent clandestinement dans un café à 8 km de Courlay pendant plusieurs mois avec André Pineau*, permanent CFDT des Deux-Sèvres, en vue d’acquérir un savoir-faire syndical et de constituer une liste de candidats aux élections professionnelles. Lorsque la section syndicale fut déclarée, il y avait une quarantaine de syndiqués. La maîtrise réussit son travail de sape et, au premier tour des élections, le quorum ne fut pas atteint. Pour le deuxième tour, la direction fit en sorte qu’une liste autonome se présenta face à la liste CFDT. Les autonomes obtinrent la majorité des voix dans le collège ouvriers/employés ainsi que le siège agents de maîtrise et cadres pour lequel Ginette Mouchard était présentée, mais elle n’obtint que 3 voix sur 50. Non élue, elle fut désignée comme déléguée syndicale et membre du CHSCT.

La création d’une section syndicale à Courlay fut une véritable révolution. Une partie du clergé des alentours la condamna publiquement. La majorité de la population ne put comprendre comment des ouvrières pouvaient contester de si bons patrons et on vit des personnes changer de trottoir à la vue des leaders CFDT. La famille de Ginette Mouchard souffrit de cette situation, ce fut un dilemme pour elle. Le syndicat autonome décida d’écrire aux parents des jeunes filles pour attirer leur attention sur le danger de cette section CFDT. Afin d’empêcher Ginette Mouchard de s’opposer à la distribution du courrier, elle fut même séquestrée dans le local de formation par les hommes. La direction considérant qu’elle encourageait les élèves à revendiquer, elle fut mutée au service production, à un poste de contrôleuse de qualité d’un nouveau marché aux normes exigeantes qui risquait d’être perdu. Tout au long de son parcours professionnel, elle dut faire face à diverses mutations. Elle reçut même une proposition d’entrer au comité de direction, ce qu’elle refusa. Malgré toutes les difficultés rencontrées, les salariées obtinrent des résultats et virent leurs horaires de travail ramenés à 40 heures par semaine après la création de la section.

En 1969, année de la création de la section, Ginette Mouchard intégra l’équipe naissante du syndicat CFDT Hacuitex (Habillement-Cuirs-Textile) des Deux-Sèvres qui se structura et se développa avec la création d’une vingtaine de nouvelles sections, soutenu par les structures interprofessionnelles. Elle en fut la secrétaire jusqu’en 1987. Elle fut membre de l’Union locale de Cerizay (Deux-Sèvres) et de l’Union départementale des Deux-Sèvres où elle intégra la commission traitant des conditions de travail et participa aux congrès de l’URI Poitou-Charentes. Elle représenta de 1972 à 1975 la CFDT à la commission de contrôle de la médecine du travail interentreprises des Deux-Sèvres. En 1972, elle rejoignit une équipe de militants Hacuitex Pays-de-la-Loire qui organisa la région CFDT Hacuitex Pays de la Loire/Deux-Sèvres.

À l’origine de la création de la section syndicale, Ginette Mouchard soutint activement le conflit Cousseau à Cerizay (Deux-Sèvres). À l’instar des LIP, les ouvrières de cette entreprise de l’habillement menèrent une action sur leurs conditions de travail, avec création d’ateliers clandestins, fabrication et vente des chemisiers. Elles prirent comme nom les PIL. Le conflit dura de juillet à décembre 1973. Le soir et les week-ends, Ginette Mouchard se rendait sur les lieux du conflit et aidait à populariser l’action menée. Devant les nombreuses réactions négatives d’une partie de la population, face aux actions syndicales menées par des femmes, Ginette Mouchard remit en cause sa pratique religieuse considérant qu’il n’y avait plus de sens à communier aux côtés de personnes qui s’opposaient aux actions pour le respect et la dignité humaine.

Désignée en janvier 1973 au conseil fédéral Hacuitex, Ginette Mouchard, seul agent de maîtrise des conseillers fédéraux de l’Habillement, y fut élue en 1974 au congrès de la Fédération Hacuitex de Flers (Basse-Normandie). Elle prit la responsabilité de la branche Habillement de 1976 à 1986. À ce titre, elle participa aux commissions paritaires de la branche Habillement pour y négocier les salaires, les classifications, l’amélioration de la convention collective, la mensualisation, les modalités de réduction du temps de travail. Ces négociations étaient déclinées au niveau régional et Ginette Mouchard fut une des leaders de la délégation CFDT. Une des grandes victoires fut la révision de la grille des classifications qui amena le premier coefficient au niveau du smic quel que soit le rendement, ce qui n’était pas le cas préalablement. Ainsi les diverses primes de rendement s’ajoutèrent au salaire de la grille de classification.

Ginette Mouchard participa à l’élaboration du Livre noir des conditions de travail dans l’Habillement, édité en février 1982 par la fédération Hacuitex. La réalisation de ce document se fit à partir d’enquêtes, de rencontres de militants afin de décrire les conditions réelles de travail et de dégager des axes d’actions et de revendications. L’entreprise Moynaton-Roy était à la pointe de l’évolution technologique et Ginette Mouchard s’interrogea sur les conséquences pour les salariés. Ainsi, au sein de la région Hacuitex Pays de la Loire/Deux-Sèvres, la fédération Hacuitex organisa un cycle de formation à l’ergonomie qui eut des répercussions nationales et enrichit la réflexion et la conduite de l’action. En 1986, l’entreprise sollicita une aide du FACT (fonds pour l’amélioration des conditions de travail). La section syndicale consultée donna son accord sous réserve d’être impliquée dans l’étude. À ce titre, une expérience de management participatif, ayant une dimension nationale pour l’habillement, fut conduite au sein de l’entreprise. L’allongement des tâches, la polyvalence, l’amélioration des conditions de travail et la revalorisation des classifications furent les fils conducteurs du travail de la section syndicale. L’ANACT (agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) partenaire de cette étude sélectionna cette expérience qui fut présentée avec les enseignements tirés par la section syndicale en novembre 1987 à 300 gestionnaires des Ressources humaines de grosses entreprises.

Au sein du conseil fédéral, Ginette Mouchard ne fut pas toujours à l’aise. Originaire d’une région n’ayant pas de tradition ouvrière, elle en prit la mesure au travers des interventions des conseillers venant d’autres régions. Ses interventions portèrent essentiellement sur les réalités vécues par les salariés de l’Habillement et l’adaptation nécessaire pour la mise en œuvre des décisions d’actions. En cela, elle fut représentative des conseillers fédéraux de sa région. Pour elle, le conseil fédéral fut surtout un lieu d’échanges, d’informations, de formation et de prise de décisions. Sa participation, lui permit d’élargir sa réflexion, son analyse de la situation économique, politique et sociale tant au niveau français qu’international. Sa responsabilité fédérale lui permit de se situer dans les débats interprofessionnels régionaux. Elle y fut porteuse des réalités d’exploitation des salariés des entreprises de l’Habillement, du Cuir et du Textile. Elle s’appuya sur celles-ci pour justifier les amendements et propositions du syndicat. Elle participa au congrès confédéraux CFDT de Nantes (1973) et de Bordeaux (1985). Bien qu’elle quittât le conseil fédéral en 1983, elle continua le conseil de la branche habillement jusqu’en 1987. Elle représenta la fédération Hacuitex à l’INPACT (Institut national pour l’amélioration des conditions de travail) de 1985 à 1987. En 1985, elle fut désignée par la fédération Hacuitex au CTNH (centre technique national de l’habillement).

En 1987, son entreprise étant sur le déclin, Ginette Mouchard interrogea la section syndicale sur l’action à mener pour le maintien de l’emploi. Devant les réactions négatives justifiées par l’occasion de changer de profession et de conditions de travail, elle décida de se reconvertir et, bien que non permanente, elle fut aidée par le service de reconversion des permanents de la confédération CFDT. En 1988, dans le cadre du congé individuel de formation, Ginette Mouchard intégra le CNFA (Centre national de formation à l’animation), ce qui l’amena à quitter Courlay pour habiter Paris (XVIIIe). Ayant obtenu le diplôme de direction de centres sociaux éducatifs et culturels, elle fut en 1989 embauchée au siège de la FNAFMA (Fédération nationale des associations familiales des maisons d’accueil, devenue Vacances et familles, regroupant 25 associations départementales). Avec ses 2 200 bénévoles et 50 salariés dont 8 au siège, Ginette Mouchard y fut chef de projet/coordinatrice nationale des 25 associations départementales de tourisme social. L’année de son arrivée 745 familles ayant des conditions de vie et sociale difficiles partirent en vacances, et 872 familles en 2003, année de son départ en retraite. À l’origine les bénéficiaires étaient uniquement des familles vivant dans les grandes cités d’Île-de-France. Au fil du temps, le dispositif fut ouvert à celles de province et du milieu rural. L’objectif de l’association, au travers du projet vacances, était d’accompagner les familles vers l’autonomie et l’insertion sociale. Ginette Mouchard élabora un dossier définissant le cadre de l’accompagnement avec une méthodologie relevant d’une démarche d’éducation populaire. Elle monta de nombreux projets, anima des formations d’administrateurs, de bénévoles et de familles suivies. Elle rédigea les règles opérationnelles inter-associations, tint les statistiques, les évaluations quantitatives et qualitatives. Elle conduisit plusieurs plans d’action triennaux.

Tout au long de sa vie militante, Ginette Mouchard fut guidée par sa soif de justice, de dignité, de respect de la personne, elle œuvra avec des publics aux conditions de vie modeste. Elle eut pour cible l’amélioration des conditions de travail et de vie ainsi que la promotion des plus faibles. En retraite en 2003, elle choisit de rester à Paris (XVIIIe). Elle se rendait régulièrement à Courlay dans une petite maison acquise en 1991 afin d’accompagner ses parents âgés habitant à proximité. Elle adhéra au syndicat des retraités CFDT de Paris. Elle participa aux réunions du secteur nord et au conseil d’administration du centre social de la Goutte d’Or où elle assuma plusieurs activités et des permanences. Elle représenta la CFDT à la commission des usagers du CLIC (Centre local d’information et de coordination gérontologique des XVIIIe, XVIIe, VIIIe arrondissements de Paris). Elle fut membre du bureau de l’association LVDN (« La vie devant nous »).

Elle épousa en 2012 Serge Dupont* qu’elle avait connu lors d’un voyage en Pologne organisé par Culture et Liberté en 1981 et avec qui elle vivait maritalement depuis 1988. Serge Dupont fut permanent CFDT à l’UPSM (Union parisienne des syndicats de la métallurgie).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article146716, notice MOUCHARD Ginette, Cécile, Renée par Yvonne Delemotte , version mise en ligne le 23 mai 2013, dernière modification le 23 mai 2013.

Par Yvonne Delemotte

Ginette Mouchard
Ginette Mouchard

ŒUVRE : Livre noir de l’Habillement, édité en par la Fédération Hacuitex, février 1982.

SOURCES : Arch. Fédération Hacuitex. — Documentation transmise par Ginette Mouchard. — Entretiens avec Ginette Mouchard février et avril 2013. — La lettre d’information de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, 128, mars 1988. — La lutte des PIL, supplément au n° 62 de janvier 1974 édité par l’UD-CFDT des Deux-Sèvres.

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