SALAÜN Yves, Bernard

Par Alain Prigent, Serge Tilly

Né le 19 novembre 1925 à Plouguenast (Côtes-du-Nord, Côtes-d’Armor), fusillé le 21 février 1944 au Mont-Valérien, commune de Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine) ; lycéen ; membre des Forces unies de la jeunesse patriotique (FUJP).

Yves Salaün était le fils d’Adrien, René Salaün, instituteur, né le 12 novembre 1894 à Saint-Adrien (Côtes-du-Nord, Côtes-d’Armor), et de Bernadette, Eugénie, Marie Flageul, institutrice, née à Plouguenast le 20 novembre 1902. Le père militait au Syndicat national des instituteurs (SNI). La famille demeurait sous l’Occupation 5 rue Calmette à Saint-Brieuc.
Lycéen, Yves Salaün fit sa scolarité au lycée Anatole-Le-Braz de Saint-Brieuc. Il fut membre des Forces unies de la jeunesse patriotique (FUJP), dont le responsable était Jean Hudo.
Le 15 novembre 1943 à 17 h 30, en gare de Plérin, avec ses trois camarades du lycée, Pierre Jouany, son cousin, Georges Geffroy et Pierre Le Cornec, Yves Salaün voulut soustraire à un vaguemestre allemand une sacoche contenant des documents. L’affaire tourna mal, Pierre Le Cornec, faisant usage de son arme, abattit le soldat allemand.
Le 10 décembre 1943 à 8 h 30, après une dénonciation, une grande rafle, encadrée par une quinzaine de Feldgendarmen et dirigée par le SS Müller du SD de Saint-Brieuc, fut organisée dans le lycée. Dix-neuf élèves dont les noms figuraient sur une liste furent arrêtés. Ils furent détenus à la maison d’arrêt de Saint-Brieuc. Huit d’entre eux furent transférés à Compiègne (Oise), puis déportés en camp de concentration.
Yves Salaün, Georges Geffroy et Pierre Le Cornec furent maintenus en détention. Pendant leur incarcération, ils furent affreusement torturés au siège de la Gestapo, 5 boulevard Lamartine à Saint-Brieuc. Les autres lycéens furent libérés.
Le revolver qui servit à abattre l’Allemand fut retrouvé, constituant une terrible preuve.
Les trois lycéens furent alors transférés à la maison d’arrêt de Fresnes (Seine, Val-de-Marne). Le 11 février 1944, ils furent jugés et condamnés à la peine de mort par le tribunal du commandant du département de la Seine « pour activité de franc-tireur et avoir participé à un meurtre ». Le 21 février 1944, ils ont été fusillés dans la clairière du fort du Mont-Valérien, le même jour que le groupe de Missak Manouchian, ceux de l’Affiche rouge, immortalisés par un poème de Louis Aragon chanté par Léo Ferré.
Le médecin militaire allemand constata le décès d’Yves Salaün à 15 h 16. Célibataire, il avait dix-neuf ans.
Il avait écrit une dernière lettre à sa famille.
Le 5 mars 1944, une messe fut célébrée en l’église Notre-Dame d’Espérance à Saint-Brieuc par les familles des trois lycéens fusillés. Au cours de la cérémonie, « La Marseillaise » fut interprétée aux orgues. Le journal départemental La Croix des Côtes-du-Nord, paru le 14 mai 1944, relata l’exécution : « par jugement d’un tribunal militaire, deux habitants de Saint-Brieuc et un d’Étables ont été condamnés à mort pour un assassinat. Le jugement a été exécuté ». Les noms ne sont pas indiqués dans le communiqué.
Le nom d’Yves Salaün figure sur La cloche du Mémorial de la France combattante au Mont-Valérien à Suresnes et sur Le monument du lycée Anatole-Le Braz de Saint-Brieuc, une plaque a été posée 5 rue Calmette à Saint-Brieuc, là où demeurait la famille et une salle de classe de l’ancien lycée, aujourd’hui collège Anatole-Le-Braz, porte son nom. Une rue de Saint-Brieuc porte le nom des Lycéens-Martyrs.
Yves Salaün fut inhumé au cimetière de Saint-Brieuc ; sur la sépulture familiale figure une plaque sur laquelle est gravé : « Fresnes 21 février 1944 – J’ai combattu pour un grand idéal la liberté ma suprême pensée sera pour vous chers parents et pour la France ma patrie, Yves ».
La mention « Mort pour la France » figure sur son acte de naissance. Il a été hologué interné résistant (DIR) et FFI.

Prison de Fresnes, le 21 Février 1944
Bien chère mère, bien cher père,
Bien chers tous.
Nous voici réunis tous les trois, Le Cornec, Geffroy et moi, dans une cellule qui verra les derniers moments de notre vie. Car on vient de nous notifier la confirmation de la terrible sentence. Terrible ? Certes, elle le sera plus pour vous que pour moi car la mort ne· fait pas peur à un soldat. N’allez surtout pas croire que je suis égoïste et que je ne pense qu’à moi, car c ’est à vous que je pense, et à tous les sacrifices que vous vous êtes imposés, vous Nénaine et parrain pour m’élever. Je ne vous ai peut-être pas donné toutes satisfactions que vous étiez en droit d’attendre de moi, mais j’ai suivi ma voie. J’ai toujours eu l’ambition d’être soldat, j ’en ai l’âme. Ne pouvant faire partie d’une armée régulière, j’ai fait partie de cette armée souterraine et obscure de la Résistance. J’en connaissais les dangers, mais j’en avais compris la sublime grandeur.
J’ai joué, j’ai perdu ce que d’autres gagneront, j’ai combattu pour un grand idéal : la Liberté. Je mourrai avec la satisfaction certaine de savoir que d’autres achèveront l’œuvre que j’ai, que nous avons nous tous commencée, qui mourons pour que la France vive.
Il ne faut pas vous laisser abattre par la terrible nouvelle, mais relever Je front devant 1’adversité. Cinq des Salaün sont déjà tombés pour la France, et je n’ai qu’un regret, c ’est de ne pouvoir perpétuer cette famille si éprouvée par les guerres.
Je ne puis vous exprimer dans cette lettre toute la tendresse que j ’ai pour vous. mais je suis sûr que vous la ressentez, bien que vous soyez en droit de croire que j’aurais pu la manifester d’une autre façon, mais que voulez-vous, le mal est fait et il n’y a pas à revenir sur cette question. Il est midi et nous avons encore deux heures à passer à la prison, mais je suis étrangement calme, car je m’étais fait à l’idée de ce qui m’arrive et de plus je suis sûr de pouvoir chanter, même devant Je poteau.
Je n ’ai pas parlé d’Annick, de Michou, de mes parents et amis, de Jean en particulier, mais combien je pense à eux.
Adieu donc, chers parents, dites adieu pour moi à la famille et aux amis. N’oubliez pas Marie. Ma suprême pensée sera pour vous et pour la France, ma Patrie.
Yves

Site des Lieux de Mémoire du Comité pour l’Étude de la Résistance Populaire dans les Côtes-du-Nord

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article146830, notice SALAÜN Yves, Bernard par Alain Prigent, Serge Tilly, version mise en ligne le 28 mai 2013, dernière modification le 19 août 2022.

Par Alain Prigent, Serge Tilly

SOURCES : DAVCC, Caen, Boîte 5 / B VIII 5 (Notes Thomas Pouty). – Arch. Dép. Côtes-d’Armor, 2W77, 2W119, 2W158, 2W159. – Collectif, De la nuit à l’Aurore, des lycéens dans la guerre, Association A. Le Braz, 1995. – Alain Prigent, Serge Tilly, « Les fusillés et les décapités dans les Côtes-du-Nord (1940-1944) », Les Cahiers de la Résistance populaire dans les Côtes-du-Nord, no 12, 2011. – Serge Tilly, « L’Occupation allemande dans les Côtes-du-Nord (1940-1944), Les lieux de mémoire », Les Cahiers de la Résistance populaire dans les Côtes-du-Nord, no 10, 2004 et no 11, 2005. – Notice biographique de Jean Hudo, rédigée par Alain Prigent, DBMOMS, t. 6, 2010. – État civil, Saint-Adrien. — AVCC, Caen, AC 21P 669225. — SHD, Vincennes, GR 16P 531691.— Ami entends-tu journal de la résistance bretonne, n°85, 1993 (dernière lettre).

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