Par Jean Puissant
Dour (pr. Hainaut, arr. Mons), 6 avril 1900 − Casteau (aujourd’hui commune de Soignies, pr. Hainaut, arr. Soignies), 24 juillet 1967. Employé puis secrétaire de mutualité, dirigeant des Jeunes gardes socialistes du Borinage (pr. Hainaut), conseiller provincial socialiste, député permanent du Hainaut, gouverneur de la province du Hainaut (1944-1947), ministre d’État (1966), époux de Denise Durant.
Fils d’un ouvrier métallurgiste, Eugène Cornez, devenu chef d’atelier aux établissements Patte (construction métallique) à Dour, Émile Cornez ne peut poursuivre ses études moyennes à Mons en raison de la guerre. Il est déporté du travail en 1917 dans le Nord de la France. Il fait la connaissance d’Achille Delattre dans le train qui les emporte. « L’amitié qui nous lia… malgré la différence d’âge, date de ce moment inoubliable » (Voir DELATTRE A., Souvenirs, Cuesmes, 1957, p. 60). Émile Cornez poursuit sa formation grâce à des cours par correspondance et comme élève libre de la Faculté des sciences politiques économiques et sociales de l’Université libre de Bruxelles. En 1917, il devient employé à L’Avenir, la Fédération régionale des mutualités socialistes, pour échapper à une nouvelle mesure de déportation.
Chef de bureau en 1920, Émile Cornez devient le secrétaire général de la Fédération régionale mutualiste en 1924 à la mort de Camille Moury*. Il occupe cette fonction jusqu’à sa désignation de chef de cabinet adjoint d’Achille Delattre, président de la Fédération mutuelliste depuis 1923, devenu ministre du Travail et de la Prévoyance sociale dans le gouvernement Van Zeeland en mars 1935. Il le reste jusqu’en janvier 1939, date à laquelle il reprend la direction des mutualités. En 1944, il devient gouverneur (intérimaire) de la province du Hainaut. Il est officiellement nommé premier gouverneur socialiste de la province en 1945, fonction exercée jusqu’à sa retraite le 24 février 1967.
Au sein des mutualités, où il rencontre sa future épouse Denise Durant et avec qui il forme également un « couple politique », Émile Cornez assure le développement d’une Fédération en pleine croissance, tant au point de vue des effectifs que des services offerts : 12.000 membres au sortir de la Première Guerre mondiale en 1919, 27.000 en 1928 (25.000 en 1936 au sortir de la crise), 27.800 en 1939, auxquels on peut associer les 10.000 membres des Femmes prévoyantes socialistes qui sont placées sous la direction de Denise Durant. Sous la direction de Émile Cornez, apparaissent des procédures administratives et comptables plus rigoureuses, des moyens de contrôle, des pharmacies mutualistes à Quaregnon, Wasmes, Hornu, Cuesmes, La Bouverie. En 1928, il existe dix services dédicacés. En 1936, l’immeuble de la Banque Belge du Travail, situé rue Chisaire à Mons, est racheté et devient le siège de la Fédération régionale des mutualités socialistes. Bien que devenu chef de cabinet, il ne relâche pas son attention sur l’évolution de la Fédération. En 1934, la mutualité consent un prêt à la Centrale régionale des mineurs pour l’aider à assumer le coût des grèves à répétition et la baisse de ses effectifs. C’est enfin lui qui propose, en 1937, pour réaliser l’extension et la modernisation de la clinique mutualiste à Baudour (aujourd’hui commune de Saint-Ghislain, pr. Hainaut, arr. Mons), de créer une ASBL des œuvres de santé des mutualités, chargée de gérer le patrimoine immobilier de la mutualité.
Émile Cornez n’est pas seulement un « technicien » et un organisateur qui s’affirme. C’est aussi un militant qui se construit d’abord au sein de la Jeune garde socialiste (JGS), où il milite dès 1918. En tant que président, il en est un des principaux dirigeants régionaux. Il défend diverses positions. Antimilitarisme, critique des budgets militaires sont classiques, l’organisation de loisirs jeunes également. Mais la crise économique du début des années 1930 entraîne une radicalisation du mouvement qui se manifeste par son organisation vestimentaire (uniforme, béret, insigne du fusil brisé…) et ses défilés gonflant rapidement les effectifs. Émile Cornez, membre du Comité fédéral du Parti ouvrier belge (POB) depuis 1924 et membre du Comité exécutif depuis 1932, y expose les critiques à l’égard d’un parti qui ne formule pas de voie à suivre pour combattre la crise (voir notamment l’importante grève des mineurs durant l’été 1932). Le 18 mars 1932, en assemblée fédérale plénière, il rappelle « l’objectif de la nationalisation des grands moyens de production et du crédit » et souligne qu’« … à la violence (réactionnaire), il faut opposer la violence prolétarienne ». La JGS est à l’origine d’un ordre du jour en faveur de la grève générale contre la politique gouvernementale à l’assemblée plénière fédérale du 15 mai 1933, à laquelle doit se rallier Achille Delattre. La Fédération boraine du POB, après amendement, vote cette motion qui est défendue au Congrès national du POB.
Il n’est pas étonnant de trouver la signature de Émile Cornez dans les premiers numéros de L’Action socialiste de Paul-Henri Spaak* et Albert Marteaux. Mais il n’est pas le plus radical, par rapport à Léo Collard*, Walter Dauge*, François Jumeau*… Il est vrai que ses responsabilités mutuellistes lui imposent d’autres voies, notamment l’intérêt de la participation du POB au gouvernement. Aussi « le Plan du travail » est accueilli avec ferveur par la JGS, quelles que soient les arrières pensées des uns et des autres.
Devenu chef de cabinet adjoint du ministre Delattre, on perd la vision des activités de Émile Cornez. Ce dernier n’en dit mot. Il est membre du conseil supérieur du Travail et de la Prévoyance sociale de 1937 à 1940. Sorti de charge, il reprend ses fonctions à la mutualité, mais l’action politique provinciale l’accapare. Élu conseiller communal à Dour en 1932, il est devenu conseiller provincial du Hainaut en 1936, député permanent en juin 1939, après avoir présidé le Conseil provincial, suite au retrait de François André.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, Émile Cornez est attaché au Commissariat belge aux réfugiés, quitte le pays et atteint Moulins (France) mais il revient sur le territoire belge dès juillet 1940. Les autorités allemandes le destituent le 8 mai 1941. Les anciens députés permanents du Hainaut se réunissent régulièrement pour préserver les intérêts de la province et prépare l’avenir. Émile Cornez cherche à garder intactes les forces vives socialistes dans l’arrondissement, lutte contre l’Union des travailleurs manuels et intellectuels (UTMI), syndicat unique imposé par les Allemands, malgré le passage dans cette organisation de plusieurs responsables syndicaux socialistes. Il fonde le journal clandestin montois, Renaissance nationale (1940-1941), sabordé lorsque L’Espoir et Le Peuple, organes clandestins nationaux auxquels il collabore, peuvent être diffusés régulièrement. Le taux de pénétration de ces organes dans l’arrondissement est le plus élevé de Wallonie. Le Monde du travail est également distribué. Émile Cornez participe à un réseau de renseignements militaires (Beaver-Baton). Inquiété, il se réfugie dans la clandestinité, du 16 mai 1942 au 10 septembre 1944, dans les Ardennes à Sy-sur-Ourthe (aujourd’hui commune de Ferrières, pr. Liège, arr. Huy), tout en gardant contact avec Victor Cornez, sa femme et Alfred Bonjean à la mutualité. Il revient à Mons dès la Libération. Il s’attèle alors au redémarrage des institutions provinciales comme gouverneur intérimaire, puis comme gouverneur régulièrement nommé à partir du 22 décembre 1945.
Émile Cornez crée avec Max Dreschel, l’Institut de recherches économiques du Hainaut (Charleroi puis Mons) et devient président du Conseil économique wallon (CEW) en 1947. L’essentiel de ses préoccupations le porte alors vers les questions de développement et surtout de reconversion économique. Il reste dans cette perspective « provincialiste », tandis que le Mouvement wallon s’affirme de plus en plus fédéraliste (voir les grèves de 1960-1961). Il préside le Conseil supérieur de l’enseignement technique de 1947 à 1963. Président du conseil d’administration de la Faculté polytechnique de Mons, il œuvre en faveur de la création du Centre universitaire de Mons, fondé le 9 avril 1965.
Affaibli par des soucis de santé consécutifs à un grave accident de voiture, Émile Cornez abandonne la présidence du CEW en 1962. Il quitte ses fonctions de gouverneur en février 1967, peu de temps avant son décès. Nommé ministre d’État le 13 juillet 1966, il est également président de la Fondation Arthur Jauniaux*, fondateur de l’UNMS, et lauréat de cette fondation. Titulaire des ordres nationaux, il est commandeur de la Légion d’honneur. Franc-maçon, il laisse l’image d’un grand gouverneur.
Époux de Denise Durant, Émile Cornez en a un fils, Jacques, docteur en médecine.
Par Jean Puissant
ŒUVRE : Vingt ans d’efforts, Cuesmes, 1929 (la mutualité régionale) − Les pensions de vieillesse ; exposé et commentaire de la loi du 15 décembre 1937 et des arrêtés d’exécution, Bruxelles, 1938 − Problème d’actualité. La décentralisation en politique et la déconcentration administrative, Charleroi, 1947 − Problèmes de l’humanisme contemporain, préface de Victor Larock, Bruxelles, 1948 − Cent ans de législation sociale en Belgique, Bruxelles, 1949 − Humanisme et société, Fondation gouverneur Émile Cornez, 1956 − Problèmes de l’humanisme contemporain, Fondation gouverneur Émile Cornez − Les problèmes économiques hennuyers. Conférence donnée à la Fondation universitaire le 21 février 1956, Bruxelles, Société royale et d’économie politique de Belgique, 1956 − Les communautés européennes ; le Hainaut dans le marché commun, s.l., 1958 − Hainaut d’hier et d’aujourd’hui, Bruxelles, 1962 − Nouvelles perspectives hennuyères, Charleroi, 1955 − Le patrimoine spirituel du Hainaut, s.l., s.d. − Éditions de ses discours de rentrée au Conseil provincial du Hainaut – Collaboration aux publications du Conseil économique wallon dont : Un péril national, la désindustrialisation de la Wallonie, n° 41, 1959, p. 1-20.
SOURCES : Institut Émile Vandervelde, Dossier personnel d’Émile Cornez (icono) − PUISSANT J., La Fédération socialiste républicaine (1919-1939), in Res Publica, X-1968, 4, p. 607-679 − Histoire de la Fédération des mutualités socialistes du Borinage (1910-1985), Mons, 1985 − MAERTEN F., « Du murmure au grondement. La résistance politique et idéologique dans la province du Hainaut (1940-1944) », Analectes d’histoire du Hainaut, 7, Mons, 1999, p. 315 et sv. − POTELLE J.-F., « Cornez Émile », dans Encyclopédie du mouvement wallon, t. I, Charleroi, 2000, p. 377-378 − PUISSANT J., L’Avenir de la mutualité entre passé et présent, in 100 ans de solidarité et demain, Mons, 2010, p. 20-43 − Notice réalisée par G. Gerdom, section Journalisme de l’Université libre de Bruxelles, 1984.