GODALIER Isidore, Julien

Par Gilles Pichavant

Né le 12 juin 1792 à Maromme (Seine-Inférieure, Seine-Maritime) ; ouvrier de filature au Houlme, dans la filature de M. Jacques Levavasseur ; mêlé aux grèves de 1825 dans les vallées de l’Austreberthe et du Cailly, visant à obtenir des ajustements de salaire ; arrêté, puis relaxé de délit de coalition.

Né dans une famille d’ouvriers papetiers, ouvrier papetier lui-même en 1816, puis ouvrier des filatures du Houlme (Seine-Inférieure). Isidore Godalier travaillait comme fileur dans la filature Levavasseur du Houlme en 1825.

En 1823, et en juillet 1825, les manufacturiers des vallées du Cailly et de l’Austreberthe prétextèrent l’augmentation du coton pour réduire à chaque fois les salaires de 10%, provoquant un appauvrissement général de la population ouvrière.

Dans la seconde moitié du mois de juillet 1825, les ouvriers fileurs, qui s’étaient organisés dans une coalition couvrant les deux vallées, obtinrent des augmentations de salaire, faisant céder les uns après les autres les filateurs de Pavilly, de Barentin, de Maromme, Notre-Dame-de-Bondeville, de Montville et du Houlme. Pour ce faire ils mirent en place une caisse de solidarité pour indemniser les ouvriers en grève, en même temps qu’ils dissuadaient les ouvriers au chômage de venir s’embaucher à leur place. Dans chaque fabrique, des collectes furent organisées, des délégués et un caissier désigné. Isidore Godalier fut le caissier de la filature Levavasseur. À plusieurs reprises les délégués des diverses filatures se réunirent dans un café à la sortie de Pavilly, sur la route en direction de Saint-Jean-du-Cardonnay. Ils y tinrent conseil, écrivirent des lettres aux fileurs des fabriques qui n’avaient pas encore rejoint le mouvement, et prirent des décisions d’action.

Un dispositif visant à fabriquer un alibi aux fileurs les plus exposés fut inventé, les militants devant s’abstenir de prendre part au mouvement déclenché dans leur propre fabrique, et s’ils devaient le faire, ils devaient paraître contraints et forcés. Les fileurs recevaient alors une lettre anonyme était lue en assemblée. Puis des ouvriers inconnus de la direction se présentaient aux portes des filatures pour faire arrêter le travail, en stoppant au besoin la roue à aubes qui entraînait les machines.

Grâce à cette organisation, début août 1825 il ne restait qu’une dernière filature où les salaires n’avaient pas encore été rehaussés : la filature Levavasseur au Houlme. On continuait à y rogner sur tout, y compris sur le temps des repas. Les ouvriers des autres fabriques incitèrent leurs camarades de cette fabrique, à agir eux aussi, « dans la crainte que la stupidité de Levavasseur ne soit imitée par les autres chefs de filatures ».

Ces ouvriers s’y heurtaient à forte partie, car le propriétaire, le Baron Jacques Levavasseur était alors l’une des plus grandes fortunes de la Seine-Inférieure. Descendant d’une famille d’armateurs de Rouen qui avait fait fortune dans le grand commerce et le commerce triangulaire, il était à la fois filateur, armateur, importateur de coton, et assureur de navires.

Le mercredi 3 août, vers 6 ou 7 heures du soir, Jacques Levavasseur arriva dans la filature. Immédiatement les fileurs descendirent des étages, l’entourèrent, et lui exprimèrent la revendication de voir le prix de leurs travaux augmentés et alignés sur celui des autres filatures des deux vallées. Jacques Levavasseur leur promit d’étudier la chose.

Le lendemain, 4 août, après avoir consulté ses contremaîtres, il leur annonça qu’il revaloriserait le prix des travaux pour l’ensemble des fileurs, « sauf ceux qui ne le méritaient pas », c’est-à-dire les animateurs de la coalition. Les fileurs arrêtèrent tous ensemble le travail, quittèrent la filature et tinrent conseil dans la forêt voisine. Ils prirent la décision de ne pas reprendre le travail tant que M. Levavasseur ne leur aurait pas accordé l’augmentation demandée.

Dans la soirée, Jacques Levavasseur porta plainte auprès du procureur. Il déclara que « le 23 juillet, jour du dernier paiement, un ouvrier avait été désigné pour recevoir un impôt de dix sols que chacun des ouvriers des cardes afin d’en remettre le produit à M. Godalier qui était sans doute le caissier de la coalition ». Il était donc parfaitement au courant de la coalition des ouvriers de sa filature. Il désigna des ouvriers de sa filature « comme chefs principaux de la révolte et de la coalition » : Deperrois jeune, demeurant chez son père au Houlme ; Fouette jeune, demeurant à Malaunay au lieu-dit le Nouveau monde ; Godalier Demeurant au Houlme ; Dieul demeurant au Houlme ; Duval demeurant au Houlme ; Baillif, demeurant à Montville ; Hauchecorne demeurant au Houlme ; Hurel demeurant à Malaunay, hameau de St Maurice. Levavasseur déclara qu’il se porterait partie civile contre ceux que l’instruction signalerait comme chefs et moteurs de la coalition, et annexa à sa plainte, une lettre anonyme reçue dans la filature et la déclaration de trois témoins, deux ouvrières et un contremaître.

Le samedi 6 août au matin, c’était le jour de paie. Les femmes de l’atelier des continus et des cardes cessèrent le travail à leur tour le matin. Dans l’après-midi tous les grévistes se présentèrent à l’usine pour recevoir leur paie. Ils se trouvèrent non seulement face à Jacques Levavasseur, son fils, et l’administration, mais en présence de huit gendarmes qui avaient été mis à la disposition du filateur pour prévenir les troubles. Les grévistes demandèrent « l’augmentation ou le livret », ce que le filateur refusa. Le ton monta. Des insultes fusèrent. Des ouvriers des filatures voisines arrivèrent, et la foule gonfla, scandant « l’augmentation ou le livret ». Un groupe armé de bâtons tenta de pénétrer dans la cour de la filature. Les gendarmes montèrent à cheval, et tentèrent de disperser la foule en chargeant sabre au clair. Sans résultat. Ils arrêtèrent six ouvriers : Pierre Bataille, Jean-François Quesnel, Louis Drouet, Pierre Ménard, du Houlme ; Paul Hébert, de Bondeville ; et Louis Vesque, de Malaunay.

M. Adeline, le Maire du Houlme, lui-même filateur, se présenta aux gendarmes quelques temps plus tard, et obtint leur libération pour apaiser la foule qui gonflait et s’agitait. Puis il se retira. Mais après trois quart d’heures d’accalmie, le ton monta de nouveau.

Constatant que la petite troupe de gendarmes était manifestement trop faible pour contenir la foule de plus en plus nombreuse, Levavasseur et son fils s’enfuirent en calèche, protégés par 4 gendarmes à cheval. Le convoi protégé par les gendarmes sabres et pistolets aux poings, traversa au grand galop des attroupements d’ouvriers successifs, à Maromme et Notre-Dame de Bondeville. Ils furent matraqué à coups de gourdins et de pierres.

Au Houlme les 4 gendarmes restant furent alors complètement débordés par la foule qui s’attaqua d’abord au pavillon de la direction, puis des bâtiments de la filature. Femmes et enfants envahirent les ateliers, brisèrent les vitres et dégradèrent les murs. L’émeute s’arrêta dans la soirée à l’arrivée d’une troupe d’une cinquantaine de gardes royaux dépêchés sur place par la préfecture. Ceux-ci installèrent leur campement à l’intérieur de la filature.

La lutte dans cette entreprise prit un nouveau tour dramatique le lundi 8 août 1825, qui fut marqué par l’affrontement entre 2000 fileurs armés de piques, de bâtons et de pierres, renforcés par des ouvriers de diverses professions, et 60 gardes royaux à cheval qui tentèrent de les disperser sabre au clair toute la journée. Si de nombreux ouvriers furent blessés, la mort du gendarme Vivier, blessé par un coup de fusil, entraîna une répression féroce de la part des autorités. Le préfet fit dépêcher sur place un détachement de 400 hommes de troupe, et se déplaça en personne pour organiser la répression. Il décréta l’État de siège qui conduisit à l’arrestation de plus de 130 personnes dans la soirée et les jours qui suivirent.

Quatre fileurs furent jugés aux assises. L’un d’eux, Jules Roustel. Il fut condamné à mort pour le meurtre d’un gendarme, pendant que 3 autres furent condamnés aux travaux forcés.

Soixante-quinze autres fileurs furent poursuivis pour délit de coalition, dont 14 furent condamnés à deux mois de prison (voir Coudray Louis Frédérique). Mais les coalisés de la filature Levavasseur échappèrent à la condamnation. Cependant Isidore Godalier, même s’il ne fut pas condamné, ne reprit pas son travail de fileur. Fut-il licencié et mis à l’index par les filateurs ? On ne le sait pas. Toujours est-il qu’il embrassa le métier de son beau-père, charpentier. Il le rejoignit comme ouvrier, et à son décès reprit l’activité à son compte. Il était toujours charpentier en 1847, à la naissance de sa petite fille Désirée Adélaïde Godalier.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article147150, notice GODALIER Isidore, Julien par Gilles Pichavant, version mise en ligne le 10 juin 2013, dernière modification le 23 août 2015.

Par Gilles Pichavant

SOURCES : Arch. Dép. Seine-Maritime, 2 U 563, 2 U 565, 10 M 330, 4E. — Journal de Rouen, août-octobre 1825. — Alain Alexandre Aspects des revendications sociales dans la vallée du Cailly, in Les Cahiers de Sylveison, N° 10, sept 2006.

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