MOREL Jean Louis Sébastien dit « l’Avocat »

Par Gilles Pichavant

Né le 26 thermidor an 10 (15 juillet 1802) à Rouen (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), mort le 19 juillet 1882 à Rouen ; ouvrier de filature à Pavilly (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), dans la filature de MM. Lasne ; mêlé aux grèves de 1825 dans les vallées de l’Austreberthe et du Cailly (Seine-Inférieure), visant à obtenir des ajustements de salaire ; condamné pour délit de coalition.

Né à Rouen, dans une famille de douaniers, Jean Louis Sébastien Morel fit son apprentissage de fileur dans les filatures de Rouen (Seine-Inférieure, Seine-Maritime). Au début des années 1820, Jean Louis Sébastien Morel devint fileur dans la filature Lasne à Pavilly (Seine-Inférieure, Seine-Maritime) située dans la vallée l’Austreberthe.

Au début de l’année 1823, les manufacturiers du Cailly et de l’Austreberthe prétextèrent l’augmentation du coton pour réduire les salaires, provoquant un appauvrissement général de la population ouvrière. Au début septembre, les fileurs de Barentin (Seine-Inférieure, Seine-Maritime), commune voisine de celle Pavilly, cessèrent le travail et manifestèrent à une cinquantaine dans les rues de la ville. On ne sait comme cette affaire se termina, ni s’il y eut des poursuites contre les grévistes.

Au début de l’année 1825, les mêmes manufacturiers diminuèrent de nouveau les salaires, sous les mêmes prétextes. Dans la seconde moitié du mois de juillet 1825, les ouvriers fileurs, qui s’étaient organisés dans une coalition couvrant les deux vallées, obtinrent des augmentations de salaire, faisant céder les uns après les autres les filateurs de Pavilly, de Barentin, de Maromme , Notre-Dame-de-Bondeville, de Montville et du Houlme. Pour ce faire ils mirent en place une caisse de solidarité pour indemniser les ouvriers en grève, en même temps qu’ils dissuadaient les ouvriers au chômage de venir s’embaucher à leur place. Dans chaque fabrique, des collectes furent organisées, des délégués et un caissier désigné. Dans la filature Lasne à Pavilly, Jean Louis Sébastien Morel fut de caissier de la manufacture.

À plusieurs reprises les délégués des diverses filatures se réunirent dans un café de Pavilly, ou de Notre-Dame de Bondeville. Ils y tinrent conseil, écrivirent des lettres aux fileurs des fabriques qui n’avaient pas encore rejoint le mouvement, et prirent des décisions d’action.

Jean Louis Sébastien Morel joua un rôle important dans cette coalition. Il fut le caissier de la coalition de la filature Lasne. Sachant lire et écrire, sans doute très prudent et ayant peut-être quelques notions juridiques, on lui donna le surnom de « l’Avocat ». Il fut sans doute l’un de ceux qui mirent en place un dispositif visant à fabriquer des alibis aux fileurs les plus exposés. Pour ce faire les militants devant s’abstenir de prendre part au mouvement déclenché dans leur propre fabrique. En cas d’arrestation ils devaient nier toute connaissance et toute appartenance à la coalition, et s’ils étaient contraints de le reconnaître, ils devaient plaider la contrainte, et dire qu’ils y avaient été forcés.

Pour être incité à entrer en lutte, les fileurs d’une fabrique recevaient une lettre anonyme qui était lue en assemblée. Puis des ouvriers inconnus de la direction se présentaient aux portes des filatures pour faire arrêter le travail, en stoppant au besoin la roue à aubes qui entrainait les machines. Dans une audience du procès pour coalition, Jean Louis Sébastien Morel reconnut avoir écrit une lettre sous la contrainte lors une assemblée de fileurs, et d’avoir été contraint de faire la lecture d’une autre lettre aux fileurs présents.

Grâce à cette organisation, début août 1825 il ne restait qu’une dernière filature où les salaires n’avaient pas encore été rehaussés : la filature Levavasseur au Houlme. On continuait à y rognait sur tout, y compris sur le temps des repas. Les ouvriers des autres fabriques incitèrent leurs camarades de cette fabrique, à agir eux aussi, « dans la crainte que la stupidité de Levavasseur ne soit imitée par les autres chefs de filatures ».

Ces ouvriers s’y heurtaient à forte partie, car le propriétaire, le Baron Jacques Levavasseur était alors l’une des plus grandes fortunes de la Seine-Inférieure. Descendant d’une famille d’armateurs de Rouen qui avait fait fortune dans le grand commerce et le commerce triangulaire, il était à la fois filateur, armateur, importateur de coton, et assureur de navires.

La lutte dans cette entreprise prit un nouveau tour dramatique le lundi 8 août 1825, qui fut marqué par l’affrontement entre 2000 fileurs armés de piques, de bâtons et de pierres, renforcés par des ouvriers de diverses professions, et 60 gardes royaux à cheval qui tentèrent de les disperser sabre au clair toute la journée. Le matin, Jean Louis Morel, Jean-Baptiste Dubarc, Dubreuil et Cadot, avaient fait débrayer les fileurs des filatures de la vallée de l’Austreberthe, qui s’étaient rendus à pied au Houlme au nombre de 4 à 500, en cortège compact, armés de bâtons. Dans l’après midi, si de nombreux ouvriers furent sans doute blessés, la mort du gendarme Vivier, blessé par un coup de fusil, entraîna une répression féroce de la part des autorités. Le préfet fit dépêcher sur place un détachement de 400 hommes de troupe, et se déplaça en personne pour organiser la répression. Il décréta l’État de siège qui conduisit à l’arrestation de plus de 130 personnes dans la soirée et les jours qui suivirent.

Mais le travail ne reprit pas immédiatement à la filature Lasne. Un contremaitre de la filature Lasne déclara avoir vu Jean Louis Morel distribuant de l’argent aux fileurs de l’établissement le 11 août.

Quatre fileurs furent jugés aux assises. L’un d’eux, Jules Roustel, dit Cagnard fut condamné à mort pour le meurtre d’un gendarme, pendant que 3 autres furent condamnés aux travaux forcés. Jules Roustel fut guillotiné.

Soixante quinze autres fileurs furent poursuivis pour délit de coalition (voir Coudray Louis Frédérique). Le 28 septembre Jean Louis Sébastien Morel fut condamné à deux mois de prison, avec 13 autres ouvriers, le 15e étant relaxé.

Mais le procureur du roi fit immédiatement appel, au prétexte que le tribunal avait écarté l’accusation de « chefs ou moteurs de la coalition » et, donc, ne leur avait pas infligé la peine prévue au 2e paragraphe de l’article 415 du code pénal, qui prévoyait un emprisonnement de deux ans à cinq ans. Le 24 octobre, la cour d’appel confirmait ce jugement de deux mois d’emprisonnement.

Le 23 septembre 1823, Jean Louis Sébastien Morel s’était marié à Villers-Chambellan (Seine-Inférieure) avec Véronique Rose Cauvin, ouvrière de filature. Son premier fils, Célestin Eugène naquit le 18 août 1825 à son domicile de Villers-Chambellan, alors qu’il était en prison. Sa naissance sera déclarée par Mme Veuve Cantel, 58 ans, mère de deux autres inculpés, dont l’un, Pascal Cantel, fut condamné avec lui. Le second, Aimable Cantel, avait été relaxé le 16 août dans une première vague de 25 fileurs. Ce fils mourut le 21 septembre à Barentin, sans que son père, Jean louis Sébastien Morel, n’ait pu le voir.

Jean Louis Sébastien Morel continua à travailler dans les filatures de Pavilly, puis alla à Montville (1828) puis Malaunay (1832). En 1850 il habitait Sotteville-Lès-Rouen, où il exerçait toujours le métier de fileur. En 1859, à la mort de sa femme, il semble qu’il s’était séparé d’elle, car il habitait Rouen alors qu’elle habitait toujours Sotteville-Lès-Rouen. Il était devenu journalier. Il se remaria le 15 juin 1871 à Rouen avec Virginie Rose Grousse. Le 12 mars 1881 il fut l’un des témoins du mariage de Maria Joséphine Massu, sa petite fille, et signa le registre. Il mourut le 19 juillet 1882 aux Hospices de Rouen à l’âge de 80 ans.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article147151, notice MOREL Jean Louis Sébastien dit « l'Avocat » par Gilles Pichavant, version mise en ligne le 10 juin 2013, dernière modification le 23 août 2015.

Par Gilles Pichavant

SOURCES : Arch. Dép. Seine-Maritime, M, 2 U 563, 2 U 565, 10 M 330, 4E. — Journal de Rouen, août-octobre 1825. — Alain Alexandre Aspects des revendications sociales dans la vallée du Cailly, in Les Cahiers de Sylveison, N°10, sept 2006. — État civil.

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