Par Marianne Caron-Leulliez
Né le 15 février 1919 à Vichy (Allier), mort le 23 mars 2007 à Paris (VIIe arr.) ; médecin accoucheur ; résistant ; un des continuateurs du Dr Fernand Lamaze dans la diffusion de l’accouchement sans douleur ; intellectuel de gauche, militant pacifiste.
Pierre Vellay naquit dans une famille de la bonne bourgeoisie, assez traditionaliste. Son père, Léon Louis Vellay, était marchand de biens à Montluçon ; catholique, il avait épousé une protestante, Augustine Abbe de Carroux. Quatrième enfant d’une fratrie de six, Pierre Vellay reçut une éducation catholique et fit ses études au lycée de Montluçon. Sa vocation médicale se fit jour très tôt, lors de la mort de son frère aîné en 1930. Après son baccalauréat (1937), il s’inscrivit en première année de médecine à Clermont-Ferrand où il obtint le PCB en 1938. Puis il poursuivit ses études de médecine à Paris, où il fit la connaissance de sa future femme Aline, fille d’un médecin gynécologue connu, Jean Dalsace, membre influent du PCF.
En septembre 1939, Pierre Vellay fut mobilisé comme infirmier dans une unité stationnée à Clermont-Ferrand ; il épousa Aline Dalsace le 18 novembre. Après avoir vécu la débandade militaire de juin 1940, il fut incorporé dans l’armée résiduelle issue de l’armistice. Il réussit à se faire réformer en décembre 1940, et reprit ses études à Clermont-Ferrand. La faculté de Strasbourg y était repliée depuis 1939, et elle allait devenir un foyer majeur de résistance. Vellay fut ainsi l’élève de deux professeurs strasbourgeois, futurs héros de la Résistance, Robert Waitz et surtout Jean Chaumerliac, dont il devint en 1941 l’assistant-moniteur pour les cours de thérapeutique, et avec qui il partagea déjà son désir de reprise de la lutte contre l’Allemagne. Il entra aussi en contact, en 1942, avec un médecin militaire dirigeant l’hôpital Saint Gabriel à Clermont, Raymond Debenedetti, qui rejoignit Alger en 1943. Les uns comme les autres commençaient, localement, à envisager les formes spécifiques d’une résistance médicale : noyauter les étudiants en médecine et organiser un service de santé en vue des actions à venir, en prévoyant des postes de secours équipés en matériel médical. Les différents groupes de médecins résistants, de zone nord comme de zone sud, se fédérèrent au début de 1943 pour créer le Comité médical de la Résistance (CMR). Quelques mois plus tard, Pierre Vellay, qui était déjà engagé dans l’action clandestine, se vit confier par le CMR le rôle d’agent de liaison pour l’Allier, le Puy-de-Dôme, la Loire et le Rhône. En mars 1944, après l’arrestation de Chaumerliac, il quitta Clermont-Ferrand par sécurité et s’installa près de Montluçon. Comme commandant FFI, il participa à la mise en place du service de santé de la Résistance dans les maquis de la Loire et dans le département de l’Allier, qui compta notamment deux hôpitaux clandestins ; il y œuvra lors des combats du Mont Mouchet et de la libération de Montluçon (août 1944). Puis il s’engagea dans l’armée avec le grade de capitaine et participa, au sein de l’organisme de réanimation-transfusion, à la lutte contre les poches allemandes de Vendée (La Rochelle et Royan) puis de Saint-Nazaire et de Lorient. Cité à l’ordre de son régiment en avril 1945, il fut décoré de la Croix de guerre, puis de la médaille de la Résistance, de la médaille des engagés volontaires et de la Croix du combattant volontaire de la Résistance.
Après la soutenance de sa thèse en 1947, Pierre Vellay se spécialisa en gynécologie-obstétrique. À l’exercice de la médecine libérale, il adjoignit des fonctions hospitalières : sur la recommandation du Dr Dalsace, il fut recruté comme assistant du médecin-chef de la nouvelle maternité qui s’ouvrait alors à la policlinique de la rue des Bluets (Paris XIe arr.), appartenant à l’Union des syndicats des travailleurs de la métallurgie de la région parisienne (CGT). Cela allait engager le cours de sa vie professionnelle. Cette maternité était dirigée par le docteur Fernand Lamaze. Celui-ci, en octobre 1951, revint d’un voyage en URSS porteur d’une nouvelle méthode obstétricale révolutionnaire qui l’avait enthousiasmé, l’accouchement sans douleur (ASD). Vellay fut lui aussi conquis, et la « clinique des Bluets », comme on l’appelait, se lança dans sa mise en œuvre en France. L’entente entre les deux hommes fut totale, et Vellay accompagna pleinement le travail de Lamaze sur l’ASD, cosignant avec lui la plupart des articles pionniers sur la méthode, subissant comme lui l’hostilité de certains collègues qui, indignés du soutien voyant que la presse et les organisations de masse proches du PCF leur apportaient, les déférèrent devant le Conseil de l’ordre en 1953 et 1954.
Politiquement, on peut alors considérer Pierre Vellay comme un compagnon de route du PCF : le rôle de l’URSS dans la victoire sur l’Allemagne, les liens tissés pendant la Résistance avec des communistes français, l’admiration et l’amitié pour son beau-père Jean Dalsace convergeaient pour lui donner confiance dans ce parti, auquel il n’adhéra pourtant jamais, non plus qu’à aucun autre. Sa conviction la plus forte fut, tout au long de sa vie, le pacifisme, né de la pratique de la médecine de guerre et de la vision des malheurs de la guerre, tant en France qu’en Autriche où il passa quelques mois en 1945-46 comme « occupant ». Aussi fut-il un militant actif du Mouvement de la paix dès 1948. Il en dirigea la section du XIe arrondissement ; il en fut un délégué au congrès international de Vienne en décembre 1952 où il présida la section médicale ; et il reprit alors de bonne foi, dans un article de La Nouvelle Critique, les thèses communistes dénonçant la « guerre bactériologique » soi-disant menée par les États-Unis en Corée. Après la mort d’Yves Farge (mars 1953), qu’il admirait et aimait, il milita moins activement, puis s’éloigna peu à peu du Mouvement et de la mouvance communiste, où il ne retrouvait plus son idéal d’union de tous les hommes de progrès. Ses convictions pacifistes le rapprochèrent alors de Pierre Mendès France qui négociait la fin de la guerre d’Indochine et l’autonomie du Maroc.
L’évolution politique de Pierre Vellay fut une des causes de la crise qui secoua la policlinique des métallurgistes en 1957. Dès avril 1954, la commission nationale des médecins communistes exprimait à huis clos son rejet à l’égard de Vellay : ce non-communiste ne saurait prétendre à devenir médecin -chef à la maternité après la retraite de Lamaze, d’autant moins qu’il cumulait son travail hospitalier avec l’exercice privé, facteur de « pourriture par le fric ». La direction ouvrière de la policlinique se méfiait de cet homme élégant et mondain, ami d’intellectuels et d’artistes. La protection que lui apportaient ses liens étroits avec Jean Dalsace ne valut plus rien à partir de 1956 : son beau-père était lui-même en but aux critiques de la direction du PCF à cause de ses engagements en faveur du « birth-control » et contre la répression par l’armée soviétique de l’insurrection hongroise. En janvier 1957, les dirigeants de la maternité annoncèrent une réforme du service qui aboutissait à l’éviction de Vellay. Lamaze s’y opposa lors d’une réunion houleuse en mars, à la suite de laquelle il mourut d’un infarctus. En juillet 1957, la réforme fut mise en œuvre, un poste de médecin-chef à plein-temps créé, auquel fut élu un médecin communiste. Vellay, suivi de tous les non-communistes de l’équipe de Lamaze, quitta la policlinique où l’accouchement sans douleur était né. Il s’employa dés lors à créer d’autres instances de diffusion de cette méthode, dont il devint le missionnaire infatigable.
Dès février 1958, Pierre Vellay réunit à Paris des disciples européens de Lamaze, italiens, espagnols, portugais et suisses notamment, pour fonder la Société internationale de psychoprophylaxie obstétricale (PPO), le nom savant de l’ASD. Il en fut d’abord élu le secrétaire général, puis le président en 1977. Il s’agissait de confronter les expériences pour améliorer la méthode, et de travailler à sa diffusion la plus large. Vellay fut le principal propagandiste de l’ASD à l’étranger. Dès 1957, il alla aux Etats-Unis : la « méthode Lamaze » venait de s’y faire connaître par l’ouvrage d’une jeune Américaine accouchée par Lamaze en 1956 ; les conférences de Vellay furent un appui puissant à son succès. En 1959, son premier voyage en Amérique du Sud (Colombie, Pérou, Uruguay, Argentine, Brésil) fit naitre des vocations durables qui, à leur tour, entraînèrent des médecins enthousiastes - même s’ils restaient minoritaires- à pratiquer l’ASD dans presque toute l’Amérique latine. Durant trente ans, Pierre Vellay fut un participant assidu des colloques et congrès internationaux de gynécologie. Partout, Vellay cherchait à faire naitre des sociétés nationales de PPO et, à tout le moins, à convaincre individuellement des accoucheurs. En 1998, on trouvait des adhérents de la Société internationale de PPO dans une quarantaine de pays des cinq continents. Les deux ouvrages de Pierre Vellay consacrés à l’ASD, de 1956 et de 1965, furent traduits en anglais, espagnol, grec, suédois et danois.
Lamaze et Vellay avaient défendu une théorie de l’ASD fondée sur la neurologie pavlovienne. Mais ce qui les avait conquis, dès 1952, c’était surtout la rupture avec l’orientation excessivement technique et interventionniste de l’obstétrique moderne au profit d’une approche plus humaine : apprendre à la femme la maîtrise de son propre corps, lui donner confiance et créer, lors de l’accouchement, un rapport interactif entre la parturiente et l’accoucheur, aboutissant à une spectaculaire diminution des douleurs sans médication ni anesthésie. Dès 1958, Vellay chercha à dépasser les oppositions idéologiques- liées directement à la guerre froide- entre les tenants stricts du pavlovisme et ceux qui pratiquaient l’accouchement sans douleur selon d’autres schémas explicatifs. Sans jamais renier le concept pavlovien de conditionnement, il l’inséra dans la perspective plus large de la médecine psychosomatique qui commençait alors à se faire connaître en France. Cette approche lui semblait être la vraie approche humaniste de la médecine : ne pas considérer dans le patient les seuls organes, mais voir en lui une personne chez qui le cerveau, avec tout ce que la vie a façonné en lui, joue un rôle déterminant dans le fonctionnement même du corps. Aussi la gynécologie le conduisit vite à la sexologie. Et comme l’ASD réussit d’autant mieux que la femme se connaît elle-même, Vellay milita pour l’éducation sexuelle précoce : dès le début des années 1960, il fit des conférences-débats auprès de lycéens ou de jeunes des maisons de la culture. Il était très proche du Mouvement pour le planning familial (son beau-père Jean Dalsace le présida de 1967 à 1970) ; et il n’hésita pas à parler à ces adolescents de la contraception avant même le vote de la loi Neuwirth. La question de l’avortement l’a toujours préoccupé, et il a toujours vu la contraception comme le meilleur remède à une pratique qui le désolait. Mais pour éradiquer le pire, c’est-à-dire l’avortement clandestin si mortifère, il a toujours soutenu ceux qui voulaient décriminaliser l’avortement dans certains cas, pour des raisons thérapeutiques ou sociales assez largement définies. Dès sa création en 1969, il entra à l’Association nationale pour l’étude de l’avortement (ANEA) qui militait en ce sens. En 1971, alors que l’opinion se mobilisait pour ou contre le « manifeste des 343 » femmes qui affirmaient s’être fait avorter, Vellay refusa de s’engager avec l’extrême gauche qui réclamait la liberté totale de l’avortement, mais signa une pétition où 220 gynécologues en demandaient une très large libéralisation. En février 1973, avec 205 autres membres de l’ANEA, il déclara publiquement « avoir fait ou préconisé des avortements » selon les règles et dans les limites d’indication que proposait l’association. Puis, contre la position du MLAC, il soutint la position légaliste de Choisir.
Après s’être éloigné du compagnonnage communiste, il n’en resta pas moins un militant de la paix et des droits de l’homme. Sans aller, comme ses amis Jean Dalsace, Robert et Denise Barrat ou Vercors, jusqu’à signer le manifeste des 121 sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie, il prit parti pour la paix négociée et l’indépendance, ce qui lui valut d’être plastiqué par l’OAS le 18 janvier 1962. L’instauration des dictatures militaires en Amérique latine, où il avait tant d’amis, le bouleversa ; en 1979, il appela publiquement, avec le Dr Léon Schwarzenberg, les médecins du monde entier à refuser tout enrôlement au service de la torture et à soutenir ceux des leurs qui y résistaient. Il adhéra aussi à l’Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire. Enfin le mouvement de mai 1968 trouva en lui un sympathisant actif, attentif aux revendications de la jeunesse. Comme ses amis Paul Milliez ou José Aboulker, Pierre Vellay fut un médecin que son passé de résistant imprégna toute sa vie, et pour qui l’engagement civique contre toutes les formes d’oppression était une nécessité morale.
Par Marianne Caron-Leulliez
ŒUVRE : Témoignages sur l’accouchement sans douleur par la méthode psychoprophylactique, Editions du Seuil, 1956 (en collaboration avec Aline Vellay) ; La vie sexuelle de la femme. Développement physique et psychique, accouchement sans douleur et maternité, Robert Laffont, 1965 ; Le guide du couple, Centre national du livre familial, 1966 ; La vie sexuelle du couple, Dunod, 1970 ; Le vécu de l’avortement, Editions universitaires, 1972 ; Levez les interdits. L’art de vivre sa sexualité, Seghers, 1977 ; Un homme libre, Grasset, 1985. (autobiographie).
SOURCES : Fonds Dalsace-Vellay, Manuscrits de la bibliothèque interuniversitaire de santé-médecine, Paris. — Arch. Union des syndicats des travailleurs de la métallurgie de la région parisienne, Maison des métallos, Paris. — Arch. Union fraternelle des métallurgistes, Maison des métallos, Paris. — Arch. Dr Yves Cachin, président de la commission nationale des médecins communistes de 1947 à 1957. — État civil de Vichy (Vosges) et de Paris (VIIe arr.). — Marianne Caron-Leulliez et Jocelyne George, L’accouchement sans douleur. Histoire d’une révolution oubliée, Les éditions de l’Atelier, 2004. — Jean-Yves Le Naour et Catherine Valenti, Histoire de l’avortement, XIXe-XXe siècle, Editions du Seuil, 2003. — Sandrine Garcia, « Expertise scientifique et capital militant. Le rôle des médecins dans la lutte pour la légalisation de l’avortement », Actes de la recherche en sciences sociales, 2005/3 n° 158. — Donation des archives « Dalsace-Vellay » à la Bibliothèque de Médecine, proposée par P. Vellay en 2006, approuvée par le conseil d’administration de l’Université Paris V-Descartes en 2007.