MOCCI Carmen [née CARBALLO Carmen]. Version longue

Par Gérard Leidet

Née le 5 juillet 1909 à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), morte le 13 octobre 2007 à La Ciotat (Bouches-du-Rhône). Militante communiste, ancienne des Brigades internationales, volontaire en Espagne républicaine, Résistante (pseudos, « Louise », « Georgette »).

Carmen Carballo-Mocci était la quatrième fille d’une famille de huit enfants. Son père était Basque d’origine espagnole. À l’âge de vingt ans elle exerçait le métier de couturière chez Chanel à Biarritz. En 1930, l’atelier ferma et Carmen Carballo décida, avec trois autres couturières, de partir pour Madrid. Avec ses camarades de travail elle trouva facilement un emploi chez Cripa, grand atelier de couture situé sur la Gran Via, fréquenté par la Haute bourgeoisie madrilène. En 1933 son père décéda et Carmen Carballo décida de rejoindre sa mère à Cannes où la famille s’était installée. C’est dans cette période qu’elle s’impliqua avec de jeunes militantes et militants anti-fascistes dans les luttes revendicatives.

À Cannes la solidarité avec les Républicains espagnols se développait rapidement ; c’est le moment où Carmen Carballo et ses frères adhérèrent aux Jeunesses communistes. Dans le même temps, l’un de ses frères, Joseph, partit se battre en Espagne aux côtés des Républicains en compagnie de Mario Cantarelli, secrétaire des JC de Cannes. Ce dernier fut tué sur le front de l’Èbre le 19 septembre 1938 (le 18 septembre à Corbera, selon une autre source). Joseph Carballo devait périr, fusillé par les franquistes, la même année à Poso Blanco sur le Front de Madrid. Un autre de ses frères, René, rejoignit lui aussi les Brigades Internationales avant que Carmen Carballo se porte à son tour volontaire avec André Pin, neveu de Virgile Barel, et Louis Pignon (tué plus tard au combat sur le sol espagnol).Tous trois rejoignirent Perpignan où Carmen Carballo, retenue quelque temps, embarqua comme accompagnatrice dans un camion de marchand de fruits et put ainsi passer la frontière. « Réceptionnée » à Valence, elle fut dirigée sur Albacète où se trouvait l’État-major des Brigades Internationales. Couturière de formation, on lui confia une responsabilité dans les services de l’habillement et elle fut affectée aux ateliers de récupération de vêtements et d’équipements militaires. C’est là que Carmen Carballo découvrit, au sein des forces incorporées dans les unités de l’Armée républicaine espagnole, les « conceptions différentes » concernant les tactiques et les actions à adopter. Accueillie par un volontaire Tchèque, elle exerça une fonction de « médiation » entre les ouvrières - en majorité anarchistes - et le responsable allemand, un certain « Kléklé ».Une autre mission, celle d’interprète auprès du Commissaire de la XIVe Brigade, « La marseillaise », lui fut confiée. Elle apprit ainsi que son frère René, téléphoniste, appartenait au bataillon « André-Marty », du nom de l’organisateur des Brigades internationales dont l’un des adjoints était Jacques Poveda, alias « Gomez ». À la suite de nombreux incidents sur les lignes téléphoniques, René Carballo entra violemment en conflit avec André Marty, avant d’être blessé à deux reprises. Carmen Carballo fut ensuite repliée sur Barcelone avec ses camarades où elle put revoir son frère René qu’elle croyait mort.

Le 15 novembre 1938, elle assista aux adieux « bouleversants » de Barcelone aux inter-brigadistes mais ne repartit pas avec les Brigades. Elle participa à une réunion de femmes qui se tenait à la Troïka de la Rambla Vola au cours de laquelle Dolores Ibarruri, la « Passionaria » lança un appel demandant aux femmes d’effectuer à l’arrière le travail des hommes afin que ces derniers puissent monter au front. « Je l’ai entendue, j’ai pris ma décision » précisait Carmen Carballo qui resta donc sur place, appelée à monter au front en camion pour creuser des tranchées. Peu avant l’arrivée des troupes franquistes, avertie par le couple qui l’hébergeait, elle quitta Barcelone sur les ordres ultimes de Jaoquin Garcia qui s’employait à organiser les départs. Arrivée à Géroue, à mi-chemin entre Barcelone et la frontière, suivant en cela les consignes du Parti communiste, elle apporta les soins aux blessés (notamment des victimes civiles des bombardements allemands et italiens) dans un couvent désaffecté. En route vers la frontière, elle fut contrôlée à Cerbère et « embarquée » dans un train avec les réfugiés espagnols.

Arrivée à Bordeaux, Carmen Carballo fut recueillie dans la famille d’un certain Audibert, militant communiste qui prit en charge son retour vers Cannes. Reprenant contact avec le Parti communiste elle rencontra une ancienne militante qu’elle avait connue aux JC qui lui demanda de l’aider à cacher deux exilés allemands anti-nazis ; ce qu’elle fit en hébergeant ces deux militants chez sa sœur durant deux nuits. Carmen Carballo s’investit très vite dans le travail clandestin avec Étienne Farra, ouvrier aux Chantiers navals, licencié pour cause de grève peu avant la dissolution des syndicats. Organisés progressivement en « groupes de trois », ils collaient des papillons contenant les mots d’ordre du Parti, des appels, des slogans ; ils diffusaient également Le cri des travailleurs. Ce journal lancé à Nice le 13 janvier 1935 par une équipe groupée autour de Virgile Barel était l’hebdomadaire de la Région communiste du Sud-Est. Le pacte germano-soviétique du 23 août 1939 porta un coup fatal au Cri, mais dès 1941, le Cri des travailleurs reparaissait, en tant qu’organe clandestin du Parti communiste, tiré à 4 500 exemplaires. Carmen Carballo cacha alors chez elle durant huit jours deux prisonniers de guerre soviétiques, « Grégor » (originaire de Sibérie) et « Georges » (Ukrainien de Kiev), visiblement évadés et arrivés sur la côte par l’intermédiaire d’une filière. Ils furent tous deux accueillis dans la compagnie Henri Diffonty (voir notice Joseph Carmagnole), et « Grégor » devait être tué lors d’une action armée au maquis.

En novembre 1942, elle fut l’objet d’un contrôle policier par les allemands qui lui confisquèrent ses papiers d’identité et son frère René, soupçonné, échappa de justesse à une arrestation grâce à la complicité d’un inspecteur de police. René Carballo passa alors en Espagne avec un réseau Gaulliste, rejoignit Alger avant d’être incorporé comme parachutiste dans les FFL ; il devait enfin participer au débarquement de Provence. Entre-temps, Carmen Carballo avait récupéré ses papiers à Vallauris ; désormais sous surveillance elle décida de rejoindre les Francs-Tireurs et partisans (FTP) avec l’aide d’Henri Diffonty. Entrée dans la clandestinité, elle fut envoyée à Nice ; mise en contact avec Albin Bandini dit « Liban », elle devint son agent de liaison chargée d’assurer les contacts entre Nice et les maquis des Basses-Alpes, notamment celui de Mézel. À Nice, elle fit la connaissance de Louis Calisti (dit « Murville »), évadé des Chantiers de jeunesse et de Jean Dorval. Carmen Carballo fut informée par le représentant de l’interrégion Roger Taïb (« Georges »), commissaire (CTIR) aux opérations FTPF à Marseille, que son champ de missions (transport de matériel de propagande et d’armes) allait être élargi à un secteur s’étendant de Marseille à Lyon via Nice et les Basses-Alpes. Elle prit alors comme pseudo les noms de Louise puis Georgette et eut à accomplir entre Cavaillon et Marseille une mission particulièrement délicate : ramener chez Yvonne Estachy une valise chargée d’explosifs avant de rendre compte à « Georges », son patron, de sa mission péniblement accomplie après bien des vicissitudes. En 1943, Carmen Carvallo dut effectuer un autre « transport » à La Bégude (var). Il s’agissait d’un sac rempli de tracts et de matériel de propagande tirés à la ronéo à Marseille par Claire, la compagne de Gaston Beau- « Calas »- le commandant FTP. Elle fut ensuite envoyée en mission à Avignon par Louis Blésy- « Granville », commandant militaire début 1944 de six départements constituant la R 2 Provence et qui venait de remplacer Roger Taïb- « Georges- affecté dans le Gard comme responsable des FTP. Carmen Carballo devait en effet retrouver Louis Calisti- « Murville » et Ginette Consalvi, une jeune résistante originaire de Nice. Le « groupe » fut retenu une journée et une nuit à Avignon car la gare ayant été bombardée, le trafic ferroviaire avait été suspendu. Sur les conseils de Granville Carmen Carballo alla revoir sa mère à Cannes mais arrivée aux abords de la maison, le patron du bar voisin l’avertit que cette dernière avait été arrêtée la veille et que la Gestapo fouillait la maison. Grâce au soutien d’un policier français qu’elle connaissait - sa mère n’étant pas inquiétée d’avantage - elle put prendre le car en direction de Grasse puis rejoindre Marseille. À l’été 1944, de retour d’une mission à Sainte-Cécile les Vignes (Drôme), Carmen Carballo fit étape à Avignon. Elle fut alors arrêtée par la police allemande en compagnie d’un ancien capitaine de l’armée française-un certain Durand, « visiblement patriote », rencontré peu de temps auparavant- et de quelques jeunes gens. Le groupe fut d’abord emprisonné à la caserne du 7e génie puis transféré à la Citadelle de Pont Saint-Esprit. C’est au cours du transport en camion que Carmen Carballo fut sévèrement blessée par des coups de crosse. Elle vit la mort de près. Le chef de la Gestapo refusa de la faire soigner : « Elle n’en a pas besoin. Elle sortira avec les pieds à l’horizontale ».

Elle reçut cependant des soins grâce à une codétenue, madame Campo et par un gardien italien, pharmacien de son état. Carmen Carballo demeura neuf jours dans cette citadelle avant d’être transférée avec ses compagnons d’infortune à la prison Sainte-Anne d’Avignon, isolée un temps dans un cachot, enfin mise en cellule en compagnie d’une dizaine de femmes. C’est le 22 août 1944 que l’action des maquis FTP du Vaucluse et des environs, permit la libération des prisonniers et qu’elle fut sauvée par un commando de résistants. Mais parmi les incarcérés, deux hommes que Carmen Carballo avait connus durant sa détention, un pépiniériste de Sarrian (Vaucluse) qui ravitaillait les maquis et un ouvrier de l’entreprise furent affreusement torturés. Rendue à la liberté, elle résida quelques jours à Avignon puis fut ramenée à Marseille afin de rejoindre l’Etat-major FTP installé rue d’Aubagne. C’est là et dans cette période mouvementée qu’elle y rencontra son futur époux César Mocci, résistant ciotaden FTPF, qui fut l’un des derniers survivants de la 1ere Compagnie de Provence. Elle poursuivit son activité jusqu’à la Libération qui survint alors qu’elle se trouvait toujours à Marseille.

Militante communiste jusqu’à la fin de sa vie, Carmen Carballo-épouse Mocci-effectua un long parcours combattant entamé en Espagne. Fortement marquée par son combat pour la cause républicaine en Espagne dans les années 1930 comme volontaire dans les Brigades Internationales, elle évoquait brièvement ce passé douloureux : « J’ai vu les horreurs faites par les hommes de Franco… ». Pendant la guerre, engagée dans la Résistance contre le nazisme et la collaboration, une nouvelle vie dans la clandestinité avait commencé pour elle.
Elle consacra les années d’après-guerre à l’aide aux démocrates espagnols en lutte contre le franquisme. Si la guerre était terminée en France, elle n’oublia jamais son Espagne qu’elle avait au cœur. Jusqu’à la mort de Franco, elle s’activa au sein de l’Union des Femmes Espagnoles de France pour aider le Parti Communiste Espagnol. Elle passa régulièrement la frontière pour distribuer Mundo obrero, l’organe de presse du PCE dont le tirage était effectué à la ronéo dans le quartier des Camoins à Marseille.

Femme de courage selon de nombreux témoignages, Carmen Mocci laissa derrière elle « une vie d’engagement pour la libération humaine, le progrès social et la lutte contre le fascisme ». Elle avait su conjuguer son engagement idéologique avec l’action nécessaire dans des temps difficiles. Lors de ses obsèques à La Ciotat en octobre 2007, l’hommage des Amis des combattants en Espagne républicaine et du Parti communiste français rappelait le parcours de celle qui " Basque de naissance », avait tout donné pour son idéal : « De l’Espagne républicaine où tu t’es engagée au sein des Brigades Internationales, pour repousser la traître armée de Franco, à la France des maquis où tu as servi d’agent de liaison, notamment de notre camarade "Liban", tu auras fait part de ton courage et de ta détermination à aider les peuples opprimés. Nous sommes fiers de t’avoir eue comme camarade et nous te faisons la promesse de poursuivre ton action en toutes circonstances. Nous crions plus fort que jamais en saluant ta mémoire et celle de tous ceux qui ont combattu le fascisme et le nazisme à tes côtés : No pasaran ! »

Carmen Mocci était mariée à César Mocci* rencontré à l’état-major FFI.

Elle était titulaire de la médaille Volontarios Internacionales de la Libertad, 1936-1939 ; promeritas BI-IB (médaille des Combattants volontaires de la Guerre d’Espagne décernée après la Libération). Carmen Mocci faisait partie avec César Mocci de l’Amicale des Vétérans des Bouches-du-Rhône du Parti communiste.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article147290, notice MOCCI Carmen [née CARBALLO Carmen]. Version longue par Gérard Leidet, version mise en ligne le 17 juin 2013, dernière modification le 17 juin 2013.

Par Gérard Leidet

SOURCES : Archives municipales de La Ciotat (Bouches-du-Rhône). — Presse, L’Humanité, 16 octobre 2007. — Récit d’un long parcours (1930-1939), témoignage recueilli par Gaston Lenfant*, juin 1999. — Notice DBMOMS, Henri Carmagnole (Jean-Claude Lahaxe).

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