MORFAUX Louis-Marie [MORFAUX Louis, Marie, dit]

Par Alain Dalançon, Bruno Poucet

Né le 26 mars 1904 à l’Isle-sur-le-Doubs (Doubs), mort le 18 février 1999 à Paris (VIe arr.) ; professeur agrégé de philosophie ; résistant ; militant syndicaliste du SNES ; fondateur en 1947 de l’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public.

Fils de Paul Morfaux, médecin à L’Isle-sur-le-Doubs, et de Lucie Verrier, sans profession, Louis-Marie Morfaux perdit son père à l’âge de huit ans. Il fit ses études secondaires au collège de Baume-les-Dames (Doubs), et poursuivit ses études supérieures à Besançon puis à Paris. Il fut successivement répétiteur à Poligny (Jura), Lure (Haute-Saône), puis professeur-adjoint délégué au lycée Henri IV à Paris, où il fit la connaissance d’Alain. Il était sportif, pratiquait le rugby et jouait encore au tennis à 80 ans. Il épousa en mai 1930 à Belfort, Marcelle Jolivet.

Louis-Marie Morfaux fut reçu à l’agrégation en 1938 (3e sur 14, en même temps que Gaétan Picon, Stéphane Piobetta et André Canivez). Nommé au lycée de Bourges (Cher), il participa à la Résistance de façon active dans le réseau « Eleuthère » créé en 1942 par Hubert de Lagarde, rattaché à « Libération Nord » et consacré au contre-espionnage et au renseignement. Il se remaria en juillet 1942 à Paris (XVIe arr.) avec Madeleine Bentejac.

Après la Seconde Guerre mondiale, il fut nommé au lycée Claude Bernard à Paris en 1946 où il exerça jusqu’à sa retraite en 1969 (y étaient notamment formés les futurs professeurs d’arts plastiques), tout en enseignant également, à partir de 1953 en hypokhâgne au lycée Condorcet ; il fut également chargé de cours à l’École normale supérieure de l’enseignement technique, à la Sorbonne (Institut d’administration des entreprises), puis à Nanterre.

Louis-Marie Morfaux joua un rôle essentiel dans la transformation de l’ « Association amicale des professeurs de philosophie des lycées », créée au début du siècle et reconstituée en mai 1945 après sa dissolution en 1939, devenue à cette occasion « Association des professeurs de philosophie des lycées et collèges ». Après le décès brutal de Charles Serrus, le 1er mai 1946, il lui succéda le 30 mars 1947 comme président de l’association qui s’ouvrit à cette occasion également aux professeurs de l’enseignement technique, à ceux des écoles normales et des facultés et devint ainsi l’ « Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public » (APPEP). Il fut aussi le premier directeur de la Revue de l’enseignement philosophique dont le premier numéro parut en 1950 (elle avait été précédée d’un bulletin paru à partir de décembre 1947). Il demeura président jusqu’à sa retraite et fut ensuite président d’honneur jusqu’en novembre 1993, puis jusqu’à sa mort, président fondateur. Cette association qui comptait 237 adhérents en 1951, rassembla rapidement la quasi-totalité des professeurs de philosophie dans le second degré, 800 en 1955, 1 000 en 1963 sur 1 089 professeurs.

Afin de défendre la place de la philosophie dans l’enseignement secondaire et la définition de ses programmes, Louis-Marie Morfaux travaillait durant les années 1950-1960 en étroite collaboration avec la direction « autonome » du Syndicat national de l’enseignement secondaire dont les orientations en matière de défense de l’enseignement secondaire rejoignaient celles de la Société des agrégés et de la « Franco-Ancienne » dirigée par Maurice Lacroix. Il fut ainsi élu sur les listes du SNES au Conseil de l’enseignement du second degré, comme suppléant en 1950 puis comme titulaire en 1954 et 1958. En même temps il se préoccupait de défendre les intérêts corporatifs individuels de ses collègues de philosophie en étant élu, toujours sur les listes du SNES, à la commission administrative paritaire nationale des agrégés dans les années 1960.

Dans la Revue de l’enseignement philosophique et dans l’Université syndicaliste, organe du SNES, en « véritable stratège, et souvent en habile tacticien » plus qu’en pédagogue, il écrivit de nombreux articles dans lesquels il définissait les « doctrines » de son association, de plus en plus oppositionnelles aux différents projets de réformes du second degré sous la IVe République et le début de la Ve, qui déclassaient à ses yeux la philosophie, en faisant d’elle une discipline comme les autres, n’ayant plus d’importance que pour les littéraires.

Il estimait en effet que l’enseignement de la philosophie devait couronner l’enseignement secondaire et lui donner tout son sens, celui de « fournir à tous ses élèves les bases d’un humanisme », car son objectif principal était de « former des hommes » ayant un « fonds commun de valeurs ». Il s’appuyait ainsi sur les conclusions de la commission Langevin-Wallon qui avait prévu que la classe de terminale couronnerait l’ensemble des études tant scientifiques que littéraires par un enseignement de large synthèse où celui de la philosophie ne descendrait jamais en dessous de 7 heures et demie hebdomadaires (en réalité Langevin proposait 5 heures dans toutes les terminales).

En conséquence, selon Morfaux, tous les éducateurs devaient lutter pour que les classes de second cycle, la terminale en particulier, ne deviennent pas des classes d’orientation professionnelle ou préprofessionnelle ; il préférait parler d’ « orientation selon les aptitudes » et non vers les carrières. Il admettait en gros deux types d’aptitude : le premier défini par « l’esprit objectif, tourné par la connaissance de l’univers matériel ou de la vie et dont l’instrument de base est les mathématiques » ; le second « tourné vers la connaissance de l’homme et du monde interhumain, dont les instruments de base sont la littérature, l’histoire et la géographie puis la philosophie ». Il ajoutait qu’il y avait nécessité pour les hommes de notre temps d’une « forte culture compensatrice, scientifique et philosophique apportant à tous les élèves une conception saine et objective de l’univers. » Ces prémisses commandaient l’économie de l’année de terminale et conduisait à deux seules sections, celle de mathématiques et celle de philosophie, dont il voulait surtout redorer le blason ; son association s’était en effet toujours opposée à la création de la section de sciences expérimentales et à tout projet d’une section sciences humaines ou technique-économique. Dans la première, il proposait de décongestionner les programmes scientifiques trop ambitieux et de créer deux options, de mathématiques et de sciences expérimentales, afin d’y donner un enseignement de véritable initiation à la philosophie, en permettant à un élève de continuer à faire du latin, du grec et des langues vivantes. Dans la seconde, il souhaitait retrouver les équilibres comparables à ceux de 1939, en s’opposant à tout projet d’une classe de philosophie-lettres, en proposant que les enseignements de langues anciennes et vivantes soient poursuivis, que l’enseignement scientifique soit donné par un même professeur, afin que cette classe redevienne une « véritable classe de culture où les élèves sont disponibles pour la réflexion », la plus recommandée pour les futurs administrateurs, juristes, médecins…

Cette doctrine qui décrivait en réalité un projet complet de l’organisation de l’enseignement de second degré s’accordait avec un enseignement de la philosophie générale qui lui faisait combattre ses collègues qui souhaitaient un enseignement moins métaphysique. La plupart de ces orientations furent contrecarrées par l’adoption du nouveau programme de 1960 beaucoup plus ordonné autour des sciences humaines et sociales, auquel Morfaux s’opposa, et par la réforme des terminales de 1965.

Durant les années 1960, Morfaux rencontra de plus en plus d’opposition dans le SNES, surtout après le passage de la direction à la tendance « Unité et Action » en 1967. En 1969, il s’opposa dans l’association à Jean Petite*, professeur de philosophie, secrétaire de la commission pédagogique du SNES, qui ne put être ainsi élu membre du bureau national de l’association. Cette période vit ainsi le départ de certains membres de l’association.

En avril 1975, alors qu’il avait pris sa retraite, fidèle à ses convictions, Louis-Marie Morfaux participa à un colloque de la Société française de philosophie organisé contre l’avancement de la philosophie en classe de 1ère que le nouveau ministre René Haby envisageait dans sa réforme du second cycle, faisant de la classe de terminale une classe à options. Il expliqua que « l’enseignement philosophique, dans sa fonction d’éducation, exige une certaine maturité d’esprit » ; il « se veut synthèse et couronnement des études secondaires », et ne saurait par là-même « être une option de l’année terminale » ; il constitue un bloc qui ne saurait être non plus fragmenté ou avancé en 1ère, ce qui conduirait à la perte de la valeur de l’enseignement secondaire. A la suite de la réunion en juin 1979 des États généraux de la Philosophie, la réforme du ministre ne fut pas mise en application, mais Morfaux ne fit pas partie du comité d’organisation. Il était en effet en total désaccord avec le GREPH (Groupe de recherche sur l’enseignement de la philosophie) organisateur de ces états et qui préconisait un enseignement de la philosophie dès la seconde. Accroché à une conception élitiste de l’enseignement de la philosophie et de l’enseignement secondaire, il refusa toute évolution nécessaire à cet enseignement. En même temps son association perdit beaucoup de sa représentativité.

Louis-Marie Morfaux mena également son combat en écrivant seul ou en collaboration plusieurs livres et manuels (dans une collection de l’éditeur Colin qu’il dirigeait) qui connurent de nombreuses rééditions revues et augmentées par des collaborateurs. A la retraite, il participa par ailleurs à la formation continue des cadres de l’industrie.

Il était médaillé de la Résistance et chevalier de la Légion d’honneur.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article147369, notice MORFAUX Louis-Marie [MORFAUX Louis, Marie, dit] par Alain Dalançon, Bruno Poucet, version mise en ligne le 20 juin 2013, dernière modification le 20 décembre 2021.

Par Alain Dalançon, Bruno Poucet

OEUVRE : L’homme et le monde. Textes choisis et commentés (avec Françoise Raffin), 1977 ; La pratique et les fins. Textes choisis et commentés (avec Françoise Raffin), 1977 ; La connaissance et la raison (avec Gérard Guest), 1977 ; Anthropologie, métaphysique, philosophie (avec Patrice Henriot), 1977 ; Philosophie, terminales C, D, E, F, G, H... : notions et textes choisis et commentés (avec Patrice Henriot), 1979 ; Vocabulaire de la philosophie des sciences humaines, 1980 (revu et augmenté ensuite par Jean Lefranc) ; Résumé et synthèse de textes. Méthode et exercices corrigés (avec Roger Prévost) 1984.

SOURCES : Arch. IRHSES. — Hervé Boillot, « La genèse de la doctrine de l’enseignement de la philosophie peut-elle éclairer les difficultés que nous rencontrons aujourd’hui ? », Coté philo (revue de l’ACIREPH) n°14, juin 2010, p. 31-44. — Bruno Poucet, Enseigner la philosophie. Histoire d’une discipline scolaire 1860-1990, CNRS Éditions, 1999. —L’Enseignement philosophique, n°4, mars 1999. Association amicale des professeurs de philosophie des lycées et collèges, bulletin (1946-1950).

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