CHIZAT Gaston, Pierre

Par Pierre Bonnaud

Né le 29 mai 1909 à Saulce (Drôme), mort le 13 juin 1996 à Valence (Drôme) ; agent technique de la Société d’électricité de la vallée du Rhône au Teil (Ardèche) puis de L’Énergie industrielle à Valence (Drôme) et chef de bureau EDF à Valence après 1945 ; syndicaliste CGT, secrétaire du syndicat CGT de son entreprise au Teil puis à Valence, secrétaire de l’UL CGT du Teil du milieu des années trente jusqu’en 1945, trésorier de l’UD-CGT Drôme-Ardèche en 1945, permanent de la fédération CGT de l’Éclairage (1950-1956) ; président du conseil d’administration de la coopérative « La Maison du peuple » de Valence en 1951.

Gaston Chizat fut l’une des fortes personnalités du mouvement syndical de l’Ardèche et de la Drôme du Front populaire aux années cinquante. Les renseignements fragmentaires que nous possédons sur lui permettent cependant de retracer les grandes lignes de son itinéraire.

Léon Pierre Chizat , cultivateur, et son épouse, Maria Valérie Lextrait, ménagère, étaient établis à Saulce (Drôme) au moment de la naissance de leur fils Gaston, Pierre. Chizat père entra par la suite à la compagnie PLM et résida avec sa famille au centre ferroviaire du Teil en Ardèche. Gaston Chizat reçut une formation de dessinateur industriel. Le 11 juin 1932, il se maria au Teil avec Marguerite, Marie, Eugénie Michel, sténo-dactylo, née à Marseille le 22 décembre 1910, dont le père était contremaitre électricien.

Gaston Chizat était entré comme agent technique à l’usine électrique du Teil. Propriété de la Société d’électricité de la vallée du Rhône, l’entreprise avait intégré le groupe L’Énergie industrielle en 1939 et employait une cinquantaine de salariés. Secrétaire du syndicat CGT de son usine, Gaston Chizat était aussi secrétaire de l’Union locale des syndicats du Teil dans la deuxième moitié des années trente.

Gaston Chizat fut l’un des organisateurs des grèves de 1936-1937 au Teil. Suite à une demande d’enquête, son employeur le qualifiait de « gréviculteur » et décrivait ainsi sa personnalité dans une lettre au préfet de l’Ardèche, le 5 août 1941 : « Chizat est âgé de 32 ans. Il est marié, sans enfants. Sa femme est employée dans la même société (ainsi d’ailleurs que l’une de ses belles-sœurs et deux de ses beaux-frères). (…) Sa compétence professionnelle est indéniable et, de l’avis de ses chefs de service successifs, il remplit ses fonctions avec beaucoup d’intelligence et de soin ». Il poursuivait en précisant son rôle dans le mouvement social des années de Front populaire : « La première grève éclata le samedi 4 juillet 1936. il y eut immédiatement occupation de l’usine électrique et des bureaux du Teil. A la rentrée du travail à 14 heures, les piquets de grève étaient en place sous la direction de Chizat. Le personnel masculin manifestait par poings levés ; tandis qu’une partie du personnel féminin (la femme de Chizat et ses deux belles-sœurs) arborait des robes rouge de circonstance ».

Une deuxième grève éclata dans l’entreprise du 10 au 15 juillet 1937. Le conflit portait sur l’application de la semaine de quarante heures. Les dirigeants de l’usine électrique durent quitter les locaux occupés par les grévistes. Sous la direction de Chizat, le 13 juillet, les grévistes coupèrent le courant sur les lignes de distribution de 13 500 volts pendant quelques heures. « Ce dernier acte (…) a été à peu près unique en France » indique au préfet l’ingénieur en chef des Ponts et chaussées chargé des forces hydrauliques dans la région du Sud-Est. Gaston Chizat conduisit directement les négociations avec la préfecture. Celles-ci aboutirent à la reprise du travail le 15 juillet 1937.

Le 24 octobre 1937, Gaston Chizat prononça le discours inaugural de la Maison du peuple du Teil que l’UL venait d’acquérir. Il prit la parole avant l’ intervention de Doucet, secrétaire de l’UD Drôme-Ardèche et avant les discours de Salvator, Froment, Semard, Valat, Frachon. Devant un auditoire estimé à 2000 personnes, « Il insista sur l’effort fourni et à fournir pour que la Maison devienne définitivement nôtre et salua tous ceux qui avaient bénévolement apporté leur concours ». (La Voix du peuple, 29 octobre 1937).

Mobilisé en septembre 1939, Gaston Chizat reçut une affectation spéciale chez Dewoitine à Toulouse dans une usine de fabrication de moteurs pour l’aviation. Il revint au Teil après sa démobilisation en juillet 1940 et entreprit de renouer les contacts avec ses camarades de l’UL. Au début de l’année 1941 Il fut muté du centre de production du Teil (Ardèche) à Valence (Drôme) où se trouvait le siège d’exploitation de la société L’Énergie industrielle. Il habita désormais à Valence, 34, rue pierre Curie, mais revint régulièrement au Teil où résidait sa mère.

Le 26 mars 1941, le secrétaire général à l’action civique du secteur du Teil écrivit au président départemental de la Légion des combattants au sujet de Chizat et la lettre fut communiquée au préfet de l’Ardèche : « (…) Le grand chef local cégétiste (…) a fait dernièrement en compagnie de M. le Maire, une visite des lieux (la maison du peuple), en vue des indemnités à réclamer à l’armée française occupante pour ses déprédations. Arrivant au Teil l’autre jour avec 2 serviettes bourrées de quoi ? (…) il est reçu en grand seigneur par deux soi–disant représentants de la classe ouvrière. (…) Tous ces dirigeants syndicaux appartiennent au personnel communiste de la période 36-39. La couverture syndicale leur permet d’une façon légale, de poursuivre une activité pernicieuse. » Jointe à cette lettre une liste officielle des membres des divers bureaux des syndicats du Teil, ainsi que du bureau de l’UL du Teil (liste déposée en mairie au début de l’année 1941 alors que la Charte du travail était entrée en vigueur) : Gaston Chizat y assumait toujours les fonctions de secrétaire du Syndicat des « sociétés d’électricité » et de l’UL.

Chizat avait fait l’objet d’une enquête à la demande du préfet de l’Ardèche dès le mois de février 1941 : on le soupçonnait de véhiculer la presse clandestine du PCF entre Valence et Le Teil. Le rapport du commissaire de police du Teil ( communiqué aux préfets de l’Ardèche et de la Drôme) indiquait : « Chizat est un individu dangereux politiquement » mais il n’a jamais été « inscrit officiellement au PC ».

Début mai 1941, après une distribution de tracts communistes, le préfet fit arrêter et interner six cheminots syndicalistes du Teil. Gaston Chizat fit parvenir deux lettres de protestation au préfet de l’Ardèche. Dans son premier courrier, il écrivait : « Monsieur le préfet, la justice sociale est à la base de la Révolution qui s’opère à l’heure actuelle dans notre pays. Il n’y aura pas de paix sociale si la répression continue comme si on cherchait à prendre une revanche des grands mouvements ouvriers. »
Dans une deuxième lettre datée du 7 juin 1941, il demandait au préfet de « bien vouloir accorder une audience à une délégation » qui comprenait Fave, secrétaire de l’UD Drôme-Ardèche, Blanc, secrétaire du syndicat des cheminots de Portes-Les-Valence, Sahy, secrétaire du syndicat des cheminots de Labégude-Vals, Dejoux, secrétaire du syndicat des cheminots du Teil, et lui-même, secrétaire de l’UL.

Gaston Chizat adhérait-il sincèrement aux principes de la Révolution nationale et de la Charte du travail comme il l’affirmait dans ses courriers et dans ses entrevues avec le préfet ? Le 25 octobre 1941, il présida au Teil une réunion où intervint un conférencier délégué par Vichy, Gaston Giraud, du secrétariat général de l’information, pour traiter de « l’œuvre sociale du gouvernement du Maréchal et de la Charte du travail ». L’assemblée « n’a pas obtenu le moindre succès » notait le préfet dans son rapport mensuel d’octobre 1941(sept personnes y avaient assisté) et il en imputait l’échec non à Chizat mais à la Légion qui n’avait pas compris « que son rôle aurait du être d’inviter ses membres ouvriers ainsi que les artisans et petits patrons à assister nombreux à cette assemblée ».

Gaston Chizat entretint sans doute une relation de proximité avec Eugène Hild, préfet de l’ Ardèche jusqu’à la fin de l’année 1942 puis préfet de la Drôme jusqu’à la Libération. Le rapport mensuel d’avril 1944 du préfet de l’Ardèche indique que « le titulaire de l’Office des comités sociaux de l’Ardèche ayant été récemment nommé à Paris, ce poste se trouve actuellement démuni, l’intérim étant assumé par monsieur Chizat, de l’Office des comités sociaux de la Drôme ».

Gaston Chizat était-il en contact avec la Résistance Drôme-Ardèche comme d’autres syndicalistes impliqués dans les institutions de la Charte du travail ? Quelques jours après la libération du département de l’Ardèche, le 19 septembre 1944, il présida au Teil une assemblée des salariés de l’usine de ciment Lafarge convoquée par l’UL dont il était toujours le secrétaire. Il siégeait aux côtés d’un ingénieur des mines, résistant, militant cégétiste et communiste, Raphaël Evaldre. A l’issue de cette réunion fut votée à l’unanimité une motion demandant la mise sous séquestre de l’entreprise.

Le 15 avril 1945, au premier congrès de l’UD Drôme-Ardèche de l’Après-libération, à Valence, peu de temps après la mort accidentelle de Marcel Argaud, secrétaire de l’UD à la Libération, et son remplacement par Louis Heller, Gaston Chizat rapporta le budget de l’UD dont il était devenu le trésorier. Il fut élu à la commission de contrôle de la Fédération CGT de l’Éclairage à l’issue de son XVIe congrès (Paris, 17-20 septembre 1946).En 1947-48, lors de la scission avec les militants de la tendance Force ouvrière, il demeura à la CGT.

En 1950, Gaston chizat était devenu chef de bureau à EDF, toujours à Valence. Suite à la grève du 9 mars1950, avec un autre agent syndiqué du secteur, Langevin, il fut traduit devant le tribunal correctionnel de Valence pour « non-exécution d’un ordre de réquisition et entrave à la liberté du travail ». Relaxé le 7 avril 1950, Gaston chizat fut condamné en appel par le tribunal de Grenoble à 15 000 francs d’amende et révoqué par la commission de discipline d’EDF. Il devint permanent de la fédération CGT de l’Energie jusqu’à sa réintégration en 1956.

Proche du Parti communiste, Gaston Chizat était-il devenu membre du PCF ? C’est ce que laisse entendre une note des renseignements généraux du 22 février 1951 : « La coopérative ouvrière dite Maison du peuple de Valence vient de passer aux mains des communistes à la suite d’une Assemblée générale extraordinaire des actionnaires qui a mis en minorité les membres non-communistes du Conseil d’administration ». Suite à cette action, un nouveau conseil d’administration fut mis en place, présidé par Gaston Chizat.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article147835, notice CHIZAT Gaston, Pierre par Pierre Bonnaud, version mise en ligne le 15 juillet 2013, dernière modification le 4 novembre 2014.

Par Pierre Bonnaud

SOURCES : Arch. Dép. Ardèche 72 W 107, 109, 363, 70J (fonds du musée départemental de la Résistance). – Arch. Dép. Rhône (arch. Régionales), 668 W 89. – La voix du peuple, 29 oct 1937. – L’Emancipation, bulletin de la section ardéchoise du SNI, n°2, juillet 1945. – R. Pierre, R. Montérémal, A. Hullot, Autour de 1936, Cruas Le Teil dans les luttes, Cruas, éditions C.A.C, 1986. – A. Chaffel, Les communistes de la Drôme de la Libération au printemps 1981, L’Harmattan 1999, p.110. – R. Gaudy, Les porteurs d’énergie, Paris, Temps Actuels, 1982. – Gérard del Maschio, Quelques pages d’histoire dans les industries électrique et gazière, article en ligne, site de la fédération nationale mines-Energie CGT. – État civil (acte de naissance mairie de Saulce ; acte de mariage : mairie du Teil).

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