DJERMANE Rabah [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né en 1916 à Aït-Meraou près de Fort-National [Larbaâ-Nath-Irathen] (Algérie), mort à Alger en juillet 1987 ; syndiqué CGTU puis CGT ; membre depuis 1947 de la Commission centrale des Affaires sociales et syndicales du MTLD (CCASS) ; un des secrétaires généraux du syndicat CGT des dockers d’Alger ; un des fondateurs de l’UGTA ; interné au camp de Paul Cazelles [Ain-Oussera], victime de sévices et blessé par balles ; libéré en 1961, objet d’attentats attribués au MNA messaliste et grièvement blessé par une bombe de l’OAS ; élu sur commande secrétaire général de l’UGTA en janvier 1963 ; écarté au congrès de mars 1965.

Sixième enfant, Rabah Djermane semble avoir vu sa scolarité primaire écourtée par suite des difficultés de subsistance de cette famille paysanne de Kabylie ; à seize ans, il rejoint son frère Arezki (ci-dessus) à Alger et doit gagner sa vie tout en complétant son instruction. Il sera un bon intervenant en français et en arabe parlé, servi par sa stature physique en grandissant. Il fait le garçon de café ; il adhère alors au syndicat CGTU de l’Alimentation ; il est licencié après une grève, en 1934 vraisemblablement. Sous relance communiste, la CGTU conduit alors, notamment en février 1934, les manifestations de rue à Alger. Il réussit par la suite à se faire embaucher au port d’Alger, lit El Ouma, journal de l’ENA (Etoile nord-africaine) de Messali*, et se trouve entraîné dans les grèves conduites par la CGT réunifiée en 1936 où il prend ses premières responsabilités syndicales. En 1937, il part au service militaire. À la déclaration de guerre il est rappelé à l’armée, libéré en 1941.

De retour à Alger, il reprend son travail au port. Après guerre, il est membre du syndicat CGT des dockers. À Belcourt où il habite, il fait la connaissance d’un autre militant du quartier : Idir Aïssat*. Aussi, après le congrès du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) en 1947 qui l’a porté au Comité central, il entre à la commission centrale des affaires sociales et syndicales (CCASS) chargée par le parti nationaliste de préparer la formation d’une centrale syndicale nationale. Il devient en quelque sorte le répondant des dockers dans le mouvement national par la coordination des noyaux et cellules nationalistes au sein de la CGT dans les ports.

Il sait aussi agir en bonne entente avec les responsables communistes qui misent sur ses capacités d’organisateur et de médiateur dans les actions revendicatives et les manifestations. Après 1949, il commence à monter dans les instances du syndicat des dockers : secrétaire à l’organisation des dockers CGT d’Alger, puis en 1951, un des secrétaires de l’Union départementale CGT de l’Algérois, et en 1953, secrétaire de l’Union Algérienne CGT des Ports et Docks. Il est délégué et prend la parole aux congrès de la CGT, avec netteté en 1951 à Paris ; les syndicats vietnamiens présents rendent hommage aux dockers algériens pour leur action contre la guerre faite au peuple vietnamien. En mars 1952, il fait partie de la délégation CGT d’Algérie au congrès de l’Union internationale des travailleurs des Transports de la FSM (Fédération syndicale mondiale) à Prague.

Ce qui ne l’empêche pas de suivre la voie nationale ; en 1951, il est délégué au congrès de l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens, l’UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens) en opposition avec la FSM. Ferhat Hached, secrétaire général de la Centrale tunisienne, en liaison avec la CISL (Confédération internationale des syndicats libres), avance le projet d’une Fédération des Unions syndicales nationales pour l’Afrique du Nord dans la perspective de l’indépendance. Dans son intervention, Rabah Djermane dit la solidarité des travailleurs algériens.

En juin 1954, la CGT se transforme en Union Générale des Syndicats Algériens (UGSA), qui est directement représentée à la FSM à Prague et n’est plus liée organiquement à la CGT métropolitain. Jugeant que les objectifs nationaux ne sont pas pleinement pris en compte, quelques partisans d’un syndicalisme national indépendant se retirent comme Boualem Bourouiba* qui démissionne du secrétariat de l’Union Algérienne CGT des cheminots. La plupart des responsables et des syndiqués nationalistes restent à l’UGSA-CGT. C’est le choix de Rabah Djermane qui devient un des secrétaires généraux du syndicat UGSA des dockers.

En 1955, le ralliement au FLN (Front de libération nationale) des centralistes (anciens partisans du comité central du MTLD) et des neutres s’accélère face aux fidèles de Messali* qui constituent le MNA (Mouvement national algérien) auquel appartient Arezki Djermane, le frère aîné. Rabah Djermane reprend contact avec Idir Aïssat*. Après concertation avec les autres membres de la CCSS, la décision est prise de reprendre le projet d’une union syndicale nationale. Pour mener jusqu’au bout un projet unitaire, des rencontres et des séances de travail ont encore lieu entre les deux tendances. Alors que les militants de la tendance FLN, sollicitaient le feu vert de la direction du Front à Alger (Ramdane Abane* et Benyoussef Benkhedda*) pour créer leur centrale, les partisans messalistes d’Algérie étaient harcelés par les responsables du MNA depuis Paris qui voulaient arracher la reconnaissance syndicale du secrétariat de la CISL établi à Bruxelles. Face à FO, membre français de la CISL, il fallait un syndicat algérien ; pour qu’il soit algérien il fallait déclarer la nouvelle centrale à Alger. Bien que la présence du MNA soit plus forte dans l’immigration, le mouvement messaliste avait besoin de cet « acte de naissance » pour s’autoriser à organiser la fédération des travailleurs USTA en ayant obtenu l’accord de la CISL.

À la fin de l’année 1955, Rabah Djermane est associé à la démarche faite par A. Ben Aïssa* et B. Bourouïba* ainsi que deux militants MNA auprès de la CISL à Bruxelles. À leur retour à Alger, les jeux sont faits lorsque, à la dernière réunion fin janvier 1956, les syndicalistes du Front refusent de s’engager alors que les dirigeants messalistes sont décidés à passer à l’acte. Ce qu’ils font le 15 février 1956 par la déclaration de l’USTA à la préfecture d’Alger ; Arezki Djermane est membre du bureau. Dès la fondation de l’UGTA le 24 février suivant, Rabah Djermane sort de l’UGSA-CGT et constitue le syndicat UGTA des dockers du port d’Alger ; il accompagne Abdelkader Amrani* durant quinze jours, en Oranie, pour aider à la formation des syndicats de toute la région. Rabah Djermane est membre du premier secrétariat national de la Centrale syndicale aux côtés de Idir Aïssat*, Attalalah Ben Aïssa* et Boualem Bourouiba*.

Avec ses quatre camarades et quinze autres militants de la nouvelle direction, il est arrêté dès le 24 mai 1956. Il connaît la détention dans huit camps différents. À Paul Cazelles [Ain-Oussara] il est blessé par balles par le service d’ordre du camp. Suite à une plainte auprès du BIT (Bureau international du travail) de la CISL (Confédération internationale des syndicats libres) et à la demande de cette organisation, Robert Bothereau, secrétaire général de la CGT-FO fit une intervention en juin 1961 auprès du Premier ministre du gouvernement français afin de faire cesser toutes les contraintes judiciaires à son encontre.

À sa libération en juillet 1961 alors que son frère vient d’être assassiné, il échappe à deux attentats attribués au MNA. Les terroristes de l’OAS liés à des éléments de la police française, placent une bombe à son domicile. Grièvement blessé par l’explosion, il subit plusieurs opérations qui laisseront bien des séquelles.

Après le cessez-le-feu en 1962, sans être au premier rang, il aide à la reconstitution de l’UGTA. Lors de la prise en main de l’UGTA au nom du FLN par le président Ben Bella au cours de son Ier congrès en janvier 1963, Rabah Djermane est fait secrétaire général de la centrale nationale. « Par un certain droit d’aînesse » pour ce vétéran de la CGT passé par la Commission du MTLD, selon la réflexion de Lakhdar Kaïdi* qui ajoute « pour sa docilité pour dire clairement les choses ». Pour la suite, écrit Boualem Bourouiba* : « Esseulé, en froid avec ses compagnons membres fondateurs de l’UGTA, il sera sévèrement sanctionné par le deuxième congrès qui se tient en mars 1965. Toute son équipe est remerciée. Il reste pourtant membre de la commission exécutive ». Par compensation, le FLN lui confie les fonctions de contrôleur. Il décède en juillet 1987, âgé de soixante et onze ans. Il était père de 4 enfants.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article148204, notice DJERMANE Rabah [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 22 février 2014, dernière modification le 22 février 2014.

Par René Gallissot

SOURCES : Arch. Nat. Outre-mer, Aix-en-Provence, ALG. 91 3 F/90, 3 F/116, 3 F/120 et FM (Fonds ministériels) 81 F/793 et 81 FM/796, notes de Louis Botella. — F. Weiss, Doctrine et action syndicales en Algérie, Cujas, Paris 1970. — M. Farès, Aïssat Idir, op. cit. — B. Bourouiba, Les syndicalistes algériens, op. cit., et échanges de correspondances. — B. Stora, Dictionnaire biographique des nationalistes algériens, op. cit. — N. Djabi, Kaidi Lakhdar. Une histoire du syndicalisme algérien. Entretiens, Chihab-éditions, Alger, 2005.

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