Par Philippe Bourrinet
Né le 13 juin 1889 à Resina (Napoli, Italie), mort à Formia (Latina) le 23 juillet 1970 ; ingénieur-architecte ; principal créateur du Parti communiste italien à Livourne (janvier 1921) et son principal dirigeant jusqu’en 1923 ; participe aux congrès du Komintern de 1921 à 1924 et à l’Exécutif élargi de février-mars 1926 où il appuie Trotsky et s’oppose à Staline ; fondateur du courant international qui porte son nom et qu’il impulsa réellement de 1944 à 1969.
Fils d’un professeur d’économie agraire de Portici et de Zaira degli Amadei fit des études d’ingénieur. Il adhéra au PSI en 1910, où il se situa immédiatement à gauche. Membre de la Jeunesse socialiste, il fut en 1912 l’un des adversaires les plus décidés de la droite colonialiste lors de la guerre de Libye. Il créa à Naples le « Circolo socialista Carlo Marx », par la scission d’avec la section locale dominée par les réformistes. La même année, au congrès de la Jeunesse socialiste, il s’opposa au courant dit « culturaliste » d’Angelo Tasca. Adversaire déterminé de la guerre et du réformisme, il devint progressivement antiparlementariste après 1914, où il affirma son opposition radicale à la guerre impérialiste. Pendant la guerre, il travailla à l’organisation de la Camera del Lavoro (bourse du travail) de Naples.
En 1917, il participa à la création de la Fraction intransigeante socialiste adversaire de la direction maximaliste (Serrati et autres). En décembre 1918, il donna une impulsion décisive à la sortie du journal Il Soviet qui devint l’organe de la Fraction communiste abstentionniste, fraction de gauche du PSI. Représentant du courant communiste italien au IIIe Congrès de l’IC en 1920, il contribua à la rédaction de la 21e condition d’adhésion. Abstentionniste, il accepta que le futur parti participe aux élections, par discipline. Hostile aux positions de Gramsci (Ordine nuovo), il s’en rapprocha en 1920, pour travailler à la fondation d’un véritable parti communiste (conférence d’Imola, décembre 1920).
En janvier 1921, il se retrouva à la tête de la nouvelle section de l’IC, après la scission de Livourne, dont il est le maître d’œuvre. Il fut corédacteur des Thèses de Rome, avec Terracini, lors du IIe congrès du PCd’I. À partir de 1921, Bordiga s’opposa à la politique de « Front unique » de l’IC, puis à sa politique « antifasciste » lors du IVe congrès de l’IC. Hostile à l’entrée des « terzini » de Serrati et Fabrizio Maffi dans le parti, il se plia néanmoins à la discipline de l’Internationale. Il est arrêté par le gouvernement fasciste de février à octobre 1923, la direction « bordiguiste » étant remplacée par celle de Gramsci* et Togliatti, soumise à Zinoviev. Bien qu’expulsée par l’IC des organes dirigeants du parti, la tendance de gauche de Bordiga resta majoritaire jusqu’au congrès de Lyon en 1926, où elle sera mise en minorité. Face à la tendance dite « centriste » de Gramsci et Togliatti, Bordiga adhéra en 1925 au Comité d’entente formé par Onorato Damen*, Bruno Fortichiari, Luigi Repossi, Carlo Venegoni et Ottorino Perrone. Après le congrès de Lyon, où il mène une bataille désespérée au nom de la Gauche en présentant les « Thèses de Lyon », il combattit Staline à Moscou lors du VIe Exécutif élargi (février-mars 1926) et prit contact avec Trotsky. Il refusa la proposition de Karl Korsch de fonder une nouvelle Internationale et de nouveaux partis communistes.
Arrêté fin 1926 en Italie, il fut relégué à Ustica puis à Ponza avec Gramsci, dont il demeura l’ami. Libéré en 1929, il fut exclu du PCI en mars 1930 pour « trotskysme ». Dans ces « années obscures », il se consacra alors à son activité professionnelle, et refusa tout contact avec la Fraction italienne exilée en France, tout en gardant intactes ses convictions politiques.
Il reprit ses activités politiques en 1944 à la tête de la Fraction des communistes et socialistes italiens de Naples. Sous les pseudonymes d’Alfa et Orso, il donna de nombreuses contributions programmatiques au PCInt créé par Onorato Damen* et Bruno Maffi en novembre 1945 dans le Nord de l’Italie. Il se tint à l’écart de l’activité du PCInt, jusqu’en 1949, hostile à la proclamation d’un parti, qui restait pour lui « formelle ». Avec Maffi et Perrone, il entra en conflit ouvert avec la tendance dirigée par Damen jusqu’à la scission de 1952. Dans le Parti communiste internationaliste constitué autour du journal Il programma comunista en Italie, et de la revue Programme communiste en France, il contribua de façon décisive à l’orientation de son courant vers une sorte de « néoléninisme », se revendiquant intégralement de la politique des bolcheviks (« terreur rouge », répression de Kronstadt) et appuyant les luttes de libération nationale des « peuples de couleur », dans la tradition du Congrès de Bakou (1920). Il fut actif dans son organisation qu’il orienta idéologiquement jusqu’en 1966 et qui eut une extension internationale (France surtout, pour des raisons historiques liées à l’immigration politique italienne). Auteur, entre autres ouvrages, d’une Storia della sinistra comunista (Histoire de la gauche communiste en Italie) anonyme et de nombreux autres textes : Propriété et capital, Dialogue avec Staline, Dialogue avec les morts, Facteurs de race et de nation, etc.
Il mourut près de Naples en 1970. Une fondation Amadeo-Bordiga fut créée après sa mort par sa veuve, Bruno Maffi et des universitaires italiens pour faire connaître son œuvre théorique.
Par Philippe Bourrinet
ŒUVRE : Russie et révolution dans la théorie marxiste, Cahiers Spartacus, Paris, 1978. – Espèce humaine et croûte terrestre, Payot, Paris, 1978. Facteurs de races et de nation dans la théorie marxiste, Éditions programme, 1978. – Développement des rapports de production après la révolution russe, Cahiers Spartacus, 1985, Paris. - Recueil de textes et d’articles sur le site marxists.org : http://www.marxists.org/francais/bordiga/ (par erreur le site attribue à Bordiga le texte “Auschwitz ou le grand alibi” (1960), en fait de Martin Axelrad*)
SOURCES : Andreina De Clementi, Amadeo Bordiga, Einaudi, 1971. – Amadeo Bordiga et Jacques Camatte, Bordiga et la passion du communisme : textes essentiels de Bordiga et repères biographiques, Lefeuvre, coll. « Spartacus », 1974. - Franco Livorsi, Amadeo Bordiga, Editori Riuniti, 1976. - Onorato Damen, Bordiga, EPI, Milan, 1977. – Philippe Bourrinet, La Gauche communiste italienne, mémoire de maîtrise, Paris-I-Sorbonne, 1980 (réédition revue, 1998 : http://www.left-dis.nl/f/index.htm ). – Liliana Grilli, Amadeo Bordiga : capitalismo sovietico e comunismo, La Pietra, Milan, 1982. – Luigi Agnello, article « Bordiga », Dizionario biografico degli italiani, vol. 34, Istituto dell’Enciclopedia italiana, 1988. – Arturo Peregalli et Sandro Saggioro, Amadeo Bordiga 1889-1970, bibliografia completa, Colibrì, Milan, 1995. – Arturo Peregalli et Sandro Saggioro, Amadeo Bordiga, la sconfitta e gli anni oscuri, Colibrì, Milan, 1998. – Luigi Cortesi et alii, Amadeo Bordiga nella storia del comunismo, Edizioni Scientifiche Italiane, 1999. – Augustin Guillamón, Chronologie d’Amadeo Bordiga : http://www.left-dis.nl/f/chrobor.htm. - Sandro Saggioro, Né con Truman né con Stalin. storia del Partito comunista internazionalista (1942-1952), Colibrì, Milan, 2010.