NIEMEYER Oscar [Oscar RIBEIRO de ALMEIDA de NIEMEYER SOARES]

Par Marc Giovaninetti

Né le 15 décembre 1907 à Rio-de-Janeiro (Brésil), mort dans la même ville le 5 décembre 2012 ; architecte brésilien ; membre du Parti communiste brésilien ; a vécu en France plusieurs années d’exil, où il a réalisé des édifices emblématiques pour le PCF ou les localités qu’il gérait, dont son siège de la place du Colonel Fabien à Paris.

L’Espace Niemeyer, siège du PCF à Paris XIXe arr.
L’Espace Niemeyer, siège du PCF à Paris XIXe arr.

[Cette notice ne prétend pas développer une biographie exhaustive du grand architecte brésilien de réputation mondiale, mais présenter ses relations privilégiées avec la France, qui fut pendant des années son pays d’adoption, et particulièrement avec le Parti communiste français pour lequel il a réalisé certaines de ses œuvres essentielles.]

Né dans une famille bourgeoise, d’un père graphiste lui-même fils d’une immigrée allemande à qui il doit son nom, petit-fils d’un procureur de la République, Oscar Niemeyer fit ses études à l’école des Beaux-Arts de sa ville natale de Rio-de-Janeiro, dont il sortit diplômé en 1934. Il était encore assez peu au fait des courants modernistes de l’architecture mondiale, ceux du Bauhaus allemand notamment, mais d’emblée il commença à travailler dans un cabinet d’architecte influencé par Le Corbusier. Ses premières réalisations au Brésil, dans les années 1930 et 1940 assirent sa réputation. Il commença à incurver les lignes raides de ses bâtiments, caractéristiques du style fonctionnaliste de son maître.

À la Libération, une exposition à New York le propulsa au premier plan des architectes mondiaux. Il entreprit alors une première série de voyages en Europe, particulièrement dans les nouveaux états communistes et en URSS, mais n’y réalisa aucun projet. En 1955, lorsque le président brésilien Juscelino Kubitschek, l’ancien maire de Belo Horizonte pour qui Niemeyer avait déjà travaillé avant la guerre, décida d’édifier une nouvelle capitale ex nihilo sur le Planalto central du pays, il lui confia les plans des principaux édifices publics. Le nom de l’architecte reste désormais intimement et principalement lié à la nouvelle capitale fédérale, Brasilia, inaugurée en 1960.

Le grand architecte ne dissimulait pas son appartenance au Parti communiste brésilien auquel il avait adhéré en 1945, après sa légalisation. Il fit même don de sa maison de famille dans le quartier ancien de Rio pour qu’il devienne le siège de la section métropolitaine du parti. Une allégeance, qui, si elle l’a empêché de séjourner durablement aux États-Unis où il n’était pas bienvenu, ne l’a jamais dissuadé de construire des églises, au moins une douzaine ; il expliquait que la profonde piété de ses grands-parents ne l’avait certes pas détourné de devenir athée, mais l’avait convaincu de la bonté intrinsèque de la religion catholique. Aussi, lorsque la dictature militaire s’empara du pouvoir, et bien que sa stature internationale lui évitât d’être directement menacé, il décida de s’exiler, en 1967. Il choisit la France, et s’établit pendant cinq ans dans le quartier de Montparnasse ; il ne devait pas regretter ce choix, adorant Paris, dont il déclara qu’elle était la ville où il préférerait vivre à défaut de Rio. Le Parti communiste français, alors en phase ascendante, avait décidé en 1965 de construire un nouveau siège sur des terrains que lui avait cédés la CGT à l’est de la place du Colonel Fabien dans le 19e arrondissement parisien ; il décida d’en confier la réalisation au maître brésilien. Celui-ci avait commencé à réfléchir au projet avec le constructeur Jean Prouvé, et les travaux commencèrent en 1968. Niemeyer maria habilement le béton qui couvre d’une dalle bombée le hall d’entrée et les salles souterraines, avec les lignes courbes qui drapent de verre les six étages du bâtiment aérien. Niemeyer signait ainsi ce qui reste un des plus fameux édifices d’architecture contemporaine de la capitale française. Le bâtiment fut inauguré pendant l’été 1971, à la grande fierté du parti qui pensait alors être bientôt investi du pouvoir national grâce à sa politique d’Union de la gauche. Une deuxième vague de travaux ajouta des années plus tard au bâtiment principal son débouché direct sur la place, doubla ses espaces souterrains, et coiffa la nouvelle salle de réunion du comité central de sa remarquable coupole blanche. Pour l’ensemble du bâtiment, Niemeyer prétendait avoir puisé son inspiration dans les formes féminines. Mais pour cette deuxième tranche, menée entre 1978 et 1980, Niemeyer contrôla les travaux davantage à distance. Il avait en effet connu un certain nombre de déboires sur ses chantiers et projets français, et travaillait davantage dans d’autres pays, méditerranéen principalement. Cependant, il gardait son agence parisienne, fort modeste, une pièce sur les Champs Élysées où ne travaillaient que deux personnes, la secrétaire Denise Roberto et le jeune architecte français Jean-Maur Lyonnet*, contacté par son ingénieur-bâtiment et représentant en France Jacques Tricot, qu’il avait choisi en 1975 comme collaborateur ; tous étaient également membres du Parti communiste. C’est donc J.-M. Lyonnet qui supervisa et acheva, mais toujours en étroite collaboration avec le maître, les autres constructions emblématiques de l’architecte brésilien en France : la Bourse du travail de Bobigny (1980), modeste localité devenue chef-lieu du récent département de Seine-Saint-Denis présidé par le communiste Georges Valbon* également maire de la ville ; le Volcan, ce surnom de la Maison de la culture de la ville du Havre (1982), voulu par son maire communiste André Duroméa* ; le siège du journal l’Humanité dirigé par Roland Leroy* (1989), dans le centre de la ville de Saint-Denis dont s’achevait la rénovation à l’initiative de la municipalité dirigée par Marcelin Berthelot*. Plusieurs autres édifices moins prestigieux portent également la griffe du maître, notamment en région parisienne. Il est par exemple l’auteur du bas-relief en marbre à la mémoire des brigadistes de la guerre d’Espagne qui orne le Musée de la Résistance nationale à Champigny-sur-Marne. Au total, une vingtaine d’œuvres lui sont attribuées en France, sur les quelques six-cents dont il a parsemé le monde. Au cours des années 1960 et 1970, Niemeyer bâtit également dans d’autres pays méditerranéens, en Espagne, en Italie, et plus particulièrement en Algérie, où le président Houari Boumediene lui confia la réalisation d’édifices publics tels que des universités. Il conçut aussi quelques projets en Israël. Plusieurs autres de ses réalisations, antérieures ou postérieures, reproduisent, en plus grand, la coupole blanche de la place du Colonel Fabien. C’est le cas notamment, à Brasilia, du siège du sénat fédéral et du Musée national, ou de sa Fondation, entourée de plusieurs autres bâtiments de sa conception, édifiée dans un quartier périphérique de la ville de Rio à la demande du maire dans les années 1990-2000.

Son long séjour parisien permit à Niemeyer de se lier avec plusieurs personnalités françaises aussi opposées que Louis Aragon*, Jean-Paul Sartre* et Simone de Beauvoir* ou Raymond Aron. Mais les dirigeants communistes ont naturellement tenu une place importante parmi ses relations parisiennes. Il citait notamment Jacques Duclos*, dont il avait pu apprécier la campagne présidentielle de 1969, ou le secrétaire général Georges Marchais*, mais surtout le trésorier du parti, Georges Gosnat*, qui était son interlocuteur principal lors du chantier du Colonel Fabien, un « type formidable, plein d’entrain », d’après lui, avec qui il avait plaisir à déjeuner régulièrement.
Niemeyer ferma définitivement son agence parisienne en 1982. Désormais, comme déjà au cours des années précédentes, c’est à nouveau au Brésil qu’il allait poursuivre l’essentiel de son œuvre. La confiance entre Oscar Niemeyer et Jean-Maur Lyonnet ne s’est jamais démentie, même après que l’architecte français eut pris son indépendance en créant sa propre agence. Ils collaborèrent encore activement pour un programme à Fontenay-sous-Bois, et pour le siège de l’Humanité à Saint-Denis. Lyonnet désapprouva pourtant les orientations adoptées par son vieux maître lorsqu’il fut selon lui mal influencé pour restructurer le Volcan du Havre, en 2008, sous l’impulsion d’une nouvelle équipe municipale qui relevait d’une autre couleur politique ; mais jamais leur estime réciproque ne fut entachée, et les échanges sont toujours restés cordiaux entre l’agence du faubourg du Temple et sa prestigieuse homologue carioca qui dominait la plage de Copacabana.

Jamais non plus Oscar Niemeyer ne renia sa fidélité au Parti communiste : « Je suis entré au Parti communiste et j’y suis resté. [...] Il faut connaître avant tout la vie des hommes, leur misère, leur souffrance pour vraiment faire de l’architecture », disait-il, répétant à l’envie : « Je ne me tairai jamais, je ne cacherai jamais mes convictions communistes ». Comme pour renforcer cette volonté affirmée, Fidel Castro en personne aurait plaisanté en ces termes lors d’une visite en 1995 à l’atelier de l’architecte : « Il ne reste que deux communistes au monde, moi et Oscar ». Niemeyer soutint sans restriction le président Luiz Inácio Lula da Silva, le charismatique dirigeant syndicaliste, fondateur du Parti des travailleurs, lorsqu’il devint le très populaire président du pays de 2003 à 2010. Dans un de ses derniers entretiens, l’architecte concluait sa conception de son métier en ces termes : « Pour moi, l’architecture ne peut être utile qu’à un peuple entier, lorsque les programmes architectoniques reflètent l’idéal de justice sociale que nous défendons et que le peuple réclame. »
Même dans son très grand âge, Niemeyer resta professionnellement actif, entouré du respect et de l’estime de tous. La première femme de sa vie, épousée en 1928, étant décédée en 2004, il se remaria en 2006 avec une sexagénaire, à l’approche de ses cent ans, en prétendant se sentir « comme un homme de trente ans » ; sa réputation de séducteur était presque égale à celle d’architecte. Il décéda en décembre 2012, à quelques jours de son cent-cinquième anniversaire. Cinq ans plus tôt, la France l’avait gratifié du titre de commandeur de la Légion d’Honneur à l’occasion de son centenaire.
Le Parti communiste français s’enfonçant dans un irrémédiable déclin, il n’avait plus, dans les années 2000, la possibilité de gérer ses sièges monumentaux. Son journal dut vendre son immeuble dionysien pour survivre, contraint à déménager dans des locaux quelconques ; l’immeuble, en 2013, restait à l’abandon depuis plusieurs années. Celui de la place du Colonel Fabien, en revanche, gardait tout son panache. Mais après avoir vu licencier l’essentiel de son personnel de permanents communistes, certains de ses étages ont été loués à diverses sociétés, parfois dépourvues de tout lien avec le Parti communiste. Un des derniers services qui lui assurait une animation régulière, celui des archives, dans l’aile gauche du premier étage, fut confié aux archives départementales de Seine-Saint-Denis à Bobigny en 2005. Classé aux monuments historiques, l’immeuble a été rebaptisé « Espace Niemeyer », d’un nom moins spécifiquement politique, en 2008. Le PCF, qui en restait propriétaire en 2013, y multipliait les manifestations culturelles ou médiatiques. Ainsi, en mai-juin, le grand hall d’entrée exposait une rétrospective dédiée à la ville de Brasilia, où Niemeyer se trouvait associé à ses autres grands concepteurs, le président Kubitschek, l’urbaniste Lucio Costa... Mais surtout, un hommage de deux jours y fut consacré les 12 et 13 janvier 2013 à son architecte brésilien, quelques semaines après son décès ; elle vit se presser une foule considérable de militants, d’ex-militants ou de curieux, attirés par les conférences dédiées à l’œuvre et à la vie du défunt, les spectacles musicaux, et la visite du chef d’œuvre architectural. Avec Niemeyer, chacun avait conscience que c’était une des dernières icônes parmi les grands créateurs communistes, à l’image de Picasso, Aragon ou Neruda, qui disparaissait.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article148860, notice NIEMEYER Oscar [Oscar RIBEIRO de ALMEIDA de NIEMEYER SOARES] par Marc Giovaninetti, version mise en ligne le 15 septembre 2013, dernière modification le 15 septembre 2013.

Par Marc Giovaninetti

L'Espace Niemeyer, siège du PCF à Paris XIXe arr.
L’Espace Niemeyer, siège du PCF à Paris XIXe arr.

ŒUVRES : Plusieurs centaines de réalisations architecturales ou de sculptures monumentales, les plus connues étant la cathédrale et les édifices du pouvoir de la capitale Brasilia, et pour la France, le siège du Parti communiste français à Paris et la Maison de la culture du Havre ; également une œuvre importante de designer ; et deux livres d’entretiens mentionnés ci-après.

SOURCES : Oscar Niemeyer, Les Courbes du temps. Mémoires, Gallimard, 1999. ― Yoann Morvan, « Fabien », Communisme, n° 67-68, 2001. — Benoît Pouvreau, du CAUE93 (Centre d’Architecture et d’Urbanisme de la Seine-Saint-Denis), « L’œuvre d’Oscar Niemeyer en Seine-Saint-Denis », Les Points de repère du 93, n° 44, septembre 2005. — Nicoletta Trasi, entretien avec Oscar Niemeyer, Permanence et invention, éd. du Moniteur, 2007. — Nombreux articles nécrologiques, décembre 2012. — Marc-Henri Wajnberg (réalisateur), Oscar Niemeyer, un architecte engagé dans le siècle, film documentaire, Arte, 2000, 60 minutes. — Fabiano Maciel, Oscar Niemeyer, La vie est un souffle, film documentaire brésilien, 2007, 89 mn. — Article en ligne « Oscar Niemeyer », Wikipédia. — Entretien avec Jean-Maur Lyonnet, février 2012.

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