NATANGELO Antonio, dit TOTÒ, Antonio BELFIORE

Par Philippe Bourrinet

Né en 1894 à Barra (Naples, Italie), mort en 1959 à Naples ; métallo, tourneur ; communiste, syndicaliste, kominternien ; l’un des initiateurs du journal Il Soviet, organe de la fraction abstentionniste du PSI, membre du Parti communiste d’Italie dès janvier 1921. Délégué, avec Amadeo Bordiga, au IVe congrès du Komintern, rencontre Lénine ; après 1945, il adhéra au Partito Comunista Internazionalista dans la tendance de Bordiga.

Cet ouvrier napolitain que Bordiga appela toute sa vie « notre excellent camarade », « animé d’un sûr instinct de classe », se fit embaucher à Turin pendant la première guerre mondiale, ayant déserté « pour ne pas tuer ou se faire tuer pour les intérêts de la bourgeoisie ». Antonio Natangelo changea d’identité, militant sous le nom d’Antonio Belfiore. À la fin de la guerre, de retour à Naples, il travailla comme tourneur aux Ateliers aéronautiques du Midi [Officine Aeronautiche Meridionali (OFM)], déployant une activité syndicale très vigoureuse dans la FIOM (Fédération des employés et ouvriers métallurgistes).

Jeune socialiste depuis 1902, Antonio Natangelo adhéra à la Fraction abstentionniste du PSI, dirigée par Amadeo Bordiga, en 1919, et soutint infatigablement son organe Il Soviet. Lors des grandes grèves de 1919, il est le secrétaire de la FIOM napolitaine, il joue aussi un rôle actif dans les occupations d’usines de 1920.

Sa rupture avec la social-démocratie fut définitive : dans un article du 24 avril 1921, il constatait que « les social-démocrates du monde entier se placent sur le terrain de la contre-révolution. En revanche, on constate que seul le parti communiste a accompli sa tâche de guider les travailleurs de tous les pays sur la voie de la grande lutte pour la révolution sociale. Seuls les communistes se situent sur le terrain de la Troisième Internationale, qui ne bavarde pas mais agit par des faits ».

Authentique prolétaire, partisan résolu de Bordiga, Antonio Natangelo fut délégué officiel du parti au IVe Congrès de l’Internationale communiste (Moscou, 5 nov.-5 déc. 1922). C’est là qu’il rencontra Lénine, « soleil de la classe ouvrière », et il eut la « joie incomparable » de lui serrer la main. Cette entrée dans la « Mecque du communisme » fut pour lui un éblouissement le marquant jusqu’à la fin de ses jours. À Moscou, affluaient « les représentants des travailleurs du monde entier pour étudier les moyens et forger les instruments de libération de la classe ouvrière », se pressaient « 2000 délégués, parlant les langues les plus diverses et provenant de 64 nations différentes ». Lors d’une session plénière, Lénine lui serra la main sans le connaître ; alors « Bordiga lui dit que j’étais un métallo et un communiste enthousiaste. Alors il me resserra la main et de nouveau me sourit. Même si j’avais pu me faire entendre de lui je n’aurais même pas pu lui parler. J’avais les yeux pleins de larmes. À l’intérieur de ma poitrine, mon cœur semblait sur le point d’éclater. Je sentais renaître en moi l’enthousiasme avec lequel, quatre ans auparavant, j’avais amené une de mes sœurs à donner à sa fille née peu de jours auparavant le prénom de Lénine ». Il fut en proie à la révélation mystique du communisme : « Je n’entendais plus, je ne voyais plus. Mes mains n’étaient plus mes mains ». Il repartit conquis par le bolchevisme russe et put dire à ses camarades prolétaires : « Camarades, réglons nos montres sur l’heure du Kremlin ! »

En 1924, Antonio Natangelo s’installa 1924 à Milan, menant une activité syndicale et politique. Licencié, il collabora quelques mois à la rédaction de L’Unità, et dut regagner Naples. Il retourna en 1926 à Milan, où il est ouvrier à l’Alfa Romeo. Avec Ottorino Perrone, secrétaire depuis août 1925 du Comité syndical de Milan – qui publiait le journal Il sindacato rosso (Syndicat rouge), il combattit la « bolchevisation » du Comité. Comme Perrone, il fut destitué de ses responsabilités syndicales. Giovanni Germanetto, le parangon du chef stalinien, lors d’une réunion houleuse, déclara sans ambages que les partisans de la gauche, responsables syndicaux, devaient « se soumettre » s’ils voulaient continuer à être payés comme permanents, ou « se démettre ». Natangelo refusa ce chantage.

Il est bientôt arrêté et condamné à la déportation interne (confinato) le 9 décembre 1926, relâché puis à nouveau envoyé en relégation interne le 6 juin 1927 pour « activité syndicale communiste ». Au début des années 30, il fut amnistié, peut-être en raison de ses qualifications professionnelles et put retravailler comme tourneur.

Toujours « sur la brèche », même surveillé par la police, fidèle à la gauche même dans la période noire des années 1930, il mena une très discrète activité de contacts individuels avec les anciens de la gauche communiste à Naples et à Milan. En novembre 1937, la police fasciste constata qu’il rencontrait souvent Bordiga et qu’il en « partage[ait] pleinement le point de vue ». Après la chute de Mussolini, il réapparut au grand jour : en 1944, il fut un élément actif de la Frazione di sinistra dei comunisti e socialisti italiani de Naples, formée par Bordiga et d’autres. En mai 1945, celle-ci fusionna avec le Partito Comunista Internazionalista (PCInt) créé en novembre 1943 à l’instigation d’Onorato Damen, Mario Acquaviva et Bruno Maffi.

Antonio Natangelo resta fidèle à Bordiga et au PCint, même après la scission de 1952, jouant un rôle d’autorité morale, vivante expression d’une « continuité organique » avec l’Internationale communiste au temps de Lénine.

Il mourut en février 1959. Selon ses camarades de combat, il était animé d’une « impétuosité de militant trempé dans l’acier, étranger aux sentiments d’abattement et d’incertitude » ; il faisait preuve d’une « fermeté toute simple », d’une « fidélité naturelle aux principes », d’un « enthousiasme communicatif dans la lutte ». Même attaché indéfectiblement au mythe de Lénine, il porta toujours une espèce de « foulard noir de type anarchiste ». Il fut un « semeur à défaut d’être encore un lutteur, martelant ses phrases à défaut de marteler l’acier, jeune, enthousiaste, fidèle, infatigable, à l’image de celui qui n’a jamais trahi, quoi qu’il lui en coûte ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article148901, notice NATANGELO Antonio, dit TOTÒ, Antonio BELFIORE par Philippe Bourrinet, version mise en ligne le 17 septembre 2013, dernière modification le 17 septembre 2013.

Par Philippe Bourrinet

SOURCES : ACS CPC busta 1226, « Relazione confidenziale del numero “630”, 9 nov. 1937 ». – « Ciò che pensa un operaio », Il Soviet, 24 avril 1921. – “Como vidi Lenin”, Prometeo, n° 2, 15 février 1924. – « Antonio Natangelo, un militante esemplare », il programma comunista, n° 4, 27 février-10 mars 1959. – Paolo Spriano, Storia del Partito Comunista Italiano, vol. I, Turin, Einaudi, 1967. – Nicola De Ianni, Operai e industriali a Napoli tra grande guerra e crisi mondiale : 1925-1929, Droz, Genève, 1984.

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