GUILLEMIN Charles

Par Claude Pennetier

Né le 18 septembre 1923 à Paris (XVIe arr.) ; ouvrier opticien de précision ; syndicaliste CGT de Paris ; directeur de la maternité des Bluets.

Charles Guillemin
Charles Guillemin

Titulaire du certificat d’études, Charles Guillemin entra en apprentissage d’ouvrier opticien en novembre 1938, à quinze ans, dans le ville de Courbevoie. Il vécut l’exode de son entreprise à Châtellerault en 1940. Puis il remonta à Paris et vola le vélo d’un soldat allemand pour faciliter ses déplacements. Grâce à la complicité d’un médecin qui le convoqua pour une opération du nez, il échappa au STO en 1943. Il lisait alors beaucoup, notamment la littérature antique, Plutarque, Homère, Virgile mais aussi Giono, et fréquentait les théâtres.
C’est à la Libération que Charles Guillemin rejoignit le mouvement syndical CGT. Il eut une formation syndicale en février 1945.
Secrétaire du syndicat CGT des opticiens de précision de Paris de 1945 à 1947, le patronal le licencia à plusieurs reprises, au point de menacer son mariage qui devait avoir lieu de 25 septembre 1947 ; il embaucha à temps chez Troispoux (les jumelles Lumina) avec la complicité du chef d’atelier, juste avant son mariage. Charles Guillemin vit son syndicat de métier se fondre dans les syndicats de la métallurgie. Il fut actif à la fédération de la métallurgie. En 1950, l’USTM lui demanda de devenir conseiller juridique. Responsable du conseil juridique, il plaida au Bureau des jugements.
L’USTM le fit désigner en 1965 comme directeur de la maternité des Bluets qu’elle avait créée. Voir Pierre Lamaze et Pierre Velay. Il en démissionna vers 1975 et a dirigea ensuite le Comité d’Entreprise des usines Chausson jusqu’à sa retraite en 1983, à 60 ans.

Il a prolongea sa vie militante jusqu’à son entrée dans une maison de retraite du XIIe arrondissement de Paris et continua de lire son journal quotidien, l’Humanité, ainsi que La Vie ouvrière, l’hebdomadaire de la CGT.
Marié en

Témoignage écrit de Charles Guillemin
 
Je suis entré dans la vie professionnelle le 4 novembre 1938. J’avais 15 ans – comme apprenti ouvrier opticien de précision – sous contrat au taux horaire de 1 franc. Un ouvrier qualifié avait alors 8 Fr 50. L’entreprise – sise à Courbevoie – était une PME (120 à 150 ouvriers) dont l’activité principale était la fabrication de collimateur pour les tanks et divers travaux annexes d’optique. Il y avait deux ateliers d’optique, un atelier de montage et un atelier de mécanique.
J’avais été affecté à l’atelier d’ébauchage de quatre ouvriers, une ouvrière et quatre apprentis, sous la direction d’un chef d’équipe.
Très vite, l’un des ouvriers intervint pour interdire à ses camarades les habituelles plaisanteries à l’égard des apprentis puis la veille de la grève du 30 novembre 1938 il recommanda aux apprentis de venir travailler sauf Serge dont le père était épicier et que la non-participation à la grève de son fils pouvait nuire à son commerce.
Le 30 novembre 1938 la grève fut suivie par tout le personnel. Ce souvenir est lié avec la déclaration de Paul Reynaud dont la voix nasillarde retentit encore dans mes oreilles bien qu’il n’y eut pas de poste de radio à la maison. J’entends encore « fini la semaine des deux dimanches ».
L’ado que j’étais découvrait un monde qu’il ignorait. En 1939-1940 il y eut deux arrestations à l’atelier de montage et le chef d’atelier d’optique disparu. Il y eut aussi la collecte de tabac pour la pipe à Benoit.
Ce qui me révolta, c’est le retard – plusieurs semaines – apporté à modifier mon taux horaire qui devait passer après six mois de présence de 1 Fr à 1 Fr 10. Cette négligence a pesé lourd dans ma formation de conscience de classe.
Intervint la parenthèse de l’exode devant l’invasion des armées allemandes. Il y avait une usine à Châtellerault et le personnel fut invité à s’y replier.
Nous avons pris le train dans des conditions précaires dont je n’ai pas souvenir. Nous y sommes arrivés et j’ai en mémoire une désorganisation remarquable. Nous étions restés groupés quelques apprentis et au bout de quelques jours nous avons décidé de remonter à Paris. Un soldat allemand avait laissé son vélo pour entrer au café. Deux camarades firent le guet pendant que j’enfourchais le vélo qui me permettais de regagner mon domicile et de reprendre mon travail.
L’étape mémorable – pour moi – suivante fut l’achèvement de mon apprentissage – 4 novembre 1941 – et le passage du CAP.
La veille du grand jour les compagnons me préparèrent divers appareils de mesure. Le jour du CAP je vins travailler normalement. J’évitais ainsi la honte d’un échec certain résultant d’un apprentissage qui ne concernait qu’un aspect de la profession.
Je n’ai pas souvenir qu’aucun des apprentis est obtenu le CAP. Quant au patron, il s’était économisé la taxe d’apprentissage et réduit ses frais de production. Quant à moi la rémunération aux pièces me permit au bout de quelques semaines d’avoir le salaire d’un ouvrier qualifié.
Les sentiments vichystes restaient à la porte de l’atelier et l’appel à travailler en Allemagne ne trouva qu’un volontaire puis vint le S.T.O.
Il me souvint que mon nez écrasé contre un tilleul de la cour de l’école devait être opéré pour mes vingt ans. Je consultais un oto-rhino en lui disant que je souhaitais une intervention le lendemain de ma convocation pour le STO. Il fut d’accord et sur mon appel téléphonique il m’hospitaliserait le lendemain pour l’intervention. Quelques jours après je fus convoqué à la visite médicale et dit au médecin allemand que j’avais rendez-vous le lendemain pour une intervention chirurgicale. Il m’accorda un sursis. Je sautais sur le premier téléphone et le lendemain j’avais envie de chanter en entrant dans le bloc opératoire.
Je n’ai plus entendu parlé pour ma part du STO. Cela m’a évité bien des désagréments car je ne voulais pas partir bien que n’ayant aucun lieu de repli.
De cette période où se termine mon adolescence émerge la camaraderie et la fraternité de l’atelier qui était devenu comme une seconde famille qui permettait de tenir dans cette période d’occupation, de guerre, de restriction. Stalingrad nous fit entrevoir un revirement libérateur. Avec mon salaire je pouvais contribuer aux dépenses de la famille et disposer d’un argent de poche j’utilisais en partie pour combler mes lacunes dues à une scolarité. Je serais actuellement considéré en échec scolaire. J’avais toujours aimé lire et je fréquentais assidument la bibliothèque municipale. Je lisais mon Larousse gagné au certificat d’études – a porté de la main. J’y trouvais le sens des mots inconnus ou obscurs mais aussi les références aux cultures anciennes. Je me suis mis donc à lire les « Hommes illustres » de Plutarque, « L’Odyssée » d’Homère, « L’Enéide » de Virgile et d’autres ouvrages en même temps que j’abordais les auteurs contemporains – sauf Brasillach qui était puant – tel Giono dont j’avais trouvé chez un bouquiniste sa « Lettre aux paysans » publiée en Juillet 1938 dans laquelle il déclarait son pacifisme. Ma sœur m’avait inscrit à une faculté et possesseur d’une carte d’étudiant je bénéficiais du tarif au théâtre où je me rendais régulièrement. C’est la lecture d’un hebdomadaire littéraire « L’Atelier » - je crois – qui me fit découvrir un poème admirable signé « François la colère ». Bien des années après j’appris que ce nom cachait « Aragon ».
J’avais connu peu de temps la semaine de 40 heures. Ce fut 48 heures puis 56 heures par semaine. C’était éprouvant et financièrement peu satisfaisant. Le « Travailler plus pour gagner plus » Merci j’ai déjà donné. Travaillant aux pièces – chaque pièce a un prix et non un temps d’exécution - et l’ouvrier touche à son échéance de paie la somme résultant du produit de nombre de pièces par leur prix. Les prix étant calculés pour permettre d’atteindre le salaire garanti. Améliorer son salaire était une possibilité. Le patron pouvait alors baisser les prix à l’occasion de l’établissement de nouveaux prix.
Pour tenir en échec les conséquences du « travailler plus pour gagner plus », à la paie chaque ouvrier faisait circuler sa feuille de paye.
La nécessité d’un échange entre les ateliers me parut indispensable. Les ouvriers opticiens formaient une corporation qui avait une tradition. Avec l’aide des compagnons de l’atelier, une réunion fut organisée dans un café de Belleville. De ces réunions, de bouche à oreille, je n’en garde aucun souvenir si ce n’est que la libération de Paris fut proche. J’habitais Suresnes et nous suivions en spectateurs les combats libérateurs. Je me rendis à l’usine à pied, qui était mon lieu de ralliement. J’y rencontrais le chef d’atelier d’avant-guerre, qui me proposa d’aller au « 94 ». J’ignorais tout du syndicat, de la CGT, de ses lieux. Il avait un vélomoteur dont il avait démonté le moteur faute d’essence et utilisait les pédales pour se déplacer. C’était un robuste quinquagénaire et il pédala de Courbevoie à la rue d’Angoulême. Il me conduisit à l’immeuble du fond et au 2ème étage me présenta à Félix Pertet, Nourry et qu’il avait l’air de connaître parfaitement.
L’Union Syndicale de la Métallurgie de la Région Parisienne se restructura rapidement et en particuliers les sections techniques. Les sections techniques regroupaient les corporations : ouvriers d’art, prothésistes, tourneurs repousseurs, modeleurs bois, moulistes, opticiens, etc …
Avant-guerre ces professions s’exerçaient dans des ateliers indépendants. Puis elles furent intégrées dans des usines de production.
Les accords Parodie-Croizat de 1947 furent leur dernière activité.
Je fus secrétaire de ma section technique et j’acquis ainsi une formation syndicale en février 1945. Je fus appelé à effectuer mon service militaire. Ce fut courtelinesque et au bout de dix mois je repris mon travail à l’usine. La section syndicale s’était reconstituée et je fus élu au Comité d’Entreprise. Les syndicats locaux se mettaient en place. L’année 1946 me semble comme un round d’observation où de premiers conflits sérieux s’engageaient. C’est en 1947 que les conflits prirent de l’ampleur et des grèves dures se développeront jusqu’à la scission de la CGT avec la création de FO. Dans l’usine, où la grève fut suivie par la totalité des ouvriers, la CGT ne perdit aucun adhérent.
La reconversion de production de guerre en production civile fut partiellement effectuée et se soldat par un échec qui conduisit à la quasi-fermeture de l’usine donc aux licenciements. Fin juillet je reçu mon certificat de travail avec ma paye et mes congés payés. A la fin août je pus me lancer à la recherche d’un emploi. Il était évident que les patrons n’envisageaient pas d’introduire le loup dans la bergerie. Début septembre j’étais toujours sans emploi alors que la date de mon mariage était fixée au 25 septembre.
Je fus contacté par un ouvrier du temps de mon apprentissage qui m’informa que Troispoux (les jumelles Lumina) cherchait un ouvrier. Je me présentais aussitôt au chef d’atelier qui me demanda « si j’étais bien le secrétaire du syndicat ». Interloqué je lui répondis « oui ». Après s’être informé si j’avais ma blouse il m’enjoignit d’aller la chercher pour prendre mon travail. Le chef d’atelier était un ancien militant de la CGT qui était resté fidèle à ses engagements. Il s’appelait Clovis F. La première journée il m’assistât pour m’adapter à une machine sur laquelle je n’avais jamais opéré.
L’usine était rue des muriers dans le 20ème. Embauché le 6 septembre 1948 je me mariais le 25 septembre et je pris quelques jours de congé. Toute la corporation fêta l’événement. Une réception fut organisée à l’ancienne permanence du syndicat rue Dupetit-Thouars, dans un café proche du carreau du Temple. Il nous fut remis un service à vaisselle. Nous en avions toutes les pièces. Les camarades de l’ancienne usine m’offrirent une pendulette. L’évocation de ces souvenirs provoque un émoi.
A l’automne la Fédération me proposa un stage syndical de 3 semaines à Viroflay en internat.
C’est dans l’année 1949 que je déclenchais une grève d’atelier pour les salaires. Elle fut très courte et se termina par le passage du travail au boni par le travail aux pièces qui entraina une forte augmentation des salaires à laquelle s’ajouta une prime de fin d’année.
Sur le plan syndical je m’investis dans le syndicat des métaux du 20ème.
Le 20ème comptait alors de nombreuses entreprises de la métallurgie des ateliers jusqu’à 500 travailleurs et 3000 pour la Bull. C’est au début de 1950 une grande grève de la métallurgie. Un camarade – Folgavez - me prêta un vélo ce qui me permit de visiter des syndicats des métaux dont je devais aider à organiser la solidarité. La grève se termina sans résultat notable. En ce qui concerne Troispoux ce fut en tout cas un échec.
Le chef d’atelier qui avait été malade pendant les 15 jours de la grève retrouva la santé le jour de la reprise.
Quelques temps après, le secrétaire général de l’USTM de la RP (union des syndicats de la métallurgie de la région parisienne) me convoqua. Il me dit les difficultés dans la direction de deux syndicats - 11ème et 19ème – et me demanda de trouver du travail dans l’un ou l’autre syndicat. Il précisa que je ne serais pas parachuté à l’une ou l’autre direction syndicale. J’avais de l’estime pour le secrétaire général du syndicat des métaux du 19ème et je ne connaissais pas personnellement celui du 11ème. J’explorais donc le 11ème et je trouvais une embauche dans une société « d’exploitation de la piézo-électricité » rue Mercœur dans le 11ème. Le travail utilisait les qualités professionnelles de l’ouvrier opticien de précision et la matière à usiner était le quartz. Le canon de quartz possède deux axes : l’un optique, l’autre électrique. La pièce d’essai fut exécutée par le chef d’équipe pendant que je répondais aux questions qui préoccupaient les ouvriers de l’atelier.
Les discussions sur la convention collective furent ouvertes et je fus intégré à la délégation ouvrière de la CGT. Mes absences furent autorisées et rémunérées comme temps de travail. A la cantine je faisais régulièrement le compte-rendu de l’état des discussions. En novembre le travail vint à manquer et dernier embauché je fus licencié.
Mon dernier jour de travail fut le 17 novembre 1950 et j’embauchais le 20 novembre aux Jumelles Deraisme, 167 rue de Saint-Maur. Un ?? me priva de mon certificat de travail de Gallus. Au secrétariat de l’usine je remis ce certificat et j’omis de remettre celui de Lumma afin d’éviter le coup de téléphone entre patron d’identique production. Je promis de l’apporter. Ce dont je me gardais et à mon départ j’oubliais de le réclamer. L’USTM m’avait sollicité pour être au conseil juridique ; ce que j’acceptais et je quittais Deraisme le 8 décembre 1950. (les dates sont très exactes, elles figurent dans ma reconstitution de carrière établi lors de ma liquidation de mes droits à la retraite).
Le conseil juridique qui était composé de deux conseillers, une secrétaire et un avocat tenait permanence toutes les après-midis et le samedi toute la journée. Le conseil juridique répondait aux questions et constituait s’il y avait lieu le dossier pour la saisine du conseil des prud’hommes. En outre nous assistions les travailleurs au Bureau des Conciliations et aux enquêtes, et nous faisions les appels des Bureaux, des Jugements. L’avocat plaidant au conseil des prud’hommes et en appel. Je continuais à participer aux activités du syndicat des métaux du 11ème.
Au départ du responsable du conseil juridique je fus chargé de sa responsabilité et je puis, après quelques années plaider au Bureau des Jugements.
Le conseil juridique se vit élargir son activité et en 1955 je fus élu au Conseil d’Administration de la caisse primaire de la sécurité sociale puis à la caisse régionale. La délégation de la CGT comprenait des élus d’expérience. Nous étions élus pour cinq ans qui furent prolonger à sept ans pour permettre de modifier la loi. A l’élection fut substitué la désignation par les organisations syndicales. En 1962 mon mandat pris fin. J’avais vécu une expérience enrichissante.
Je crois me souvenir que c’est soit en 1962 ou en 1963 que je fus dégagé du conseil juridique et en plein temps à l’USTM de la mécanique. Pendant une période les structures syndicales de la métallurgie s’alignèrent sur les grandes branches industrielles : aéronautique, automobile, électricité, mécanique. J’appartenais, par ma formation professionnelle, à la branche mécanique.
Je pus me consacrer entièrement à l’action syndicale de terrain. Je passais beaucoup de temps à la Bull 20ème, à IBM rue du Caire, à SKF à Ivry et d’autres entreprises importantes sans négliger les petites et moyennes entreprises.
En 1963 un ouragan éclata les premières têtes des USTM qui se retrouvèrent affectées à d’autres responsabilités : rédacteur à la V.O., responsable au nid, etc. …
Avec de nouveaux responsables les USTM de branche firent face à leurs missions.
Il convient peut-être de rappeler qu’à l’époque la région parisienne était constitué administrativement de deux départements : la Seine et la Seine et Oise.
En 1965, je fus nommé à la direction de la Polyclinique des Bluets, mais cela est une autre histoire …

.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article148907, notice GUILLEMIN Charles par Claude Pennetier, version mise en ligne le 17 septembre 2013, dernière modification le 22 février 2017.

Par Claude Pennetier

Charles Guillemin
Charles Guillemin

SOURCE : Témoignages de sa famille.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable