CALLIGARIS Luigi, dit Luigi SICILIANO

Par Philippe Bourrinet

Né le 15 juin 1894 à Fogliano di Monfalcone (Gorizia – Frioul, Italie), fusillé le 14 septembre 1937 par le NKVD au camp de Severo-Vostočnyj (Magadan, Kolyma) ; ouvrier ; dirigeant communiste de Trieste, déporté de 1926 à 1932 par le fascisme ; émigré en URSS en 1932, sur ordre de son parti, pour devenir un cadre du Komintern ; opposant « bordiguiste » dans l’émigration italienne à Moscou et dans le goulag.

Anthropométrie
Anthropométrie "soviétique" : Luigi Calligaris, vers 1933

Mécanicien, socialiste avant 1914, Luigi Calligaris adhère au PCd’I en 1921. Entre 1922 et 1925, il fut plusieurs fois arrêté et condamné pour propagande et lutte armée contre le fascisme. Rédacteur du quotidien communiste Il Lavoratore di Trieste, dirigé par Ottorino Perrone, partisan de Bordiga, il fut arrêté le 21 novembre 1926 et condamné à cinq ans de déportation aux îles de Favignana, Ustica et Ponza. En 1930-1931, il se lia d’amitié avec Léo Valiani, récemment condamné. Libéré le 18 février 1932, il retourna à Trieste, puis s’échappa d’Italie et gagna clandestinement via la France l’URSS sur l’ordre de son parti.

En fait, comme le résuma plus tard Prometeo, l’organe de la Fraction bordiguiste en exil (France et Belgique), « Calligaris ne s’était pas prononcé sur la question de la Russie… » « (Il) pouvait partir pour la Russie où la suggestion d’une vie facile, commode, la considération pour l’émigré auraient enfin raison de sa droiture politique, et où il prêcherait lui aussi le ‘socialisme dans un seul pays’ ».

À Moscou, Calligaris étudia à l’École léniniste internationale, fondée par le Komintern en 1926. Il était appelé ainsi à devenir un cadre du Komintern s’il se pliait aveuglément à l’« orthodoxie » stalinienne. Il fut vite destitué de toute responsabilité politique, pour avoir renoncé à suivre les cours de l’Université léniniste, en raison de son « bordiguisme » avéré.

Il présida dès le départ le Cercle des émigrés de Moscou, lieu de débats politiques intenses à l’intérieur de la communauté des expatriés de toute origine. Ce cercle, bien entendu, était étroitement surveillé par le GPU qui y plaçait provocateurs et espions. En participant à ses réunions, il put former un groupe de la gauche communiste avec Alfredo Bonciani (« Grandi »), Ezio Biondini (« Merini ») (1906-1952), Rodolfo Bernetich (1897-1937), Giovanni Bellusich (1902-1938), Arnaldo Silva, Giuseppe Sensi (1898-1937) ainsi que les anarchistes Otello Gaggi (1896-1945) et Gino Martelli (1897-1938).

Calligaris travailla comme ferronnier, d’abord à Kharkov – dans une usine de turbines – à partir de novembre 1932, puis à Moscou en 1933 dans l’usine de tampons à la sphère « Kaganovitch ». Dans cette usine, travaillaient beaucoup d’émigrés italiens, dont le communiste (et mémorialiste des victimes italiennes du stalinisme) Dante Corneli (1900-1990).

À la fin de 1933, pour « excessive sympathie à l’égard de Bordiga », il fut exclu du Parti communiste. Dès décembre 1933, le « cas Calligaris » commença à être connu à l’extérieur, à travers les colonnes de la presse « bordiguiste », et jusque dans la presse fasciste, qui s’empara de l’affaire « dans le but de montrer aux ouvriers italiens que le ‘paradis soviétique’ ne valait pas mieux que ‘l’enfer fasciste’ ».

En 1934, Calligaris et les membres de son groupe communiste réussirent à faire parvenir une lettre à la revue Prometeo – l’organe de la Fraction « bordiguiste » à Bruxelles – avec laquelle ils avaient su maintenir le contact, dénonçant la situation en URSS et dans le parti bolchevik.

Calligaris fut arrêté à Moscou le 28 décembre 1934 – peu après l’assassinat de Kirov – sous l’accusation de « participation à une organisation trotskyste contre-révolutionnaire ». Interrogé, il fut torturé pour lui extorquer des aveux. Il fut en fait arrêté peu après la parution d’un article dans Prometeo, vite signalé au GPU par un espion – vraisemblablement Ersilio Ambrogi.

Un procès commun s’ouvrit en février 1935 contre Calligaris, Ezio Biondini, Rodolfo Bernetich, Giovanni Bellusich, Otello Gaggi et Gino Martelli – mais aussi l’anarchiste Francesco Ghezzi, arrêté en janvier 1935, et qui fut l’objet d’une vaste campagne internationale pour sa libération.

Calligaris fut condamné à trois années de déportation à Chenkoursk (oblast d’Archangelsk) le 4 mars 1935 par OSO du NKVD pour « activité antisoviétique » sur la base de l’article 58 (par. 10 et 11) du Code pénal soviétique de 1934. Tuberculeux, il réussit à informer de son sort, par le biais de l’ambassade italienne, sa femme et son fils adolescent restés à Trieste ainsi que la Croix-Rouge internationale. Il concluait dans la dernière lettre adressée à son épouse : « Ce n’est pas mon testament politique… mais le cri désespéré d’un homme qui, après avoir vu la mort sur les champs de bataille de la guerre impérialiste, et au cours des luttes politiques de l’après-guerre, ne se sent pas en état de succomber à un trépas sans gloire de la main de ses propres frères ».

La fraction « bordiguiste » en France et Belgique continua sa campagne internationale pour la libération de Calligaris et sa sortie d’Union soviétique. Le journal du parti communiste italien La Difesa du 13 juillet 1935 publia une prétendue lettre de Calligaris adressée à Giovanni Germanetto – un apparatchnik du Komintern résidant à Moscou –, un vrai morceau d’anthologie de « confession soviétique » : « J’ai été frappé à cause de mon attitude contre-révolutionnaire. La condamnation ne m’aurait pas touché si elle était venue de la part de mon ennemi de classe... Mais elle est venue des organes attachés à la défense de la révolution et aux conquêtes du prolétariat. […] Pour mes fautes politiques, j’ai payé cher ; je me suis ravisé et t’écris non pour demander de l’aide, mais afin que, une fois ma peine purgée, je puisse revenir la tête haute au milieu de ma classe, à cette classe que moi, par ignorance, par entêtement et incompréhension, j’ai trahie en me mettant en liaison avec des groupes contre-révolutionnaires de l’étranger. »

En fait Calligaris, dans la dernière lettre adressée en 1936 à son épouse confessait son désespoir d’être inévitablement assassiné par ses propres « frères de classe » : « Ce n’est pas mon testament politique… mais le cri désespéré d’un homme qui, après avoir vu la mort sur les champs de bataille de la guerre impérialiste, et au cours des luttes politiques de l’après-guerre, ne se sent pas en état de succomber à un trépas sans gloire de la main de ses propres frères ».

Tandis qu’il purgeait sa peine, le 27 mai 1936, il fut condamné à cinq autres années de camp pour « trotskysme ». Il fut alors transféré au camp de Severo-Vostočnyj, « camp de redressement par le travail » dans l’enfer de la Kolyma dont Varlam Chalamov se fit le chroniqueur dans ses Récits. Le 14 septembre 1937, il fut condamné à mort par une unité spéciale du NKVD au service du Dal’stroj – trust géant exploitant les mines d’or de la Kolyma – sous l’accusation d’« activité trotskyste contre-révolutionnaire », participation aux grèves de la faim et donc « organisation de sabotage contre-révolutionnaire ». Son exécution fut immédiate, le jour même.

La fraction avait mené en vain de 1935 à l’automne 1937 une campagne pour Calligaris. Lorsque resurgit dans le sud de l’Italie une fraction « bordiguiste » en 1944, elle publia une lettre de Victor Serge adressée à Togliatti , ministre sans portefeuille du gouvernement Ivanoe Bonomi formé le 18 juin. Victor Serge exigeait publiquement des détails sur le sort ultime de Luigi Calligaris et de l’anarchiste Francesco Ghezzi (1893-1942) : « Ont-ils été exécutés ? Quand ? Comment  ? ». Togliatti se garda bien de répondre à ces questions gênantes.

Luigi Calligaris fut « réhabilité » post mortem le 12 septembre 1956. Selon Dante Corneli, un communiste italien de Tivoli qui réchappa de l’enfer de Vorkouta, et qui l’avait bien connu, « Luigi Cornelis fut l’une des plus belles figures du mouvement révolutionnaire italien du premier après-guerre ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article149151, notice CALLIGARIS Luigi, dit Luigi SICILIANO par Philippe Bourrinet, version mise en ligne le 27 septembre 2013, dernière modification le 28 septembre 2013.

Par Philippe Bourrinet

Anthropométrie "soviétique" : Luigi Calligaris, vers 1933
Anthropométrie "soviétique" : Luigi Calligaris, vers 1933

SOURCES : ACS (EUR/Roma) CPC busta 954. – GARF (Archives d’État de la Fédération de Russie), f. 10035, op. 1, d. P-31289f. 8409, op. 1, d. 1485 ; CA FSB RF, dossier d’instruction n° 216243. — RGASPI, 513 2 69. — Archiv Glavnoj Voennoj Prokuratury. – FIG Fondo Robotti. – Gatto Mammone (Virgilio Verdaro) et autres, Bilan n° 3, 4 et 5, janvier-mars 1934, « Le cas Calligaris » ; n° 17, mars-avril 1935, « Au sujet de Victor Serge et de Calligaris » ; n° 19, mai-juin 1935, « Calligaris en Sibérie » ; n° 20, juin-juillet 1935, « Calligaris » ; n° 21, juillet-août 1935, « Et voici le cas Calligaris », n° 22, août-sept. 1935, « Nous Calligaris et le centrisme » ; n° 30, avril-mai 1936, « 1er mai (à propos de Calligaris) » ; n° 31, mai-juin 1936, « Calligaris toujours déporté en Russie, sauvons-le ! » ; n° 44, oct.-nov. 1937, « Et Calligaris ? » – Lettre de Victor Serge adressée « À Palmiro Togliatti, ministro » (signée « redazione di Mundo », Mexico, nov. 1944), La Sinistra proletaria, Rome, 19 février 1945. – Dante Corneli, Lo stalinismo in Italia e nell’emigrazione antifascista. Elenco delle vittime italiane dello stalinismo (Dalla lettera « A » alla « L »), Tivoli, oct. 1981, p. 80-84. – Guelfo Zaccaria, A Mosca senza ritorno. Duecento comunisti italiani fra le vittime dello stalinismo, SugarCo Edizioni, Milano, 1983. – M. B. Smirnov (éd.), Cистема исправительно-трудовых лагерей в СССР : 1923-1960 : Справочник (Le système des camps de redressement par le travail en URSS – 1923-1960. Manuel), Sven’ja, Moscou, 1998. – E. Dundovich, F. Gori et E. Guercetti, Reflections on the Gulag, with a Documentary Appendix on the Italian Victims of Repression in the Ussr, Milan, Fondazione Giangiacomo Feltrinelli, 2003 (Annali, XXXVIII, 2001). – Giancarlo Lehner et Francesco Bigazzi, La tragedia dei comunisti italiani. Le vittime del PCI in Unione Sovietica, Mondadori, Milan, 2006.

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