Par Claude Pennetier
Né le 18 novembre 1923 à Paris, mort le 4 septembre 2010 ; journaliste ; résistant ; militant communiste de 1943 à 1969 ; rédacteur en chef de Démocratie nouvelle ; fondateur de Politique hebdo.
Fils d’un journaliste et d’une mère, médecin, d’origine ukrainienne installée en France en 1922 et nostalgique de la Russie révolutionnaire, Paul Noirot passa le baccalauréat lors de l’Armistice de 1940, puis essaya de rejoindre les Force françaises libres. Paul Noirot prépara le concours de l’École Polytechnique et celui de l’École normale supérieure mais les événements de la guerre ne lui permirent pas de les passer. Il entra dans la Résistance en 1941 à Marseille et adhéra au Parti communiste début 1943. Les Allemands l’arrêtèrent en novembre 1943 en gare d’Ambert (Puy-de-Dôme). Interrogé à Vichy, transféré à la prison de Clermont-Ferrand puis à Compiègne. Il fut déporté à Buchenwald de décembre 1943 à avril 1945. Sa formation lui permit de se faire passer pour « ingénieur » et de travailler au contrôle de la production et de freiner le travail. Il fut responsable Front nationale du block 14.
À son retour en France, il écrivit des notes sur sa déportation qu’il ne publia pas sur le moment, mais qu’il utilisa en 1976 dans son livre La mémoire ouverte. On y découvrait déjà une volonté de rendre compte de la complexité des situations, de « couper court à toutes les élucubrations romantiques. Monter que nous ne fûmes ni des anges, ni des démons, mais des hommes malheureux, écrasés par des circonstances extraordinaires, et qui réagirent comme ils purent » (p. 48).
De retour à Paris, il retrouva sa sœur, sa mère et son père qui avait été professeur dans une école des cadres des MUR (Mouvements unis de la Résistance) et avait été l’un des rédacteurs de l’Agence d’information du Conseil national de la Résistance et à ce titre, avec Gilles Martinet et Pierre Courtade, avait occupé à la Libération l’agence Havas pour y créer l’agence France-Presse. Son père mourut en septembre 1945 ; ses amis lui proposèrent une place de journaliste stagiaire pour l’aider à faire face à ses obligations de famille. Il renonça donc à l’École normale supérieure, mais suivit quelques cours de sciences à la Sorbonne. Il vécut, rue des Écoles avec sa sœur et sa mère jusqu’à son mariage en juin 1947 avec une rédactrice du journal France, mariage qui dura dix-huit ans. Il reprit contact avec le PCF par l’intermédiaire de Pierre Kast, responsable des étudiants communistes. Il fut délégué au congrès de l’UIE (Union internationale des étudiants) à Manchester (Royaume uni), voyagea en Allemagne et en fit un compte rendu dans Action. Il milita à Neuilly-sur-Seine (Seine, Hauts-de-Seine) avec Lucien Sorlin puis à Paris Ve arr. avec Edmond, François Bagard.
Secrétaire de la cellule de l’Agence France presse (AFP), il était secrétaire du syndicat CGT des journalistes de la Seine. Son licenciement au début de l’été 1951 provoqua une grève du personnel. Après un passage à la Revue du cycle, Pierre Daix le fit recruter à Ce soir, le quotidien d’Aragon, journal puissant à la Libération mais alors en perte de vitesse. Installé dans les locaux de l’Humanité, géré par le même administrateur, le journal perdit progressivement de son originalité. Chargé de la politique étrangère, Noirot participait aussi à la Section économique du comité central (où il côtoya Henri Claude qu’il qualifie de « prophète de la crise économique », Jean Baby, Léon Lavallée) et collaborait à Démocratie nouvelle. Dans ses souvenirs, il dit avoir été alors « manichéen » et bien qu’à un poste d’observation privilégié, notamment pour les procès de Hongrie, il n’eut qu’un vague malaise. À l’hiver 1952-1953, il fut nommé, non sans mal (la commission des cadres y étant dans un premier temps opposée), permanent de Démocratie nouvelle. Il entretint de rapports de confiance avec le directeur, Jacques Duclos, et avec le rédacteur en chef, Joanny Berlioz.
« C’est essentiellement sur le plan de la réflexion théorique que, durant ces premières années de l’après-Staline, se développe au sein du Parti français une contestation bien timide à laquelle je participe », écrit-il. C’est au cours d’un voyage en URSS que son ami Giuseppe Boffa, correspondant à Moscou de L’Unita lui révéla le contenu du rapport Krouchtchev. Sa latitude était moins grande dans les instances ordinaires du parti qu’à la Section économique ou au comité de rédaction de Démocratie nouvelle et il ne fit pas état de ses informations sur l’URSS. En déclarant, en 1960, qu’après mai 1958, le PCF avait eu, « une insuffisante appréhension de la modification relative intervenue dans les rapports de force économique entre les pays d’Europe occidentale, au premier plan desquels la France et les États-Unis », il ouvrit la voie à critique. Raymond Guyot et Élie Mignot y virent un panégyrique du gaullisme, et l’affaire s’aggrava lorque Marcel Servin lui-même reprit la même analyse dans France nouvelle. L’élimination de Servin et Laurent Casanova affaiblit sa position et le marqua : « je traverse, pendant toute cette année 1961, une crise générale dont la désespérance politique n’est qu’un des factuels », sa mère mourut et il rencontra sa deuxième femme journaliste à Combat.
Paul Noirot créa l’Association de solidarité franco-africaine qui lui ouvrit la collaboration avec des milieux favorables au FLN, se rendit en Algérie en 1966 et voyagea en Chine, Mongolie comme dans de nombreux pays de l’Est. En février 1968, il inséra dans Démocratie nouvelle un entretien avec Dubcek, provoquant la colère de Waldeck Rochet. Il fut relevé de ses fonctions et blâmé. Les événements de mai 1968 le surprirent. Il réagit avec colère à la lecture de l’article de Georges Marchais dans l’Humanité du 3 mai. Rencontrant Roland Leroy au siège du comité central, il lui asséna que « cet article [est] un véritable crime contre le Parti, et que le moment est venu pour des hommes comme lui, d’en profiter pour mettre Marchais sur la touche ». Il demanda un article à Garaudy sur la révolte de la jeunesse qui parut sous le titre « Les communistes et le mouvement ». Il tenta, dans la nuit du 10 au 11 mai, une dernière démarche pour un contact entre les communistes et les étudiants. Avec Paul Rozenberg et Roger Garaudy, il organisa une rencontre à la Sorbonne le 30 mai, mais il reçut, par une visite de Guy Besse, « sur mandat exprès de Roland Leroy et du bureau politique […] une dernière et absolue interdiction. ». Ils passèrent outre et intervinrent devant un amphi archi-comble. Le dernier numéro de Démocratie nouvelle, daté de juin-juillet 1968, paru sous le titre : « Pour servir l’histoire du mouvement de mai 1968… et pour préparer demain », avec des entretiens de Cestmir Cisar sur le Printemps de Prague, avec Hélène Mabille sur le syndicalisme femme CGT, avec Aimé Halbeher sur Renault. Ce numéro fut condamné par la direction qui demanda à Pierre Villon de démissionner pour le remplacer par Jacques Denis à la direction de la revue. Paul Noirot déclara à Jacques Duclos qu’il refusait de se soumettre à la censure de Jacques Denis et qu’il pensait être suivi par la majorité du comité de rédaction. Duclos temporisa et obtint que rien ne se fasse pendant l’été. Noirot alla à Prague retrouver des amis et constater l’exaltation politique qui lui rappela Mai 68 à Paris. Rentré en France avec le sentiment que les Soviétiques avaient renoncé à intervenir, c’est en vacances avec sa famille à Royan qu’il apprit l’entrée des chars russes en Tchécoslovaquie. De retour à Paris, il pensa que la réaction du BP était bonne et décida de sursoir à son intention de quitter Démocratie nouvelle. Il obtint de Duclos un accord pour un numéro sur la Tchécoslovaquie. Mais en octobre, il apprit que la direction communiste avait décidé de suspendre Démocratie nouvelle. Le numéro aux trois-quarts imprimé lui resta entre les mains, tout comme son livre sur la Chine. À la sortie de la dernière réunion présidée par un Duclos gêné, une dizaine de membres du comité de rédaction se réunirent dans un café et décidèrent de créer une nouvelle revue sur leurs fonds personnels. Étaient partants : Gilbert Badia, germaniste, Yves Barel, Fernand Nicolon, Paul Rozenberg, Vladimir Pozner, Jacqueline Vernes, Monique Vial, Puy Perrimond, Janine Olcina et Jean-Pierre Lecointre. Les tentatives pour obtenir la neutralité du PCF restèrent vaines, le parti fit savoir qu’il interdisait à tout membre de participer à cette initiative. Le premier numéro de Politique aujourd’hui parut en janvier 1969 et bénéficia quelques jours avant sa sortie d’une publicité involontaire par un article de Jacques Chambaz qui condamnait une entreprise « irréaliste, aventureuse et antirévolutionnaire ». Un communiqué du secrétariat et un du bureau politique contribuèrent à alerter encore plus fortement la presse qui fit un large écho à cette publication. Les ventes furent de 15 000 exemplaires. Seul Gilbert Badia accepta de se retirer pour ne pas risquer l’exclusion. Paul Rozenberg et Madeleine Rebérioux furent les premiers exclus. Noirot lui-même continua à participer aux réunions de sa cellule, chez Francis Crémieux avec la participation d’Henri Fizbin au titre de la direction fédérale. Sa cellule refusa de condamner sa participation à Politique aujourd’hui par deux tiers des voix mais la direction de section décida de la dissoudre. Finalement, tous les communistes du comité de rédaction furent exclus.
Paul Noirot ouvrit alors le comité de rédaction à la gauche révolutionnaire sans réussir à intéresser à son initiative toutes les composantes, car il ne voulait pas se situer dans une rupture totale avec le PCF à la différence des Italiens de Il manifesto. Cependant, il ne voulait pas constituer un groupe d’anciens combattants du PCF et dialoguait avec le PSU, les militants chrétiens et les intellectuels non communistes. Il fut décidé de créer un hebdomadaire malgré le risque financier et politique ; ce fut Politique hebdo, journal de 48 pages qui débuta le 8 octobre 1970 à près de 40 000 exemplaires et se stabilisa à 20 000. Arrêté en 1978, Politique Hebdo reparut quelques semaines en 1981 à l’occasion des élections présidentielles.
Paul Noirot refusa d’adhérer à tout parti, groupe ou formation. Ses souvenirs publiés en 1976, la même année que le premier tome du livre de Roger Pannequin, eurent un certain écho et ouvrirent la voie aux mémoires dissidentes. Paul Noirot se consacra, après la disparition de Politique hebdo, à la revue européenne Lettre internationale, revue littéraire rassemblant des auteurs européens qui était publiée simultanément dans plusieurs pays d’Europe et, à partir de 1997, il fut directeur éditorial de Maisonneuve et Larose. En 2001, il créa les Éditions Riveneuve avec Alain Jouson, maison qui publia des ouvrages historiques et politiques.
Par Claude Pennetier
ŒUVRE : Paul Noirot, La mémoire ouverte, Stock, 1976, 369 p.
SOURCES : Paul Noirot, La mémoire ouverte, Stock, 1976. — "Une Vie engagée dans l’Histoire", Jean-Claude Renard, Politis, n° 1062-1064, 23 juillet 2009 (portrait de Paul Noirot) ; "Dans la tribu Politique Hebdo", Claude-Marie Vadrot, Politis, n° 1062-1064, 23 juillet 2009 (souvenirs de Claude-Marie Vadrot). — Témoignages. — Claude Pennetier, Bernard Pudal, « Les autobiographies des « fils du peuple ». De l’autobiographie édifiante à l’autobiographie auto-analytique », in Cl. Pennetier, B. Pudal, Autobiographies, autocritiques, aveux dans le monde communiste, Belin, 2002. — Frédérique Matonti, Intellectuels communistes, Éditions La Découverte, 2005. — Dominique Desanti, Les Staliniens. Une expérience politique, 1944-1956, Fayard, 1975.