BAUDRILLART Albert

Par Jean-Pierre Ravery

Né le 7 juin 1889 à Mézières (Ardennes), fusillé le 9 mars 1942 au camp de Souge à Martignas-sur-Jalle (Gironde) suite à une condamnation à mort ; comptable ; agent des services de renseignements militaires réseau Vénus ; résistant.

La famille d’Albert Baudrillart avait été particulièrement éprouvée par la Première Guerre mondiale. Vingt-deux de ses membres avaient été massacrés par les troupes allemandes. L’entreprise de son père avait périclité suite à l’occupation des Ardennes. Sa mère était morte en 1918 du fait des privations, bientôt rejointe par son époux. Albert Baudrillart lui-même avait connu les épreuves du front, d’abord dans l’infanterie, puis dans l’artillerie. Il avait obtenu son baccalauréat, parlait l’anglais et l’allemand. Il avait épousé Nadine Lemonier. Entre les deux guerres, la famille s’installa à Bergerac (Dordogne) où elle demeurait 6 rue Valette. Une fille, Monique, naquit en 1929. Albert Baudrillart occupait un emploi de comptable dans une usine de céramiques industrielles. En août 1941, il fut recruté par le chef d’antenne du Service de renseignements de l’armée de terre (SR Terre) pour le sud-ouest, le capitaine Pierre Mangès, comme agent P2 (agent rétribué) du réseau Vénus, rattaché au réseau Kléber. Il fut présenté à un colonel près de Limoges, qui lui fit signer un engagement et prêter serment avant de lui attribuer le grade de lieutenant. Selon son épouse, il percevait une indemnité de 250 francs par jour, tous frais payés. Il opérait à partir de Bordeaux en zone occupée.
Pour repérer des points de passage de la ligne de démarcation, il feignait de rechercher des champignons, un panier à la main, ce qui lui valut le pseudonyme de « Champignon ». Le capitaine Mangès pour sa part lui avait attribué celui de « Fureteur ». En octobre 1941, Albert Baudrillart fut envoyé en mission de reconnaissance sur la côte basque, pour observer les mouvements de troupes ennemis provoqués par une rumeur d’implantation d’une base militaire anglaise au Portugal. Il s’acquitta de cette tâche en se déplaçant à vélo par petites étapes, amassant le fruit de ses observations dans une petite valise bleue. Sa mission achevée, il la confia au portier de l’hôtel Terminus de Marmande, un homme de confiance du réseau (le capitaine Mangès alias « Morand » résidait dans un autre hôtel de cette ville). Puis il se rendit chez lui à Bergerac où il retrouva un autre agent du SR nommé Bonhomme, se disant industriel dans la région et qui se révéla être un agent double au service de l’Abwehr. Le 4 novembre 1941, les deux hommes prirent ensemble le train à Marmande à destination de Bordeaux. Sans méfiance, Baudrillart raconta son périple à Bonhomme.
Le lendemain 5 novembre, Albert Baudrillart fut arrêté dans un magasin bordelais par quatre membres du contre-espionnage allemand. Dès le premier interrogatoire, il fut confronté à l’agent double. Ce dernier se rendit ensuite à Marmande récupérer la valise bleue dans laquelle les policiers allemands trouvèrent nombre de preuves des activités occultes d’Albert Baudrillart. Ce dernier se refusa cependant à livrer la moindre information sur ses camarades de combat. Il réussit même à faire transmettre à ses chefs une mise en garde contre le traître qui l’avait livré. Albert Baudrillart fut rapidement traduit devant le tribunal militaire allemand de Bordeaux (FK 529) le 4 mars 1942, condamné à mort pour espionnage et fusillé au camp de Souge le 9 mars 1942.
Une note de la Feldkommandantur retrouvée à la Libération insistait sur le fait qu’Albert Baudrillart avait été exécuté « non comme otage mais en vertu d’un jugement de la cour martiale. [...] Le recours suprême de la religion lui a été consenti, l’acte de décès peut-être demandé à la préfecture de police. Tous ses biens et objets personnels ont été remis contre reçu au commissariat central de police de Bordeaux le 12 mars 1942 à l’effet d’être rendus à sa veuve. La dernière lettre que Baudrillart a adressée aux siens a été transmise, comme l’exige le règlement, à un organe de contrôle des lettres ». En fait, sa famille ne fut informée de son exécution que deux mois plus tard et ne reçut la lettre qu’à l’automne 1943.
Après-guerre, l’abbé Henri, Charles Mabille, qui avait été convoqué au fort du Hâ pour assister Albert Baudrillart, rapporta les derniers instants du résistant : « après avoir entendu quelques paroles de l’aumônier allemand qui l’incitait à mourir en bon chrétien, Albert Baudrillart s’est redressé et a ajouté : ``En bon Français, Monsieur !’’ » La Croix de guerre avec palme et la Médaille de la Résistance lui furent décernées à titre posthume. Albert Baudrillart fut inhumé à Saint-Jean-d’Illac près de Bordeaux.

Lundi 9 Mars 42
 
Ma chère Nadine,
Ma chère petite Monique,
Soyez courageuses. Vous ne me reverrez plus.
J’ai été condamné à mort le 4 mars et je vais être fusillé ce soir à 17h30. J’ai beaucoup prié pour vous. Gardez mémoire intacte. Je meurs en bon Français.
Maintenant, tu vas être libre et tu peux encore refaire ta vie. Je te le conseille même de tout cœur, cela n’empêche pas de prier pour le repos de mon âme et de penser à moi. Que Monique continue ses études à Cadouin pour en sortir avec une bonne situation. Je lui recommande d’être sérieuse, honnête, et de se rappeler qu’elle a été élevée aux Dames de Nevers.
Si un jour tu as l’occasion de me faire inhumer, soit que le gouvernement t’accorde la gratuité du transfert ramène moi à Cadouin, où je n’ai trouvé que sympathie. Sur ma tombe, du lierre et une simple croix en bois, ni fleurs, ni couronnes.
Une pensée à chacun de nos amis et remercie les d’avoir bien voulu s’occuper de moi pendant ma captivité.
Conserve intact mon souvenir je pars en emportant de toi la plus suave vision et pardonne moi de t’avoir fait quelques pleurer. Je ne connaissait pas mon bonheur près de toi et rappelle toi que faute de 4 secondes, je ne serais pas séparé de toi pour la vie, si le grand Jo ne nous avait pas arrêté au bord de notre allée.
Je meurs victime de l’égoïsme patronal français, car si Brusson m’avait mieux rétribué, je serais resté bien tranquillement à mon poste car je ne pensais nullement faire ce métier. Mais c’est le destin et ce dernier est parfois cruel. Comme je n’ai jamais eu de chance dans ma vie que je n’ai pu même t’apporter le nécessaire, notre vie n’a été faite que de souffrances morales.
Aussi je quitte cette vie avec la ferme conviction que la Bienheureuse Eternité me sera donnée au Ciel et c’est vous deux que je pleure dans nom épreuve. Allons, courage, courage, dans quelques instants j’aurai remis mon âme à Dieu. J’ai reçu la Saint Communion et le bon prêtre qui m’a assisté dans mes derniers moments t’écrira sans doute.
Adieu donc ma Nadine chérie, adieu, mon enfant adoré, adieu tous.
Je vous embrasse une dernière fois de tout mon cœur et de toute mon âme longuement jusqu’à l’éternité.
Albert Baudrillart
Et pour que la France vive, vive Pétain.
 
Document original donné au Maitron des fusillés en janvier 2018 par Roger Sarrail.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article149517, notice BAUDRILLART Albert par Jean-Pierre Ravery, version mise en ligne le 17 octobre 2013, dernière modification le 10 décembre 2021.

Par Jean-Pierre Ravery

Première page de sa dernière lettre
Première page de sa dernière lettre
Deuxième page de sa dernière lettre
Deuxième page de sa dernière lettre
Troisième page de sa dernière lettre
Troisième page de sa dernière lettre

SOURCES : DAVCC, Caen B VIII 3 (Notes Thomas Pouty). – Livre d’Or du Mémorial de Ramatuelle 1939-1945, édité par l’Amicale des Anciens des Services spéciaux de la Défense nationale (AASSDN), Paris, 2005. – Les 256 de Souge, op. cit.. — Notes de Roger Saiail : "En mettant de l’ordre dans les" archives" d’un oncle décédé fin 2014 , dont je me suis occupé dans ses dernières années , j’ai eu la surprise de trouver une lettre manuscrite de monsieur Albert Baudrillart s’adressant à son épouse Nadine et sa fille Monique quelques heures avant son exécution le 9 mars 1942... Je ne sais pas comment ce document émouvant a échoué chez mon oncle mais je serais heureux de le transmettre à d’éventuels descendants . Après avoir donné ses dernières recommandations à son épouse et sa jeune fille il finit par " et pour que la France vive , vive Pétain " .
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