BLANCHETON Jean, Roger

Par André Balent, Jean-Pierre Besse, Serge Tilly

Né le 30 mai 1909 à La Petite Métairie en Loubens (Gironde) ; condamné à la peine de mort par un tribunal militaire allemand et fusillé le 8 avril 1944 à Toulouse (Haute-Garonne) ; vigneron propriétaire ; résistant, membre du réseau Buckmaster.

Jean, Roger Blancheton.
Collection particulière Annie Chausse Blancheton.

Fils de Pierre Blancheton, métayer puis cultivateur propriétaire et de Marie Blanchereau, cultivatrice, demeurant au lieu dit "La Petite Métairie" à Loubens, après 1911 le couple s’installa à Bignon en Neuffons (Gironde).
Bien que l’état civil donne comme seul prénom Jean, il fut prénommé communément Roger.
Jean, Roger Blancheton épousa Simone Barbot le 4 avril 1929 à Coutures-sur-Dropt (Gironde), née le 30 juin 1909 dans cette commune. Le couple s’installa chez les parents de Jean, Roger Blancheton et eut un fils Claude, Pierre né le 9 septembre 1930 à Neuffons.
Mobilisé en 1939, à son retour après avoir été démobilisé, il ne supporta pas de voir son pays occupé par une armée étrangère.
Membre du réseau Hilaire appartenant au réseau Buckmaster, agent P2 depuis le 1er d’août 1943, homologué jusqu’à son exécution, il fut un sympathisant du Parti communiste.
Le 21 juillet 1943, un parachutage d’armes fut effectué dans le secteur de La Réole (Gironde) par l’aviation britannique, armes réceptionnées par le réseau Hilaire Buckmaster. Les armes furent réparties dans différents groupes et une partie fut camouflée dans un endroit isolé sur les terres du vignoble du couple Boucheton.
Suite à une dénonciation, le 5 septembre 1943, en fin de soirée, la police allemande venue d’Agen (Lot-et-Garonne) vint procéder à l’arrestation de Jean, Roger Blancheton alors qu’il était dans son lit.
Témoignage de Simone Barbot l’épouse de Jean, Roger Blancheton écrit le dimanche 24 octobre 1944
"Neuffons le 24.10.44
Moi, soussignée Simone Blancheton déclare comment mon mari Blancheton Jean en famille Roger a été arrêté par les allemands le 5 septembre 1943. Le dimanche 5 septembre au soir je suis parti au cinéma avec mon fils et un petit garçonnet que nous avions en vacances, mon mari est resté seul à la maison. Quand vers minuit et demi, heure solaire nous sommes revenus. Quelle ne fut pas notre surprise de voir deux autos stoppées dans le chemin près de la maison, j’ai tellement été surprise que je suis restée sur place, alors un homme parlant très bien le français s’est avancé et m’a demandé qui j’étais et d’oú je venais, comme je voulais rentrer chez moi, il me l’a interdit, alors je lui ai demandé ce qui se passait, il m’a répondu que je le saurai bientôt et de ne pas insister. Pendant ce temps un autre s’est approché, ils ont parlé en allemand, alors j’ai compris à qui j’avais à faire, ils m’ont dit d’avancer, j’ai pensé rentrer chez moi mais quelle ne fut pas ma terreur quand je fus moi et les deux enfants enfermé dans une des voitures et gardé avec des armes, nous sommes restés là environ une demi heure sans rien voir d’anormal, seul leur va-et-vient de la maison aux voitures, quand tout à coup je vois dans la nuit qui était très sombre se dirigeant vers l’autre voiture j’ai supposé qu’ils amenaient mon mari, alors j’ai demandé : "c’est toi ?", Roger m’a répondu : "oui et tu es là toi !", je lui ai dit : "que se passe t-il ?", "je n’en sait rien" m’a t-il répondu et j’ai eu l’impression qu’il a été bousculé et enfermé dans l’autre voiture. J’ai appelé de nouveau on me l’a formellement interdit et lui ne m’a plus répondu, je ne devais plus l’entendre, ni le voir que mort, quand j’ai demandé de l’embrasser on m’a répondu qu’il n’y avait plus rien à faire et nous sommes resté là une demi heure encore, j’ai pensé que nous aussi allions tous partir. Quand enfin après plusieurs va-et-vient ils nous ont fait descendre, deux nous ont ramenés dans la maison, un qui parlait bien le français, l’autre que l’allemand. Là, ils m’ont dit que mon mari ferait partie d’une bande qui lui causerait des ennuis, ils m’ont demandé s’ils connaissaient Mr Terrible de La Réole, j’ai répondu "non" . Ils m’ont dit "beaucoup Ferchant de Monségur", "très peu" j’ai répondu. "Cependant, il venait souvent chez vous", "jamais je ne les ai vus". "Pourtant il est venu environ trois semaines avec un camion et des armes", "j’ai certifié n’avoir jamais vu de camion, ni d’armes". Ils m’ont dit ensuite "le soir il passe des avions très, très bas" , j’ai dit "oui, il passe des avions mais je ne fais pas attention s’ils passent haut ou bas", ils ont écrit ce que j’ai dit.
Quand je suis monté dans la chambre où était couché mon mari quelle ne fut pas ma douleur de voir qu’ils avaient du le frapper très fort, il y avait du sang un peu partout sur la literie, au mur, sur le plancher, tous les meubles étaient fouillés, surtout oú il y avait du papier. Des bouts de bâtons étaient partout, l’aiguillon qui avait été pris devant la grange, il avait été tapé à tel point que nous avons ramassé une pleine main de défilures de ces bâtons qui étaient en bois dur. Au début octobre je suis allé à Toulouse demander à la police allemande si mon mari n’était pas là, car en partant ils m’avaient dit qu’ils l’emmenaient à Toulouse. J’ai eu la certitude qu’il était là puisque mon colis de linge a été autorisé dix jours après, je suis revenu là, j’ai eu son linge sale, donc la chemise qu’il avait à son arrestation où il y avait la aussi des taches de sang. Dans les quelques mots qu’il a pu me faire passer il me disait avoir toujours beaucoup faim, mais cela n’était pas assez et le 8 avril 1944 il fut condamné à mort et fusillé le même jour au soir. Dix jours plus tard, je reçu la lettre qui lui avait été accordée d’écrire à sa famille avant de mourir où il nous faisait tous ses adieux et recommandations. Le 1er juin j’ai pu causer avec l’aumônier allemand qui l’avait assisté au dernier moment, là j’ai su qu’il avait eu beaucoup de courage et n’avait pas voulu les yeux bandés, préférant sans doute défier l’ennemi jusqu’au bout. Son corps a été retrouvé à Toulouse le 7 septembre 1944 lieu dit Bordelongue, je suis allé reconnaître sa dépouille parmi les 27 pauvres cadavres. J’ai bien constaté qu’il n’avait pas de bandeau sur la figure, il était mort en brave et bon français. Mais hélas, lui est mort pour ne pas donner d’autres camarades et sans doute surtout pour ne pas livrer les stocks d’armes qu’il avait chez lui sachant que sa famille risquait les représailles des allemands et aussi un jour ces armes seraient utiles plus tard. Quelle ne fut pas ma surprise quand vers le 22 mai 1944, la milice de Tonneins est venue chercher ces armes me disant quelles étaient dans une rège de vignes, après des recherches chose fut exacte, j’ignore qui pu le dire vue que je ne sais pas à quels camarades mon mari avait du les confier.
Fait à Neuffons le 29 octobre 1944 par la veuve de Blancheton Jean."

Jean, Roger Blancheton fut incarcéré au quartier allemand de la maison d’arrêt Saint-Michel de Toulouse. Le samedi 8 avril 1944, condamné à la peine de mort par un tribunal militaire allemand et fusillé comme otage, après sept mois d’incarcération, le jour même à 17 heures dans cette maison d’arrêt, en même temps que Roger Arnaud, Émile Béteille, Jean Brisseau, Pierre Dubois, Fernand Ducès, François Laguerre, Roger Lévy et Paul Mathou. Ils étaient originaires de l’Aude, de la Haute-Garonne, des Hautes-Pyrénées, de la Gironde et du Lot-et-Garonne, faisaient partie de divers mouvements de la Résistance et pour la plupart n’avaient aucun lien entre eux.
Paul Mathou dans sa lettre d’adieux donna quelques précisions sur le déroulement de la journée du 8 avril 1944 :
"On m’a fait raser, on m’a donné une chemise propre et vers 10 heures, on m’a emmené devant le tribunal. La séance a duré une heure et quarante minutes. On nous a distribué des colis de la Croix-Rouge. Nous avons fait un excellent repas, le dernier, tous les neuf, bons Français et bons camarades. Personne ne s’est plaint. Nous avons accepté notre sort avec courage. Nous sommes tous les neuf dans une même pièce. Nous faisons notre courrier. Nous avons touché cinq cigarettes et je vous écris en fumant la deuxième."
Ces exécutions répondaient à un attentat commis à Toulouse le 1er avril 1944 contre un tramway transportant des soldats allemands ayant fait plusieurs morts et blessés.
Jean, Roger Blancheton écrivit de la maison d’arrêt une lettre d’adieux adressée à sa famille. Son corps fut retrouvé dans le charnier de Bordelongue à Toulouse comportant vingt-huit victimes le 8 septembre 1944. Des obsèques nationales furent célébrées en leur honneur.
Du fait de ses liens avec des résistants du Lot-et-Garonne, il fut souvent considéré comme originaire et domicilié dans ce département.
Vu l’éloignement du lieu d’incarcération de Jean, Roger Blancheton, plus de 200 km, son épouse se rendit une seule fois à la maison d’arrêt pour lui apporter des vêtements, toutefois sans être autoriser à le voir. Après la découverte de sa dépouille dans le charnier de Bordelongue, le 9 septembre 1944, le commissariat de police de Toulouse adressa un télégramme au maire de Neuffons "corps de Blancheton Jean probable retrouvé prévenir famille venir reconnaître corps pompes funèbres Toulouse". Avertit, l’épouse de Jean Blanchetone vint pour la reconnaissance du corps et son transfert au cimetière de Neuffons pour y être inhumé le 24 septembre 1944, toute la population de Neuffons se rassembla autour de la famille pour lui rendre un dernier hommage, le maire M. Husson y fit une chaleureuse allocution.
Jean, Roger Blancheton avait 35 ans.
Aucune arrestation n’eut lieu après celle de Jean, Roger Blancheton, il ne divulguera aucun nom malgré les sévices endurés.
Simone Barbot "Blanchette" l’épouse de Jean, Roger Blancheton repris par la suite son activité de résistante comme agent P1 dans le réseau Hilaire Buckmaster états de services homologués du 1er décembre 1943 au 31 août 1944.
Après guerre l’exploitation agricole resta en activité, exploitée par la famille durant quelques années, puis elle fut vendue.
Jean, Roger Blancheton fut reconnu Déporté Interné de la Résistance (DIR) en 1951, membre des Forces françaises combattantes (FFC) et des Forces françaises de l’intérieur (FFI). Il fut reconnu comme agent P2 du 6 novembre 1943 au 8 avril 1944, en qualité de chargé de mission de 3ème classe correspondant au grade de sous-lieutenant.
Une plaque est apposée en son honneur sur la façade de la mairie de Neuffons. Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Neuffons. Il figure aussi, avec vingt-sept autres, sur la stèle érigée à Bordelongue à Toulouse sur les lieux du charnier.
Claude, Pierre le fils de Jean, Roger et Simone Blancheton fut reconnu comme FFI en tant que famille de la Résistance (SHD, Vincennes, site Mémoire des Hommes).

Toulouse le 8 avril 1944.
Ma chérie, mon Pierrot, ma chère mère, mon cher père, ma chère belle-mère, mon cher beau-frère.
Je viens à l’instant de passer en jugement qui ne m’a pas été favorable, je ne connais pas comment ça va finir, mal pour moi je crois, vous ignorez tous pourquoi j’ai été arrêté, enfin la seule chose que je vous dis, j’ai fais mon devoir de français.
Je m’adresse tout d’abord à mon père et à ma mère. Je vous demande pardon du mal souvent que je vous ai fais et celui que je vous fais maintenant, vous aurez quand même après ce mauvais passage vous aurez auprès de vous et après vous le sang de la famille qui restera. Donc je vous recommande mes chers parents, d’avoir beaucoup de courage et plus tard vous serez récompensé je l’espère.
Je vous souhaite une longue vie et vos derniers jours plus heureux, je vous embrasse comme jamais j’ai fais.
Votre fils Roger.
 
Ma tendre et chère épouse.
Pour toi chérie je sais que je te fais par ces mots une peine qui sera longue à supporter, je t’avoue que je ne croyais pas en arriver là pour si peu de chose que j’avais fais, c’est comme souvent dans ma vie la malchance. Comme argent j’avais sur moi à mon arrestation environ 3800 francs que la police allemande d’Agen à gardé, ce que je devais une petite note à Madame Lassus forgeron à La Réole que je n’avais pas payée comme elle ne connaissait pas le montant.
Toi aussi, ma chérie, je te demande pardon pour quelques malentendus que j’ai eu avec toi, mais je te jure n’avoir rien à me reprocher.
Je te supplie, ma chérie de refaire une vie qui te fera oublier un peu ton cher Roger que tu as tant aimé. Je te recommande surtout notre cher Pierrot qui est né de notre sang et qui pour moi va m’aider à finir ma vie, de l’élever honnêtement et en bon français, je te dis aussi, quoique je sais que tu le ferais quand même de prendre bien précautions de la vie de mes parents et de les traiter comme des parents qui ont été bien souvent malheureux. Tu demanderas aussi à ta mère de bien vouloir me pardonner.
 
Et pour toi mon cher petit Pierrot.
C’est ton père qui te parle, ton père qui t’aime tant.
Bientôt tu auras l’âge de raison et tu comprendras pourquoi j’ai disparu de vous tous, la seule chose que je te recommande, d’être digne de ton père qui a fait son devoir envers la France et quand tes études seront terminées, travaille bien la propriété que ton grand-père, ta grand-mère et tes parents ont gagné à la sueur de leur front, rends leurs jours le plus heureux possible.
Je t’embrasse à toi et à ta mère, à mes parents, à ma belle mère, à Léo [son beau-frère], une dernière fois.
Adieu mon cher Pierrot, adieu ma chérie, adieu chère belle-mère et cher Léo. Adieu mes chers parents, le souvenir à mes amis.
Comme testament je demande à ce qu’aucune cérémonie religieuse ne soit faites, que je vais terminer en chrétien.
Je préfère vous dire la vérité : ce soir samedi vers 5 heures je serai passé par les armes à Toulouse.
Adieu.

Toulouse, prison Saint-Michel et charnier de Bordelongue (9 novembre 1943-18 avril 1944)

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article149647, notice BLANCHETON Jean, Roger par André Balent, Jean-Pierre Besse, Serge Tilly, version mise en ligne le 23 octobre 2013, dernière modification le 9 octobre 2021.

Par André Balent, Jean-Pierre Besse, Serge Tilly

Jean, Roger Blancheton.
Collection particulière Annie Chausse Blancheton.
Témoignage de Simone Blancheton.
Témoignage de Simone Blancheton.
Témoignage de Simone Blancheton.
Témoignage de Simone Blancheton.
Plaque apposée sur la façade de la mairie de Neuffons.
Roger étant son 2ème prénom.
A Neuffons, la maison de la famille Blancheton oú fut arrêté Jean, Roger Blancheton.
24 septembre 1944, allocution de Mr Husson maire de Neuffens.
24 septembre 1944, allocution de Mr Husson maire de Neuffens.
Cérémonie commémorative à Bordelongue en Toulouse. Le 10 mai 1980.
Monument des Martyrs de Bardelongue en Toulouse.

SOURCE : DAVCC, Caen, dossier 21P 247062. — Site MemorialGenWeb, consulté en juillet 2017 par André Balent. — État civil. — Notes d’André Balent ; Notes de Serge Tilly. — Archives d’Annie Chausse Blancheton, fille de Claude, Pierre Blancheton et petite fille de Jean, Roger Blancheton. — Site "Mémoire des hommes" consulté par Serge Tilly

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