PEMBER REEVES William

Par Arnaud Page (septembre 2013)

William Pember Reeves, né le 10 février 1857 à Lyttelton, Canterbury, Nouvelle-Zélande ; mort le 15 mai 1932 à Londres, homme politique et intellectuel.

William Pember Reeves en 1925
William Pember Reeves en 1925

William Pember Reeves naquit en 1857 à Lyttelton, ville portuaire à proximité de Christchurch, trois semaines seulement après l’arrivée de ses parents sur le sol néo-zélandais. Son père, William Senior, venait de subir des pertes très importantes en bourse et devint directeur du journal local, le Lyttelton Times. Après ses études secondaires, William Pember Reeves quitta brièvement la Nouvelle-Zélande à l’âge de 17 ans afin d’entreprendre des études de droit à Oxford, mais des problèmes de santé le forcèrent à rentrer en Nouvelle-Zélande. Il fut admis au barreau de Nouvelle-Zélande en 1880, mais abandonna rapidement sa carrière d’avocat pour se consacrer au journalisme. Il écrivait alors principalement dans le Lyttelton Times et y publia notamment, sous le pseudonyme de ’Pharos’, des articles sur l’histoire du collectivisme qui furent rassemblés dans un ouvrage portant le titre Some historical articles on communism and socialism (1890). Il y épousait les thèses des socialistes fabiens, en faveur de la mise en place d’un socialisme étatique modéré et devint l’un des principaux penseurs du parti libéral néo-zélandais lorsque celui-ci fut fondé en 1890.

En 1887, il fut élu député et lorsque les Libéraux accédèrent au pouvoir en 1891, sous la direction de John Ballance, William Pember Reeves fut nommé ministre de l’Education et de la Justice, puis ministre du Travail l’année suivante. Les Libéraux avaient été élus à partir d’un programme de réforme sociale assez ambitieux et Pember Reeves dirigea notamment la mise en place d’une série de lois régulant les conflits sociaux et syndicaux, tels que le Industrial Conciliation and Arbitration Act (1894). Celui-ci permit la création de Conseils de médiation (Boards of Conciliation) et d’une Cour d’arbitrage (Court of Arbitration) et contribua au développement du syndicalisme en Nouvelle-Zélande, les travailleurs étant dans l’obligation de former un syndicat pour présenter des requêtes auprès de cette instance juridique. Pember Reeves mit également en place un système de Factory Acts et un service d’inspecteurs du travail chargés de veiller au respect des lois encadrant le travail salarié. Dans le même temps, il tenta de mettre en place un contrôle très strict de l’immigration, tentant de limiter l’arrivée de migrants asiatiques, ainsi que de toutes les personnes possédant moins de 20 livres, mais le projet échoua. En 1896, on lui offrit le poste d’agent général de la Nouvelle-Zélande au Royaume Uni, qui était sans doute la position politique la plus prestigieuse du pays à cette époque. Il semble qu’une des raisons de son départ ait été sa difficulté à travailler avec les autres membres du gouvernement, pour des raisons personnelles mais également politiques, Pember Reeves étant partisan d’une poursuite de l’effort législatif, tandis que son Premier Ministre pensait que le travail de législation sociale devait marquer une pause.

La tâche de Pember Reeves consistait principalement à promouvoir les intérêts économiques de la Nouvelle-Zélande auprès de la communauté financière britannique. Il rencontra dès son arrivée à Londres la plupart des fabiens et se lia d’amitié avec les Webb, George Bernard Shaw ainsi que H. G. Wells. Il écrivit ainsi un ouvrage pour la Fabian Society, The State and its Functions in New Zealand (1896), dans lequel Pember Reeves présentait la mise en place récente du « socialisme pratique » dans le pays. En 1902, il publia également State Experiments in Australia and New Zealand, qui décrit la mise en place, à partir du début des années 1880, de mesures politiques telles que la réforme électorale, la mise en place de pensions de retraite, mais également de contrôle de l’immigration. Son ouvrage le plus célèbre demeure cependant The Long White Cloud (1898), une histoire de la Nouvelle-Zélande qui fut rééditée à de nombreuses reprises et qui fit autorité sur le sujet pendant plusieurs décennies. Son épouse, Maud Reeves, était également proche des cercles fabiens et socialistes londoniens. Elle était notamment engagée pour le droit de vote des femmes et publia en outre, en 1913, une enquête sociale sur la vie ouvrière, intitulé Round about a pound a week (« Vivre avec une livre par semaine »), conclusion d’un long travail de recherche conduit par le Fabian Women’s Group dans le quartier populaire londonien de Lambeth.

La pensée de Pember Reeves, à l’instar des idées fabiennes de cette époque, associait l’essor d’un programme de législation sociale à un renforcement de la puissance nationale et impériale. Il participa ainsi aux réunions des Coefficients, club de réflexion des Webb consacré à « l’efficacité nationale » (National Efficiency), qui rassemblait fabiens et conservateurs. Cependant, si la pensée de ses homologues britanniques a parfois été qualifiée de « socio-impérialiste », les idées de Pember Reeves s’apparentent sans doute davantage au « socialisme colonial » propre à l’Australie et à la Nouvelle-Zélande, et dont il avait participé à la mise en place au début des années 1890. Sur le plan monétaire, Pember Reeves demeura en outre attaché au libre-échange, et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il fut choisi en 1908 par Sidney Webb pour diriger la London School of Economics. Après sa fondation en 1895, les deux premiers Directeurs de l’école (W. A. S. Hewins et Halford Mackinder) avaient été d’ardents défenseurs du protectionnisme, et Sidney Webb mettait un point d’honneur à ce que l’Ecole ne soit associée à aucun mouvement politique particulier (qu’il fût socialiste ou protectionniste), afin de promouvoir la dimension véritablement scientifique de l’établissement.

Cette période fut marquée par de nombreuses difficultés pour Pember Reeves, sur les plans personnel et professionnel. Quelques mois après sa nomination comme directeur de la LSE, sa fille Amber débuta une relation avec H. G. Wells (alors marié avec sa deuxième femme Jane), et s’enfuit, enceinte, quelques temps en France avec lui. A son retour, elle épousa un autre homme et H. G. Wells utilisa l’événement pour écrire son roman Ann Veronica (1909). Pember Reeves vécut très difficilement cet épisode, qui entraina par ailleurs une certaine prise de distance avec les membres de la Fabian Society. Sur le plan professionnel, il n’avait aucune réelle expérience de la vie académique et sa période à la tête de la LSE est généralement décrite comme un échec. Il s’impliqua considérablement dans les affaires financières de l’école, participant au redressement de son budget, mais il ne fut jamais apprécié des enseignants et ne participa que très peu aux aspects universitaires et intellectuels du développement de l’Ecole. Il semble en outre, au fil des ans, être devenu de plus en plus malade et irritable et se retira progressivement de la vie de l’Ecole à partir de 1914 et Webb le convainquit sans ménagement de démissionner en mai 1919. Sidney Webb assura la Direction de l’École durant quelques mois tout en recherchant activement un successeur à Pember Reeves. Après avoir un temps considéré John Maynard Keynes (qui n’était pas réellement intéressé par le poste), il fut convenu, au printemps 1919, que William Beveridge serait le nouveau directeur de l’École, position que celui-ci occupa à partir d’octobre 1919 jusqu’en 1937.

Après sa démission, Pember Reeves demeura à Londres, où il continua d’exercer les fonctions de Directeur de la banque nationale de Nouvelle-Zélande, position à laquelle il avait été nommé en 1917. Il ne retourna qu’une fois en Nouvelle-Zélande, en 1925. Pember Reeves se consacra durant les dernières années de sa vie principalement à l’entretien des relations entre la Grande-Bretagne et la Grèce. Ardent partisan, depuis la fin du dix-neuvième siècle, de la Grèce dans le conflit qui l’opposait à l’Empire Ottoman, il fut l’un des fondateurs de la ligue anglo-hellène en 1913. Il présida celle-ci jusqu’en 1925, devint ami avec le Premier Ministre grec Eleftherios Venizelos, reçut plusieurs titres honorifiques de ce pays, et son activité politique fut dès lors concentrée autour de la promotion de l’amitié anglo-héllène.

Il mourut à Londres le 15 mai 1932. Son épouse mourut à Hendon dans le Middlesex en 1953.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article149651, notice PEMBER REEVES William par Arnaud Page (septembre 2013), version mise en ligne le 23 octobre 2013, dernière modification le 23 octobre 2013.

Par Arnaud Page (septembre 2013)

William Pember Reeves en 1925
William Pember Reeves en 1925

OEUVRE : Some historical articles on communism and socialism, Christchurch : Lyttelton Times, 1890 : recueil d’articles parus dans le Lyttelton Times, présentant différents versions du socialisme, et favorables à un socialisme étatique modéré et non marxiste.
The State and its Functions in New Zealand, Londres : Fabian Society, 1896 : présentation des mesures sociales récentes prises en Nouvelle-Zélande.
The Long White Cloud, Londres : Horace Marshall, 1898 (réeds. 1899 & 1924) : histoire de la Nouvelle-Zélande.
State Experiments in Australia and New Zealand, 2 vols., Londres : Grant Richards, 1902 : ouvrage consacré à la présentation des mesures sociales prises en Nouvelle-Zélande et en Australie dans les années 1880 et 1890.

SOURCES : Sur William Pember Reeves : Keith Sinclair, William Pember Reeves, New Zealand Fabian, Oxford : Clarendon Press, 1965 ; Ralf Dahrendorf, LSE : A History of the London School of Economics, 1895- 1995, Oxford : Oxford University Press, 1995 ; Keith Sinclair, “Reeves, William Pember”, in Dictionary of New Zealand Biography. Te Ara - the Encyclopedia of New Zealand, vol. 2, 1993, version en ligne, consultée le 22 octobre 2013 ; Tim McKenzie, “William Pember Reeves, 1857 – 1932”, Kōtare, vol. 7, no. 3, 2008, pp. 40–51, version en ligne, consultée le 22 octobre 2013. Sur William Pember Reeves et la Grèce : “Future of Greece : Mr Pember Reeves’s Hobby”, Evening Post, Wellington, 13 décembre 1913, p. 18, version en ligne, consultée le 22 octobre 2013.
Sur la Fabian Society : A.M. McBriar, Fabian Socialism and English Politics, 1884-1918, Londres : Cambridge University Press, 1962 ; Margaret Cole, The Story of Fabian Socialism, Londres : Mercury Books, 1963 ; Eric Hobsbawm, “The Fabians Reconsidered”, pp. 250-71 in Eric Hobsbawm, Labouring Men, Londres : Weidenfeld & Nicolson, 1964 ; Bernard Semmel, Imperialism and Social Reform : English Social-Imperial Thought, 1895-1914, New York : Anchor books, 1968 ; G. R. Searle, The Quest for National Efficiency : A Study in British Politics and Political Thought, 1899-1914, Londres : The Ashfield Press, 1990 (1971) ; Royden Harrison, The Life & Times of Sidney & Beatrice Webb, 1852-1905, Basingstoke : Palgrave, 2001. Voir également, sur la question du « socialisme colonial » australien et néo-zélandais : Peter Beilharz, Socialism and Modernity, Minneapolis : University of Minnesota Press, 2009.

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