DE LUCA Eugenio

Par Philippe Bourrinet

Né le 10 décembre 1896 près d’Udine dans le Frioul  ; maçon italien, communiste « bordiguiste », émigré en Belgique, France et au Luxembourg ; livré par la Gestapo aux autorités fascistes en 1941, emprisonné jusqu’en septembre 1943 ;
partisan dans une « brigade Garibaldi », exécuté sur ordre de chefs staliniens à Socchieve (Frioul) le 14 novembre 1944.

De Luca Eugenio.  Photo anthropométrique de la police fasciste, 1941.
De Luca Eugenio. Photo anthropométrique de la police fasciste, 1941.

Eugenio De Luca, fils de Vittorio De Luca et de Maria Passudetti, naquit à Ampezzo (Udine, Frioul) le 10 décembre 1896. Maçon et communiste, il dut émigrer en Belgique en novembre 1921.
Sa vie fut celle d’un prolétaire changeant constamment de lieu de travail et de pays, allant là où le travail l’appelait dans une Europe du Nord ravagée par la guerre. Il travailla à la fin de l’année 1921 dans le bassin charbonnier de Gilly (Charleroi) comme mineur, un bassin qui connut plusieurs drames (comme celui des mineurs emmurés vivants en 1927). Puis il migra en 1922 à Marchienne-au-Pont (Charleroi – Hennaut) et au Luxembourg, où il travailla comme maçon dans les travaux publics. Il semble être revenu clandestinement en Italie et en être parti définitivement en 1925.

Il adhéra vers 1929-1930 à la Fraction « bordiguiste », formée autour d’Ottorino Perrone* et Virgilio Verdaro*. Celle-ci possédait une section importante à Marchienne-au-Pont, où travaillaient Eugenio De Luca, Bruno Proserpio et d’autres militants ‘bordiguistes’. En 1930, il passa clandestinement en France, travaillant à Châlons-sur-Marne, puis sur la ligne Maginot en construction. En 1931, expulsé de Belgique, sans doute pour participation répétée à des grèves, il s’établit au Luxembourg, à Esch-sur-Alzette et Dudelange, où il travailla comme maçon. Puis il s’installa de nouveau en Belgique, vers 1932, à Forchies-la-Marche (Hainaut). En 1935 et 1936, la police fasciste, qui le « traçait » depuis 1928, nota sa présence à Bruxelles dans les réunions de la Fraction « bordiguiste », en présence de Virgilio Verdaro* et Ottorino Perrone*.
Arrêté en janvier 1941 à Charleroi par la Gestapo, il est livré aux autorités italiennes. Interrogé, il déclara (pour cacher son véritable engagement politique) qu’il était « anarchiste » : « Je ne reconnais aucun parti, aucun régime ni aucune loi d’Etat, mes convictions sont anarchistes ».
Le 27 mai 1941 la Commission provinciale fasciste d’Udine décidait sa déportation pour cinq ans à l’île de Ventotene (Campanie), puis il fut libéré en août ou septembre 1943 après la chute de Mussolini. Retourné à Ampezzo, De Luca voulut s’engager dans le mouvement partisan, et constitua même au début de 1944 le Comité de Libération (CLN) local, qui tomba sous le contrôle des staliniens enrôlés dans la Brigade Garibaldi du Frioul. Ceux-ci décidèrent qu’il était un « élément nocif et désagrégateur », parce que – comme en témoigna sa compagne – « il n’admettait pas que se commettent certaines actions, qu’il y ait des exécutions sommaires sans aucun procès régulier ».
Le 14 novembre 1944, il était enlevé à son domicile par des partisans de la Brigade Garibaldi et forcé de monter dans une camionnette. Il fut exécuté peu après sur une route boisée près de Fontanafredda di Socchieve. Pour des raisons mystérieuses, la fiche de la police fasciste nota qu’il était mort le 28 juillet 1944.
La découverte de ses restes dans un trou à l’intérieur d’un bois à la fin de la guerre entraîna l’ouverture d’une enquête criminelle pour déterminer qui étaient les véritables responsables de l’assassinat.

En novembre 1950, un procès d’assises s’ouvrit à Udine, pour juger trois partisans accusés d’avoir assassiné Eugenio De Luca, pourtant défini par le quotidien Il Messagiero Veneto comme « un vieil élément antifasciste, émigré en France et en Belgique », connu pour son « rejet des méthodes violentes ».
Ce procès tardif d’après-guerre levait un voile sur les « crimes dans les maquis » – dont avaient été victimes ailleurs (en France par exemple) Pietro Tresso* et trois autres trotskystes fusillés le 27 octobre 1943 par des staliniens italiens et français, après leur évasion d’une prison vichyste.

L’enquête et un coup de théâtre au procès révélèrent qu’un « tribunal populaire » garibaldien avait décidé de liquider De Luca. Ce « tribunal » était dirigé par Mario Foschiani (1912-1945), dit « Guerra ». Ce dernier était un stalinien réfugié en France en 1933, puis – semble-t-il – en URSS en 1934, ancien brigadiste en Espagne, interné en France et en Italie. En 1944, il était devenu « commissaire politique » de la Division Garibaldi « Carnia » au Frioul et ne pouvait plus « témoigner » : capturé par des Cosaques il fut fusillé le 4 avril 1945. Les trois ou plutôt les deux exécutants – Amilio Colussi, dit « Bois » suivait dans une voiture ; Angelo Cucito, dit « Tredici », et Piero Liva, dit « Inglè » utilisèrent des mitraillettes – avaient « exécuté les ordres ».

Suite à ce procès le PCInt, dans son organe Battaglia comunista, exprima sa douleur immense « d’avoir perdu pour toujours un lutteur comme De Luca que les internationalistes à l’extérieur connurent dans leurs rangs, ferme et tenace sur les positions de la Fraction de gauche, menant une lutte acharnée contre les centristes d’alors, les actuels traîtres du national-communisme ».
Le PCInt d’Onorato Damen*, dénonçant la « farce du procès d’Udine », lançait « un cri d’alarme afin que ne se répète plus jamais le fait que des militants comme Eugenio De Luca, certainement portés par une irrésistible volonté d’action et aveuglés dans leur capacité critique, se précipitent à la suite de millions de prolétaires dans le guet-apens tendu par l’ennemi de classe et tombent sous les balles et sur le terrain de l’ennemi. Que dans un dernier souffle de rébellion, ils ne coupent pas le fil de leur vie précieuse et que soit ainsi simultanément frappée l’idée qui est à la base de la victoire de classe : le parti ».

En août 2013, un site néofasciste, portant le nom très transparent d’inilossum (Mussolini en verlan) (http://www.inilossum.it/) a eu l’impudence de comptabiliser Eugenio De Luca parmi les « victimes du communisme » et donc de feue la République sociale italienne (RSI).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article149697, notice DE LUCA Eugenio par Philippe Bourrinet, version mise en ligne le 26 octobre 2013, dernière modification le 11 décembre 2020.

Par Philippe Bourrinet

De Luca Eugenio. Photo anthropométrique de la police fasciste, 1941.
De Luca Eugenio. Photo anthropométrique de la police fasciste, 1941.

SOURCES : ACS CPC busta 1709 (Eugenio De Luca). – ACS CPC 2133 (Mario Foschiani). – « Era stato un antifascista per la pelle eppur lo stesso è stato ucciso. Colpo di scena alle Assise con improvvisa incriminazione di uno dei principali testi », Messaggero Veneto, 24 nov. 1950. – « Il monito che sale dalla tragica fine di un militante », Battaglia comunista n° 24, 15-30 déc. 1950. – Giannino Angeli et Natalino Candotti, Carnia Libera. La repubblica partigiana del Friuli (estate-autunno 1944), Udine, Del Bianco, 1971. – Pierre Broué, Raymond Vacheron et Alain Dugrand, Meurtres au maquis, Bernard Grasset, Paris, 1997. – Maurizio Antonioli, Giampietro Berti, Santi Fedele, Pasquale Iuso (éd.), Dizionario biografico degli anarchici italiani, BFS Edizioni, Pisa, 2003, vol. I, p. 516. – Roberto Gremmo, « Il comunista internazionalista Eugenio De Luca ucciso dai partigiani a Fontanafredda di Socchieve », in Storia Ribelle n° 34, Biella, hiver 2012/2013, p. 3256-3263.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
fiches auteur-e-s
Version imprimable