AKOUN André [AKOUN Prosper, André]

Par René Gallissot

Né le 27 mai 1929 à Oran (Algérie), mort le 12 mars 2010 à Paris XIIIe arr.) ; professeur de philosophie à Paris puis universitaire enseignant la sociologie politique à Paris ; militant du groupe communiste de langue auprès de l’AEMAN et membre de l’UEAP face à l’UGEMA ; quitte le PC, poursuit son action dans le sillage de M. Harbi*.

À la fin de 1941, le jeune André Akoun fut exclu de la classe de 6e du lycée d’Oran où il avait eu accès grâce à son succès au concours des bourses, par application des lois raciales du gouvernement français de Vichy en Algérie ; le décret Crémieux de 1870 qui avait fait citoyens français, les Juifs d’Algérie, avait été aboli dès 1940. On ne vit pas en Algérie d’uniforme allemand, mais la guerre absente portait la revanche des colons sur le Front populaire de 1936 et le Congrès musulman à une frénétique exaltation militaire française grevée de racisme colonial. Après avoir été recueilli par le cours Benichou ouvert par les familles juives, André Akoun réintégra la classe de 4e du lycée Lamoricière, en octobre 1943 – bien après le débarquement allié de novembre 1942. Ainsi sa famille s’était vue renvoyée à ses « origines juives indigènes ». Les parents parlaient arabe ; la grand-mère paternelle ne parlait que « le juif », pour dire le judéo-arabe d’Afrique du Nord. Certes la mère, aînée de six enfants, qui gérait la famille, respectait des pratiques culinaires et le repos du samedi. Pour les enfants, la religion s’arrêtait à deux fêtes : Kippour et la Pâque juive, et à la « communion juive » qu’accomplit l’enfant André Akoun. Le père et ses frères étaient socialistes SFIO et ils étaient « éperdument français ».

En 1944, à quinze ans, André Akoun entra aux Éclaireurs israélites de France dans la troupe Oran 5 qui se distinguai, dit-il, par sa désinvolture à l’égard de la pratique religieuse. Cependant ses camarades étaient exclusivement de familles juives : Assouline, Bouaziz, Ouazzana, Askénazi, Rebouah, Touati, Stora, Benguigui, Darmon, Fédida, Charbit, Benichou, Lévy ; l’ordre était celui du souvenir. « Car si la ville était grande, poursuit-il, les réseaux de chaque communauté en faisaient un ensemble de villages non circonscrits territorialement mais étroitement liés communautairement. » Il avait pour chef de troupe « Boa », Paul Bouaziz*, plus tard avocat communiste, qui devient l’exemple ; bachelier en 1947, il le suivit, quittant Oran pour s’inscrire à la faculté de droit d’Alger et militer au PCA. Pensant faire philo, il s’inscrivit aussi en propédeutique de lettres (où enseignait André Mandouze*), découvrit l’économie politique avec Peyrega et plus encore s’adonna à la lecture de Sartre. Il habitait une chambre étroite, rue de la Lyre au pied de la Casbah, et se voua au militantisme entre camarades au quartier des Facultés.

En 1949, le déclassement économique transporta la famille à Paris. Son père, qui avait un atelier d’ébéniste avec deux ouvriers à Oran, ne pouvait plus guère subvenir aux charges familiales de trois enfants ; il abandonna l’Algérie pour la France. Il se reconvertit en gérant de café dans un quartier de Boulogne-Billancourt que fréquentaient des ouvriers de l’usine Renault. Pas pour très longtemps, car en difficulté, il travailla lui-même sur la chaîne comme OS chez Renault. Un des frères d’André Akoun devint magasinier chez Renault, un plus jeune fut vendeur dans un magasin de tissus à Pigalle ; il se réclamait de l’anarchisme. Lui redevint « étudiant communiste », à la Sorbonne maintenant, militant au Quartier latin. Inscrit en droit, ouvert à la philosophie, il suivit aussi les cours de psychologie où il fit la connaissance de Claude Deroche qu’il épousa. Chez les Deroche – le père ingénieur des Ponts et Chaussées était un responsable communiste à l’aéroport d’Orly – on était communiste de famille et attentif aux destinées algériennes.
André Akoun fit partie de la cellule communiste étudiante de philosophie aux débats très vifs et rétive au contrôle de la Fédération du Paris. Il milita plus encore au Groupe communiste de langue des étudiants d’Afrique du Nord, car les groupes de langue étaient partagés suivant les régions du domaine colonial. L’objectif était d’accéder à la direction de l’AEMAN. Les étudiants communistes devaient faire alliance avec les étudiants des partis nationalistes, pour l’Algérie, du MTLD, de l’UDMA et en sous-main des adeptes des Oulémas, et plus encore contrecarrer les coopérations nouées avec les étudiants trotskystes. Le Groupe de langue était emmené par un trio marxiste formé de Aziz Ben Miloud*, Mohamed Harbi* qui n’était pas au PC, et Ahmed Inal* qui venait du PCA ; André Akoun se joignit à eux. En même temps, sous directive communiste il fut associé avec l’étudiant communiste marocain qui appartenait à l’importante famille berbère du Moyen Atlas, Ababou, à la direction et rédaction du mensuel : L’étudiant anticolonialiste.

Ces étudiants communistes poussaient à la constitution de l’Union des étudiants algériens de Paris (UEAP) dans un projet de former une UGEA abandonnant la référence musulmane donnée par le M d’UGEMA comme d’AEMAN, sur le modèle de l’Union des étudiants tunisiens (UGET) décalquant le sigle de l’UGTT. Cette tentative ne fut pas suivie, ni par le PCF qui freinait en pensant d’abord à l’UNEF, ni par les étudiants communistes d’Alger qui, comme le PCA, jouaient l’appellation compensatoire de musulman. Pour imposer l’appellation d’UGEMA, Belaïd Abdesslam s’appuiya à la fois sur les partisans de l’UDMA, des Oulémas, les messalistes avant de rallier la Fédération de France du FLN ; Redha Malek défendit la formulation UGEMA en arguant que le M renvoyait non à la religion mais à la culture musulmane.
Le groupe étudiant et tout particulièrement Ahmed Inal*, ce Tlemcénien qui monta au maquis et mourut sous les coups des militaires français, étaient foncièrement attachés à l’idéal d’une Algérie algérienne qui faisait disparaître la frontière entre Juifs et Musulmans et identifiait par l’adhésion volontaire à la citoyenneté-nationalité algérienne sans discrimination d’origine. Plus qu’une équivoque, pour André Akoun, c’était une division interne qui apparaissait, « qui faisait qu’il se sentait comme un accueilli plutôt qu’un membre naturel, que ce soit avec les Français de France ou avec les Algériens non-communistes ».
Déjà critique des orientations et des méthodes du PCF, le groupe de langue et la cellule de philosophie se trouvèrent en porte à faux au lendemain du 1er novembre 1954 en prenant fait et cause pour la lutte algérienne et le FLN. Pour contribuer au soutien, André Akoun rendit sa carte du PCF ; il assista très vite M. Harbi* dans l’aide logistique : hébergements, transports. Il put poursuivre cette activité alors qu’il effectuait son service militaire de juin 1956 à juin 1958 parce qu’il se trouva affecté à l’hôpital du Val de Grâce à Paris. En 1957, au moment de la naissance de la première fille du couple, le père d’André Akoun fut tué au travail aux usines Renault ; un moteur de la chaîne lui avait heurté la tête. Toujours en liaison avec M. Harbi abrité en RFA, il poursuivit sa contribution à l’action du FLN ; il participa à la grève des examens tout en jugeant le mot d’ordre stupide, collaborait avec Michel Raptis* (Pablo) aux transferts d’argent vers l’Allemagne. En 1958, le service de publication de la Fédération de France du FLN (FLN Documents no 1) publia avec retard, le texte élaboré en commun avec M. Harbi : Le PCF et la Révolution algérienne qui donnait une leçon de marxisme-léninisme aux communistes qui, dans leur conception de la nation, faisaient fi de la ligne de partage colonial.

Cette collaboration intellectuelle fondée sur une profonde amitié se poursuivitt après l’indépendance, en contribuant à Révolution africaine quand M. Harbi en était le directeur. Le code de la nationalité en 1963 entérina le renvoi au statut musulman fixé par la colonisation à travers l’origine familiale ; il n’y avait plus, sauf exceptions rares, d’« Européens » et de « Juifs » devenant Algériens. L’Algérie s’était éloignée, même si M. Harbi revint vivre en exil à Paris après avoir échappé à l’internement sous Boumédienne. André Akoun à Paris, devint professeur de philosophie, assistant, maître-assistant, enfin professeur de sociologie (Sorbonne redéfinie).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article149980, notice AKOUN André [AKOUN Prosper, André] par René Gallissot, version mise en ligne le 2 novembre 2013, dernière modification le 23 décembre 2021.

Par René Gallissot

SOURCES : M. Harbi, Une vie debout. Mémoires politiques. Tome 1 : 1945-1962. La Découverte, Paris 2001. — A. Akoun, Né à Oran. Autobiographie en troisième personne. Bouchène, Saint-Denis 2004. — Échanges de correspondance.

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