BAUSSART Élie, Jules, Ghislain.

Par Jean Neuville

Couillet (aujourd’hui commune de Charleroi, pr. Hainaut, arr. Charleroi), 16 décembre 1887 − Loverval (aujourd’hui commune de Gerpinnes, pr. Hainaut, arr. Charleroi), 30 décembre 1965. Employé puis enseignant, écrivain, militant démocrate-chrétien, militant wallon, militant syndical, collaborateur à La Vie nouvelle.

Cadet d’une famille de cinq enfants dont le père est forgeron, Élie Baussart fait ses humanités, à partir de septembre 1899, au Collège des Jésuites à Charleroi (pr. Hainaut, arr. Charleroi) où il subit l’influence des Pères Renaud et Torf ainsi que de Jules Sottiaux. Il quitte le Collège le 2 août 1904 et travaille comme employé de bureau dans diverses maisons d’import-export. Il parfait sa formation intellectuelle tout en exerçant ce métier qui ne l’emballe pas. Il étudie notamment des cours à la Faculté de philosophie et lettres de l’Université catholique de Louvain, approfondit sa connaissance de l’anglais, de l’allemand, du néerlandais, et étudie le latin. En janvier 1909, il obtient une place de professeur au Collège des Jésuites où il enseigne le français et l’histoire. Le 4 septembre 1912, Élie Baussart épouse Valentine Castelain (Roubaix (département du Nord, France), 10 août 1892 - 1941). Profondément religieuse, cette dernière laisse un journal spirituel que Baussart découvre après son décès et qui le marque au point de l’aider à surmonter la douleur de la séparation. Il publie sa biographie sous le pseudonyme de V. Duchâteau : De la souffrance à l’amour.

D’une culture très vaste, Élie Baussart ne reste étranger à aucun des aspects de l’humanité. Catholique fervent, dès avant d’être professeur au collège de Charleroi, il publie une revue d’avant-garde qui ne vivra que de juillet à décembre 1907, L’annonciateur. En octobre 1910, il lance, avec quelques amis, Le catholique qu’il dirige jusqu’en février 1912 et qui tiendra jusqu’à la guerre de 1914. On y trouve des signatures significatives : Léon Bloy, François Mauriac, Bruno Destrée, etc. Un des articles de Baussart lui vaut des violentes attaques d’Umberto Benigni, prélat romain intégriste.

Au cours de l’entre-deux-guerres, c’est dans La Terre wallonne, dont le premier numéro paraît en octobre 1919, que Élie Baussart va exprimer sa vision catholique en s’efforçant de « tout juger avec ce sens chrétien qu’entretient et développe le catholicisme pensé et vécu ».
Après la Libération, en 1945, Élie Baussart crée une Union de charité, ensuite une Fraternité Charles de Foucault. Il collabore à l’hebdomadaire, Forces nouvelles, expression de la tendance de gauche chez les catholiques. C’est là qu’il publie, toujours en 1945, Catholique, mon frère ..., une brochure dans laquelle il définit notamment sa conception de la charité : « Amour du prochain, non pas d’un prochain vague, indéterminé, purement verbal, mais d’un prochain concret, immédiat, d’un nous-même proche qui, parce qu’il partage notre sort, nous fait un devoir de partager le sien, que nous finissons par sentir comme le nôtre, si notre amour est autre chose que mots ou illusions faciles d’une âme satisfaite. » Cette brochure est suivie de deux autres : Le chrétien est missionnaire et Les causes de déchristianisation de la classe ouvrière. Il participe aux sessions de L’Église en marche à Charleroi, s’intéresse à l’œcuménisme. Il est en rapport avec le monastère de Chevetogne (commune de Ciney, pr. Namur, arr. Dinant) et les moines de Taizé (département de Saône-et-Loire, France). Il fonde un cercle œcuménique à Charleroi.
En 1946, Élie Baussart fonde un cercle culturel Humanisme et histoire où Emmanuel Mounier prendra parole. Il participe au groupe Esprit, fondé par ce dernier, et collabore à la revue de Mounier.

La Terre wallonne n’est pas seulement une tribune d’où Élie Baussart veut secouer les catholiques qui ont trahi le message évangélique, mais aussi l’endroit où il mène le combat pour le régionalisme wallon. Dans un premier temps, la revue est axée sur des chroniques religieuses, artistiques et régionalistes. Avec la crise et la montée des fascismes, Baussart l’oriente en 1929-1930, dans une direction plus économique et sociale et donne une part importante aux problèmes de la paix. Avant la publication de cette revue, Baussart avait déjà publié, à partir de mai 1910, La Wallonie française mais qui ne compte que quelques numéros. En 1913, paraît à Paris son premier ouvrage, La révolution belge de 1830 et l’Europe. Après la guerre, deux autres ouvrages sont le fruit de son souci régionaliste : Charleroi et son bassin industriel en 1926 et Le pays de Charleroi en 1928.

En 1920, Élie Baussart est entré à l’Assemblée wallonne, créée en 1912 par Jules Destrée*, et, en 1937, il publie Cinq Lettres à un wallon sur la question linguistique qui provoquent certains remous parce que démystifiant un anti-flamingantisme borné. En 1945, il est membre du Conseil consultatif central du mouvement Rénovation wallonne et restera ultérieurement membre de son comité de patronage.

Son option pour le pacifisme, Élie Baussart ne la traduit pas seulement dans La Terre wallonne où l’on trouve des signatures comme celles du dominicain Franziscus Stratmann de l’Association des catholiques allemands pour la paix, d’Alfredo Mendizabal, président du Comité espagnol pour la paix civile, etc. Mais il est présent dans nombre d’initiatives pacifistes. En 1932, Baussart collabore activement à faire revivre la Ligue belge pour la paix. Il participe au Mouvement international pour la réconciliation, au Mouvement chrétien de la paix créé en 1952. Il est membre du Conseil belge du Mouvement international pour la paix. Il assure, à partir de 1954, la chronique de la vie internationale dans la revue Route de paix. En 1956, il assiste au Congrès pour la paix et la civilisation chrétienne à Florence (G. La Pira).

Militant catholique, militant wallon, militant pacifiste, Élie Baussart est aussi militant démocrate dans les domaines économique, politique et social. À l’âge de vingt ans, il est attiré par le mouvement à la tête duquel se trouvent les frères Adolf et Pieter Daens*. Il correspond avec les daensistes flamands et participe à la collecte des fonds en vue d’élever un monument à l’abbé Daens. Mais c’est surtout avec le groupe daensiste liégeois que Élie Baussart est en rapport, groupe qui s’intitule Démocrates-chrétiens indépendants. Il collabore à leur mensuel, L’avant-garde. C’est là qu’en novembre 1907, Baussart publie, sous le pseudonyme « La charité », un long article intitulé De l’indépendance de la démocratie chrétienne et qui est une prise de position en faveur de l’autonomie politique des démocrates-chrétiens, autonomie refusée par les conservateurs catholiques. Si, écrit Élie Baussart, « il est prouvé que la démocratie chrétienne, pour accomplir toute « l’œuvre » que l’on est en droit d’attendre d’elle, doit être libre dans toutes les décisions et dans tous ses actes et n’avoir à en rendre compte qu’à elle-même, tous ces démocrates inféodés aux conservateurs dominant et par le nombre et par l’influence, dans le Parti catholique, tous ces démocrates, disons-nous, ne sont-ils pas des impuissants, des imposteurs, nous oserions même dire des prostitués ? »

À la veille de la Première Guerre mondiale, Élie Baussart se tourne plutôt vers le syndicalisme car les idées des daensistes lui apparaissent manquer de vigueur et d’arêtes. Il est en rapport avec Victor Pary*, premier secrétaire de la Confédération des syndicats chrétiens et libres des provinces wallonnes, avec Paul Crokaert* qui, à Bruxelles, s’est lancé dans le syndicalisme chrétien et publie L’Action démocratique à laquelle il collabore. Baussart organise une « journée syndicale » à Charleroi en janvier 1914. S’y traduit sa tendance anarcho-syndicaliste à laquelle semble l’avoir mené des déceptions essuyées du côté daensiste et du côté démocrate-chrétien.

Les préférences de Élie Baussart vont aux syndicats libres liégeois qui se sont constitués à côté des chrétiens, protégés par l’évêque de Liège, Monseigneur Rutten. C’est ce type de syndicat « déconfessionnalisé » qu’il tente de mettre sur pied pour les employés en 1914. Le Syndicat des employés et voyageurs du bassin de Charleroi naît le 25 juillet 1914 et Baussart en est le président. Ce sont vraisemblablement ses options syndicales qui font échouer sa candidature à la rédaction du Démocrate, quotidien publié par la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) à partir de juin 1919, candidature soutenue par Léon Christophe*, secrétaire du Syndicat national des employés et employées de Belgique.

Après 1914, Élie Baussart, qui réprouve les tendances anticléricales des socialistes, milite dans les syndicats chrétiens dont il adopte l’orientation apolitique. La création de la Ligue des travailleurs chrétiens de l’arrondissement de Charleroi, en 1922, par Louis Bolle et Jean Bodart, va présenter pour Baussart un terrain d’activité correspondant aux aspirations de ses vingt ans. Il collabore à La Vie nouvelle, l’hebdomadaire de la Ligue, où il assume la chronique de vie internationale. Il y anime les cercles d’études et assume la responsabilité de la Commission de l’éducation populaire pour laquelle la Ligue nationale des travailleurs chrétiens (LNTC) crée une centrale en décembre 1930.

Lorsqu’en juin 1933, la Ligue et les syndicats chrétiens de Charleroi concluent un cartel temporaire avec les syndicats socialistes pour lutter contre la politique déflationniste du gouvernement catholique-libéral, Élie Baussart défend Jean Bodart contre le blâme qui lui est infligé par la LNTC. Lorsque le 17 juillet 1933, Jean Bodart démissionne de son mandat de député pour ne pas voter les pouvoirs spéciaux, Élie Baussart lance l’idée de la création d’un Fonds Bodart pour alimenter les œuvres de formation de la Ligue.

La Cité nouvelle est publiée à partir de janvier 1937. Élie Baussart y assure la chronique internationale ainsi qu’une page hebdomadaire Loisirs. La scission que provoque Jean Bodart en quittant La Cité nouvelle pour lancer La Justice sociale est durement ressentie par Baussart, mais il reste fidèlement attaché au mouvement ouvrier chrétien tout en acceptant les critiques qui sont faites à celui-ci : « Fétichisme de l’organisation au détriment du mouvement - dictature de l’avenue de la Renaissance (siège de la LNTC) où dominent primaires et flamingants - abus de la bureaucratie et substitution des permanents au contact avec la masse - peu de confiance dans le sens démocratique des travailleurs chrétiens flamands menacés de racisme ». Sa position est d’amender le mouvement de l’intérieur et non le combattre de l’extérieur.

Après la Seconde Guerre mondiale, Élie Baussart participe à l’éphémère expérience de l’Union démocratique belge (UDB). Lorsque celle-ci constitue un comité provisoire à son Congrès des 16 et 17 juin 1945, Baussart en fait partie, avec Barrie* et Jean Bodart, pour le Hainaut. Il en est de nouveau membre en février 1946 lors de la reconstitution du Comité national. Que reste-t-il de l’idéal de jeunesse de Élie Baussart : une démocratie chrétienne indépendante ? Il n’en voit plus guère la possibilité après un demi-siècle de participation au mouvement ouvrier chrétien. Aussi écrit-il en 1954, une étude intitulée Adieu à la démocratie chrétienne ?. C’est une analyse lucide de la démocratie chrétienne dans les pays occidentaux, qui « est la fille et reste l’héritière du monde bien-pensant auquel elle est trop liée et subordonnée pour qu’elle se comporte autrement. »

Tout son effort, Élie Baussart va alors le concentrer sur la culture ouvrière. Il aide efficacement un de ses amis à mettre sur pied à Charleroi une école de formation pour délégués d’entreprise d’abord et un Institut de culture ouvrière ensuite. À partir de 1950 et pendant sept ans, il assure à Radio-Hainaut des chroniques de culture ouvrière.

Élie Baussart décède à Loverval (pr. Hainaut, arr. Charleroi) en décembre 1965, où il vit en compagnie de Suzanne Sottiaux qu’il a épousée en secondes noces. Toute sa vie, il est resté inflexiblement fidèle à ses options démocrates. Quelques années avant son décès, il avait écrit : « Frère corps, c’est une chose merveilleuse de mourir ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article150050, notice BAUSSART Élie, Jules, Ghislain. par Jean Neuville, version mise en ligne le 4 novembre 2013, dernière modification le 1er janvier 2020.

Par Jean Neuville

ŒUVRE :
- E. Baussart a une plume d’une fécondité remarquable et a utilisé un grand nombre de pseudonymes dont La Charité, Z., Deloncle, Pierre Dom Lazare, Valentin Duchâteau, V.C., Le provincial, Jacques Henault, Fil, Henri Forgeur, P.J. Bosseau, Sambricus, Vieux démos, Le Tisbite, Frère mouche, Le voisin. On peut y ajouter trois pseudonymes dont l’identification est moins certaine : Walla, Le Menil, Thomas Goth.
- Elie Baussart a collaboré, régulièrement ou occasionnellement, à de nombreux périodiques : La Vie nouvelle, La Cité nouvelle, L’Aube, Le Soir, Le Face à main, Témoignage chrétien (édition belge), L’Équipe populaire, Le Démocrate (de Marc Sangnier), L’action démocratique, Le Pays wallon, Relations (Montréal), La Vie intellectuelle, Au travail, L’Escholier, La Cité, Église et chrétienté, Construire, Évangéliser, Revue de Saint-Boniface, Les Dossiers de l’action sociale catholique, Forces nouvelles, Esprit, Route de paix, Jeunesse nouvelle, Temps présent, La Revue nouvelle, La Nouvelle revue wallonne, L’Avant-garde, Politique (Paris), Clartés syndicales, La Cité chrétienne, Le Rappel, La Revue catholique des idées et des faits.
- Principaux ouvrages et les articles significatifs pour le sens démocratique d’Elie Baussart : La révolution belge de 1830 et l’Europe, Paris, 1913 – Charleroi et son bassin industriel, Charleroi, 1925 – « Est-ce vraiment notre Église catholique que Maurras admire ? », dans Ch. Maurras, maître de la Jeunesse catholique ?, Liège, 1925 – Le pays de Charleroi. Monographie industrielle, artistique, littéraire et pittoresque (en collaboration avec M. Cambier), Gembloux, 1928 – Lettre à un wallon sur la question linguistique, Charleroi, 1931 – Essai d’initiation à la révolution anticapitaliste, Gembloux, 1938 – Catholique mon frère, Liège, 1945 – De la souffrance à l’amour, (V. Duchâteau), Tournai-Paris, 1945 – Le chrétien est missionnaire (en collaboration avec E. Natalis), Liège, 1956 – Les causes de la déchristianisation de la classe ouvrière, Liège, 1958.
- Articles publiés dans :
-  Les Dossiers de l’action sociale catholique : « Rentrée de la France », novembre-décembre 1944, p. 321 – « Forces et faiblesses du PSC », mai 1947, p. 317 – « La communauté régionale », octobre 1947, p. 543 – « Présentation du christianisme social », février 1948, p. 94 – « La révolution de 1848 et les catholiques », avril 1948, p. 281 – « Vers une nouvelle Chine », mai 1949, p. 318 – « Le socialisme en Angleterre », février 1950, p. 101 – « Quelques causes de la déchristianisation ouvrière », mars 1950, p. 145 – « Mounier et les problèmes sociaux de notre temps », avril 1950, p. 252 – « Marc Sangnier et le Sillon », juin-juillet 1950, p. 393 – « Un ouvrier parle de son travail », août-septembre 1951, p. 472.
-  La Revue nouvelle : « Un apôtre social : Fernand Tonnet », octobre 1947, p. 387 – « La vocation et la mission des prêtres ouvriers », mai 1953, p. 523 – « La civilisation de l’argent », décembre 1956, p. 382 – « Nul ne peut servir deux maîtres », avril 1959, p. 337 – « « Journal d’une mission ouvrière » de Jacques Loeuw », août-septembre 1959, p. 235.
-  La Cité chrétienne : « L’ouvrier sous le régime capitaliste », 20 décembre 1937, p. 116.
-  Esprit : « Responsabilités des démocrates-chrétiens », n° spécial La pause des fascismes est terminée, décembre 1947, p. 914.
-  L’Avant-garde (Liège) : « De l’indépendance de la démocratie chrétienne », novembre 1907, p.1.
-  La Vie intellectuelle : « À propos d’une « Histoire de la démocratie chrétienne » », avril 1956, p.41.

SOURCES : « E. Baussart, directeur de la « Terre wallonne » », Le bloc wallon, 16 juin 1926 – QUÉRIAT J., « Élie Baussart, 1887-1965 », Contacts, février 1966 – BAL F., La « Terre wallonne » catholique et régionaliste (1919-1929), Mémoire de licence en philologie romane UCL, Louvain, 1972 – BAL W., La faillite de 1830 ? Élie Baussart et le mouvement régionaliste, Bruxelles, 1973 – NEUVILLE J., Adieu à la démocratie chrétienne ? Élie Baussart et le mouvement ouvrier, Bruxelles, 1973 – BAL W., « Les débuts littéraires d’Élie Baussart », dans Études de littérature française de Belgique offertes à Joseph Hanse, Bruxelles 1978 – BAL W., « Baussart Élie », dans Biographie nationale, t. 39, suppléments t. 11, Bruxelles, 1976, p. 94-103 – LIBON M., Élie Baussart (1887-1965). L’identité wallonne et le mouvement wallon, Thèse de doctorat en histoire UCL, Louvain, 1986.

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