ARNOULD Victor.

Par Paul Aron

Maastricht (pr. Limbourg, Belgique, aujourd’hui Pays-Bas), 7 novembre 1838 – Schaerbeek (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 17 janvier 1894. Avocat et journaliste, député de la Jeune gauche de juin 1882 à juin 1884.

Fils de Joseph Auguste Arnould, bijoutier, et de Cunégonde Crets, et époux de Marie Vanaisse, Victor Arnould opte, dès sa majorité, pour la nationalité belge, grâce au statut particulier de Maestricht (la ville et sa région, catholiques, ont participé à la révolution belge et ne redeviennent hollandaises qu’en vertu du 2e traité de Londres (1831) et de sa ratification par les Pays-Bas en 1839). Après ses études secondaires (en néerlandais) à l’athénée de sa ville natale, Arnould entre en 1855 à l’Université de Liège. Il y fonde puis y préside l’Association générale des étudiants qui rassemble la majorité de ses condisciples. C’est en cette qualité qu’il participe au célèbre Congrès international des étudiants en 1865.

En 1862, voici Victor Arnould docteur en droit. Il monte à Bruxelles pour y effectuer son stage. Mais, médiocre orateur, il préfère le journalisme au Barreau et devient rédacteur au Précurseur, important quotidien libéral, à Anvers (Antwerpen, pr. et arr. Anvers), au moment où ce dernier se rallie au parti du Meetingpartij (parti du meeting). Il y reste de 1863 à 1868. Parallèlement, en tant que président du comité des Volksvoordrachten (conférences populaires), il collabore à Het Werkmansregt (Le droit de l’ouvrier), hebdomadaire libéral progressiste, qui paraît de 1862 à 1866. Même s’il rédige principalement la chronique des affaires étrangères, Victor Arnould commence à s’intéresser à la politique nationale. Les conférences populaires anversoises sont suivies par un public nombreux et on y tient des propos démocratiques. Aussi Arnould se trouve-t-il en désaccord de plus en plus net avec un journal qui s’aligne sur la politique de Frère-Orban, en soutenant l’érection des fortifications d’Anvers. Il démissionne le 20 janvier 1868 en compagnie de Victor Lynen et s’en retourne dans la capitale, non sans avoir tenu un meeting d’opposition à la politique doctrinaire, lors de l’inauguration de la statue de Léopold Ier le 2 août 1868.

À Bruxelles, Victor Arnould entre à la rédaction de La Liberté et, avec Hector Denis et Guillaume De Greef, il imprime une direction socialisante à cet ancien organe libéral-progressiste d’Edmond Picard*, de Charles Graux et de Xavier Olin. L’hebdomadaire devient le porte-parole d’un socialisme inspiré par Proudhon et par Auguste Comte. Partisan d’un fédéralisme généralisé, et défenseur de la « représentation des intérêts », Arnould s’oppose aux options plus nettement collectivistes de César de Paepe* après le Congrès de l’Internationale de Bâle en 1869. De 1870 à 1873, il est rédacteur en chef de La Liberté (socialiste) qui paraît de 1868 à 1873. Pendant quelques mois, en 1871, ce journal sort quotidiennement de presse afin de protester énergiquement contre la répression qui s’abat sur les Communards. Victor Arnould fréquente des réfugiés français au café des Mille Colonnes et défend ardemment leurs droits. Comme les autres membres de la rédaction, il subit les frais de ce journal qui, sans ressources publicitaires, ne paye jamais ses collaborateurs.

Lorsque grandit l’influence de l’Association internationale des travailleurs (AIT), Victor Arnould s’engage plus avant dans le combat démocratique. Nous le retrouvons dans les meetings que l’AIT organise dans tout le pays. Il parle à Liège (pr. et arr. Liège), en février 1869, avec Eugène Hins, à Verviers (pr. Liège, arr. Verviers) quelques mois plus tard, puis à Anvers, dans le cadre du Volksverbond (ligue populaire), et à Bruxelles. Il participe aux réunions de la section bruxelloise de l’AIT, et, parfois, les préside. Par ailleurs, en tant qu’avocat, il assiste inlassablement les militants arrêtés pour « activisme » ou délit de presse. Avec Eugène Robert, il défend L’Espiègle de Odilon Delimal* en septembre 1868. Quelques jours après, le voici qui plaide à Mons, puis plus tard à Verviers, en août 1870.

Ce rôle d’avocat progressiste, Victor Arnould l’assume encore, avec Paul Janson, en juin 1886 lors du procès intenté à Edouard Anseele. Mais après cette période glorieuse, dont tous les acteurs aimeront rappeler le souvenir, le mouvement ouvrier tend à se réorganiser sur d’autres bases. À l’ère d’une AIT de plus en plus divisée, succèdent, depuis 1875, des noyaux d’organisations ouvrières qui perdent le contact avec le milieu des avocats proudhoniens.

Victor Arnould se consacre principalement aux procès d’affaire et à des publications, moins dépendants de l’actualité politique : sa Philosophie du libéralisme (Bruxelles, 1877), le Centenaire de Voltaire (Bruxelles, 1879) et, surtout, son ambitieux Tableau d’une histoire sociale de l’Église dont la revue, La philosophie positive, de Littré publie, en 1880, la première partie, et qui demeure inachevé.

Durant les dernières années du gouvernement Frère-Orban au début des années 1880, la plupart des « radicaux » investissent les associations libérales. Le mouvement ouvrier, peu structuré et situé en marge du combat politique, ne paraît plus leur offrir un terrain de lutte suffisamment porteur d’espérances. Les membres de la Jeune gauche se tournent vers l’action parlementaire. Lors d’une élection partielle en 1882 à Bruxelles, Victor Arnould rejoint ses amis Janson et Robert à la Chambre. Ses interventions portent sur des sujets variés : elles relayent, au départ de questions ponctuelles, les grandes aspirations du libéralisme le plus « avancé ». Durant une brève session de 1882 à 1883, Arnould plaide en faveur de la suppression du livret de travail, soutient l’enseignement du flamand, propose un système de nation armée qui reposerait sur une organisation analogue à celle de la garde civique. Cette dernière réforme lui tient particulièrement à cœur, en raison sans doute de son expérience d’anversois confronté aux dépenses et aux sacrifices consentis pour la transformation de la ville en place forte. Enfin, de cette tribune parlementaire, Victor Arnould soutient les efforts de l’extrême-gauche en faveur de la révision de l’article 47 de la Constitution. Efforts vains, comme on le sait, mais qui contribueront à faire éclater au grand jour les divisions du parti libéral et accéléreront la prise de conscience autonomiste de la gauche au lendemain de la défaite de Frère-Orban en 1884.

À cette date, le journal La Réforme, fondé par Émile Féron*, devient « l’arme de combat » (voir DE PAEPE J.-L.) de la progressiste Association libérale de Bruxelles. Victor Arnould y rédige longtemps le bulletin politique (souvent consacré aux affaires étrangères). S’il collabore à La Réforme jusqu’à son dernier souffle, Arnould entre par ailleurs à la rédaction de La Nation, autre organe progressiste qui succède au vieux journal libéral, L’Écho du Parlement. Dès 1888, il en assume la direction politique et rédige presque chaque jour de longs commentaires sur l’évolution des idées et la situation politique belge. Toutefois, en dépit des efforts de Arnould et de l’administrateur Alfred Waechter, La Nation périclite progressivement. Aux dires de Gustave Vanzype qui y a fait ses premières armes, elle n’est bientôt plus qu’un « journal sans lecteurs » (VANZYPE G., Au temps du silence, Bruxelles, 1939, p. 60). Pour l’essentiel, La Nation et La Réforme poursuivent les mêmes objectifs. Ces journaux mènent campagne pour la démocratisation du droit de vote et leurs rédacteurs sont invités aux « conférences révisionnistes » que la Maison du peuple de Bruxelles organise au début de l’année 1891.

À cette communauté de vues sur la nécessité d’une réforme et aux souvenirs des combats antérieurs, se ramènent les relations que Victor Arnould entretient avec le Parti ouvrier belge (POB), fondé en 1885. Quelques polémiques amicales les séparent (voir par exemple La Nation du 2 mars 1891) mais le journal du parti ouvrier, Le Peuple, tient à rendre un vibrant hommage posthume à l’avocat-journaliste. Dans le milieu radical, Arnould se distingue par la campagne qu’il mène en faveur de l’entreprise coloniale. Il soutient, dans les colonnes de son journal, l’octroi d’un prêt de la Belgique à l’État indépendant. Léopold II lui témoignera publiquement l’intérêt qu’il prend à ce soutien inattendu.

Homme politique, journaliste, Victor Arnould est aussi franc-maçon et libre penseur militant. Ancien président du sous-comité d’Anvers, il devient président de la Libre pensée de Bruxelles, une première fois de 1875 à 1878. Il conserve une place au comité jusqu’en 1882. Il est réélu président en 1887 et le reste jusqu’en 1890. Il figure parmi les organisateurs du grand Congrès rationaliste qui se tient à Bruxelles en août 1880. Cette activité n’est pas étrangère à son engagement politique. Conscient que la Belgique s’apprête à devenir le « champ clos de cette lutte suprême des classes », il craint, par-dessus tout, la tendance « de tendre la main au socialisme collectiviste, au nom du communisme chrétien. Si de pareilles forces parvenaient à se rencontrer et à s’entendre, c’en serait fait du libéralisme et même de la liberté dans notre pays (...). La bourgeoisie libérale peut seule sauver la civilisation moderne si elle sait s’unir au peuple ouvrier et lui assurer la part sociale qui lui revient. » (L’évolution sociale en Belgique, Bruxelles, 1886, p. 176).

Socialiste, puis libéral, propagandiste de l’AIT, puis député de la Jeune gauche, Victor Arnould modifie-t-il sa réflexion politique au gré de ses engagements ? Il est souvent malaisé d’évaluer ses opinions, car, en dépit d’une écriture soignée, ses articles politiques sont rarement précis et fondés théoriquement. Ses interpellations parlementaires de même, quoique documentées, sont profuses et peu rigoureuses. Arnould semble néanmoins tenir fermement à quelques grands principes qui expliquent et justifient ses interventions politiques. Il adhère à un socialisme libéral et libre penseur, largement inspiré de Saint-Simon, d’Auguste Comte et de Pierre-Joseph Proudhon. Sa conception de l’organisme social repose sur l’interaction de trois forces : le capital, le travail et la science, dont la collaboration harmonieuse est la base du progrès. Mais, dans les réalités quotidiennes, l’impunité dont bénéficie un capital international et exploiteur contraste avec la dépendance du travail et de la science. Les objectifs politiques de Victor Arnould s’efforcent en conséquence de rétablir – ou d’établir – l’équilibre des forces. Ils le conduisent à s’opposer aux contraintes limitant le pouvoir du capital et à lutter en faveur des forces dominées par un facteur trop exclusif. De cette vision de forces inter-agissantes procèdent des prises de position apparemment contradictoires. Il célèbre les vertus de l’« Œuvre coloniale » (Bruxelles, 1891) de Léopold II. Contempteur de l’exploitation, il s’indigne de la misère du prolétariat belge, soutient hardiment les tentatives de révision du système électoral, s’oppose au mode de conscription en vigueur. Il critique ainsi les tentatives fallacieuses de « moralisation de l’ouvrier » : « le but que la bourgeoisie se propose dans ses rêveries progressives serait d’élever le niveau du peuple tout en le tenant asservi, et d’agrandir le cercle de la civilisation tout en respectant les intérêts établis. » (La question militaire, Anvers, s.d., p. 25). Mais, par ailleurs, il se demande « comment rendre à notre bourgeoisie l’alliance et la sympathie du peuple, sans lesquelles elle dépérit ; comment lui rendre une philosophie, sans laquelle elle étouffe, faite d’air et d’horizon ? » (Philosophie du libéralisme, Bruxelles, 1877, p. 6)
Concrètement, Victor Arnould trouve dans un fédéralisme de type proudhonien une traduction institutionnelle de l’équilibre des forces. Il se fait le défenseur le plus ardent d’une réforme électorale orientée vers la représentation des intérêts dans une assemblée réunissant les mandataires des secteurs professionnels apparentés aux trois forces. Notons d’ailleurs qu’en son nom personnel, un Louis Bertrand se dira favorable à ce projet qui, dans l’esprit de son auteur, devait défaire les blocages politiques belges. L’œuvre politique de Arnould ambitionne ainsi avec opiniâtreté de réunir libéralisme et socialisme ou, comme il l’affirme dans une conférence, de réconcilier Voltaire et Rousseau : « Avec le libéralisme, Voltaire a triomphé, mais aujourd’hui qu’il est au pouvoir, qu’il tende la main à Rousseau, qui est resté en bas et qui, quoique un peu sombre, quoique un peu aigri par des souffrances imméritées, acceptera la main qui lui sera tendue loyalement. » (Le centenaire de Voltaire, Bruxelles, 1879, p. 19).

Représentant désintéressé et idéaliste d’un certain « radicalisme », Victor Arnould meurt en 1894, l’année même où les victoires électorales du POB offrent à ses amis politiques une large prébende parlementaire. La revue, L’Art moderne, qu’il a contribué à fonder, lui rend un hommage mérité en affirmant qu’il « gémina en sa personnalité superbe et tragique ces deux dons qui font les gloires inoubliables : le Génie et l’Infortune. » (L’Art moderne, 21 janvier 1894).

Victor Arnould figure dans L’hydre du socialisme en Belgique, caricature parue dans La Bombe du 21 juin 1879.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article150443, notice ARNOULD Victor. par Paul Aron, version mise en ligne le 22 novembre 2013, dernière modification le 28 juin 2021.

Par Paul Aron

- ŒUVRE PRINCIPALE : Philosophie du libéralisme, Bruxelles, 1887 – La réforme électorale à la Chambre, Bruxelles, 1883 – L’évolution sociale en Belgique, Bruxelles, 1886 – Le programme radical, Bruxelles, 1886 – Le drame social (poème), Bruxelles, 1885.
- PRINCIPALES COLLABORATIONS : L’Art moderne, 1881 et sq. – La Fédération boraine, 1869 – La Liberté, 1868-1873 – La Nation, 1888-1895 – La philosophie positive, 1880-1882 – Le Précurseur, 1863-1868 – La Réforme, 1884-1893 – La revue de Belgique, 1884 – La Revue moderne, 1883 – La Société nouvelle, 1885-1889, 1894-1896.

SOURCES : Annales parlementaires, 1882-1883 – La réforme électorale, le projet Arnould et consorts et la représentation des intérêts, Bruxelles, 1883 – Les hommes du jour, n° 7, 1883 (icono) – Nécrologies, dans L’Art moderne, 21 janvier 1894 et Le peuple, 18 janvier 1894 – GUILLAUME J., L’Internationale. Documents et souvenirs, 1863-1878, Paris, 1905-1910 – BERTRAND L., Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830, t. 2, Bruxelles, 1907 – « L’hydre du socialisme en 1879 », dans BERTRAND L., Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830, t. 2, Bruxelles, 1907, p. 301 – Liber memorialis des fêtes du cinquantenaire de la fondation de la Libre pensée de Bruxelles, 1863-1913, Bruxelles, 1913 – VANZYPE G., Au temps du silence, Bruxelles, 1939 – VANZYPE G., « Arnould Victor », dans Biographie nationale, vol. XXX, col. 83-84, Bruxelles, 1959 – COOSEMANS M., « Arnould Victor », dans Biographie coloniale belge, vol. III, col. 22-23, s.d. – VAN ISACKER, K., De internationale te Antwerpen, Antwerpen, 1964 – DE BROGER H., Bijdrage tot de geschiedenis van de Antwerpse pers. Repertorium 1794-1914, Paris-Leuven, 1968 (Cahiers du Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine, 49) – DE PAEPE J.-L., La Réforme, organe de la démocratie libérale, 1884-1904, Louvain-Paris, 1972 (Cahiers du Centre Interuniversitaire d’histoire contemporaine), 64 – Entre Marx et Bakounine : César De Paepe, correspondance présentée par B. Dandois, Paris, 1974 – BARTIER J., Odilon Delimal, un journaliste franc-tireur au temps de la Première Internationale, Bruxelles, 1983.

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