ANSEELE Edouard (Edwardus, Edward, Eduard). [Belgique]

Par Guy Vanschoenbeek

Gand (Gent, pr. Flandre orientale, arr. Gand), 26 juillet 1856 − Gand, 18 février 1938. Employé, typographe puis journaliste, traducteur et romancier, fondateur du Vlaamse socialistische arbeiderspartij (Parti ouvrier socialiste flamand), premier secrétaire du Parti socialiste belge, fondateur, gérant puis président de la société coopérative Vooruit (En avant), fondateur du journal Vooruit, cofondateur du Parti ouvrier belge, fondateur et administrateur de la Banque belge du travail, conseiller communal, échevin et bourgmestre faisant fonction (1918) de Gand, député de l’arrondissement de Liège, puis de Gand, ministre et ministre d’état, fils de Jan Anseele et frère d’Alfons Anseele.

Edwardus-Camillus (Edouard) Anseele est le fils du cordonnier, Jan Anseele, et de Rosalie Washer, piqueuse de bottines (sa famille est originaire d’Angleterre). Le père, Jan, artisan, semble avoir respiré quelques idées républicaines de gauche dans la France mouvementée de février 1848. À Gand, il est partisan du courant libéral. Il a aussi de la sympathie pour le mouvement ouvrier qui commence à croître en 1857. Issu d’une famille ouvrière qui compte sept enfants, le jeune Edouard fréquente l’Athénée jusqu’à dix-sept ans. Il devient porteur de télégrammes, puis employé, d’abord chez un négociant de denrées coloniales, plus tard chez un fabricant de meubles. Il est finalement clerc de notaire. Son horizon politique et culturel s’étend plus loin que celui d’employé.

Le 21 septembre 1874, Edouard Anseele est présent à un meeting du petit groupe des Internationalistes gantois, ainsi que Edmond Van Beveren*, Pol De Witte* et Pol Verbauwen*. Ému par l’orateur, le tisserand Verbauwen, il devient membre du groupe et décide d’apprendre la typographie, métier utile pour la propagande. Très vite, il devient secrétaire de la section, correspondant et vendeur du journal, De Werker (Le travailleur), et orateur lors de meetings, cela sous l’impulsion de Edmond Van Beveren* et d’autres militants ouvriers qui voient dans le semi-intellectuel Anseele, une figure de proue pour le mouvement qui, après la création de la coopérative, De Vrije bakkers (Les boulangers libres), en 1874 et la réconciliation des sociétés de tisserands rivales en 1876, a de nouveau le vent en poupe.

Edouard Anseele et les militants gantois sont à la base du Vlaamse socialistische arbeiderspartij (VSAP - Parti ouvrier socialiste flamand) fondé en 1877. Alors âgé d’à peine vingt-et-un ans, il rédige le programme du parti, inspiré du programme social-démocrate allemand, le Programme de Gotha. Lutte pour la représentation parlementaire grâce au suffrage universel, mise sur pied de sociétés coopératives, autrement dit, pain et droit de vote, deviennent dès lors les principaux thèmes de sa propagande politique. En 1879, le VSAP est inclus dans le Parti socialiste belge dont Anseele devient premier secrétaire.

Plus importante pour l’essor du mouvement social démocrate est la scission d’une minorité des Vrije bakkers qui, en 1881, sous la direction d’Edouard Anseele et d’Edmond Van Beveren*, forme la société coopérative Vooruit (En Avant). En 1886, le Vooruit obtient un statut légal. Anseele en est le gérant et le président. Au fil des années, c’est un véritable empire coopératif qui croît à partir du Vooruit. Le chiffre d’affaires de la boulangerie, qui fonctionne à l’échelle industrielle, grandit d’année en année, et le nombre d’épiceries également. La société fonde des filiales partout en Flandre, achète ou construit des salles de fêtes et des maisons du peuple. Elle lance plusieurs coopératives de production : imprimeries populaires, cigariers, dockers, De Bouwerklieden (Les ouvriers du bâtiment) en 1900, De Vereenigde wevers (Les tisserands réunis) en 1904. La société Vooruit devient l’infrastructure économique sur laquelle croissent les mutualités socialistes gantoises, les syndicats, les cercles politiques et culturels.

Gérant de la coopérative, Edouard Anseele est aussi actif sur le plan littéraire et sur celui de la propagande. Après avoir traduit le roman d’Eugène Sue, Les mystères du peuple, il écrit, en 1881, Voor het volk geofferd (Sacrifié pour le peuple), un roman sur la vie d’Emiel (Émile) Moyson*. 1882 voit la publication de De omwenteling van 1830, historische roman (La révolution de 1830, roman historique). Anseele fournit également la première traduction flamande du célèbre Germinal d’Émile Zola. À l’occasion d’une élection pour le Conseil de prud’hommes, il lance, en août 1884, le journal Vooruit où il se charge personnellement de la rédaction durant une longue période.

C’est également en 1884 que Edouard Anseele se présente pour la première fois aux élections communales de Gand mais, à cause du droit de vote limité, il n’est pas élu. Cofondateur du Parti ouvrier belge (POB) en avril 1885, il défend en vain le droit, pour le parti ouvrier, de manifester publiquement ses sentiments socialistes. Au sein du POB, son étoile politique commence à monter irrésistiblement, notamment lorsqu’à la suite d’un discours pendant les émeutes de mars-avril 1886, il est condamné à six mois de prison « pour avoir, avec mauvaise foi et en public, poussé à la désobéissance à la loi ». Anseele avait demandé à ses partisans gantois d’écrire des lettres à leurs connaissances à l’armée afin « de les supplier de ne pas tirer sur les ouvriers ». Cette condamnation et la peine qui s’ensuit l’entourent de l’auréole du martyr, qui échoit aussi au dirigeant socialiste borain, Alfred Defuisseaux*. Ils sont pourtant aux antipodes. Defuisseaux est partisan de la « grève noire » semi-sauvage en faveur du suffrage universel tandis que Anseele plaide pour la coopération, « grenier à blé » d’une grève générale bien préparée et disciplinée. En attendant, Anseele continue à poser sa candidature aux élections communales de 1887 et de 1890 et aux élections provinciales de 1892.

La percée politique vient après 1893, date de l’instauration du suffrage universel à vote plural. Présenté par les socialistes liégeois, Edouard Anseele est élu en 1894 à la Chambre. Il devient à ce moment le premier et unique député flamand socialiste même s’il représente l’arrondissement de Liège. De 1900 à 1936, grâce à le représentation proportionnelle, il est désormais député de l’arrondissement de Gand.
Fin 1895, Edouard Anseele est élu conseiller communal à Gand. Il dirige la fraction relativement la plus forte (cartel radical-socialiste) du conseil communal. Parlementaire, il devient rapidement l’un des ténors du groupe socialiste de la Chambre. Quelques discours, notamment ses attaques sévères contre les barons du textile gantois qu’il qualifie de bande de « Cartouche et compagnie », sont célèbres. C’est grâce à ses discours parlementaires et ses meetings qu’on lui attribue le qualificatif de « Tribun populaire ».

La majorité des interventions d’Edouard Anseele à la Chambre des représentants s’inspire de la problématique sociale en action. Il faut également signaler son point de vue sur le mouvement flamand : à la Chambre, il soutient diverses propositions flamandes, bien qu’un flamingantisme rabique lui fût étranger, les oppositions sociales prenant le pas sur les rivalités linguistiques. Il faut préciser qu’en 1898, il devient membre de la Société flamande pour la vulgarisation de la langue française. Sa considération pour la langue française − Anseele est un admirateur de Molière − mais aussi le sentiment que la connaissance de la langue française offre à l’ouvrier une promotion et des possibilités d’émigration l’amènent à cette position. Il ne faut pas oublier qu’en ces temps de crise, les travailleurs du textile de Gand doivent émigrer vers le Nord de la France, à Lille ou à Roubaix.
À tort, du côté du mouvement traditionnel flamand, on lui appose l’étiquette de « Biefstukkensocialist » (socialiste du beefsteak). La lutte pour l’élévation sociale des travailleurs, entre autres, par l’extension de l’enseignement populaire, occupe la première place dans ses efforts pour l’amélioration de la condition ouvrière.

La position ambiguë d’Edouard Anseele vis-à-vis du mouvement flamand provient de la réalisation d’une politique communale pragmatique à Gand. Non seulement les socialistes gantois forment un cartel avec les progressistes ou radicaux-libéraux en majorité francophones, mais en 1911, après la formation d’un cartel avec l’Association libérale gantoise, un collège des échevins est mis en place avec les représentants de la bourgeoisie libérale francophone. Cette participation socialiste au pouvoir fut d’ailleurs précédée par un collège catholico-socialiste, entre 1909 et 1911, le premier de ce type en Flandre.
Edouard Anseele, premier échevin de Gand de 1909 à 1918, de 1922 à 1928 et de 1932 à 1933, a, dans ses attributions, les finances, les entreprises communales et les ports, ce qui lui permet de jeter les bases de régies communales florissantes, devenues par la suite, un thème traditionnel du socialisme gantois.

Pendant la Première Guerre mondiale, après la déportation du bourgmestre libéral, Émile Braun, en 1916, Edouard Anseele devient la figure politique la plus importante de Gand. Il refuse la collaboration du collège des échevins activistes, formé en 1918 par le bourgmestre allemand Künzer. À l’Armistice, il est bourgmestre suppléant et reçoit, dans cette fonction, le couple princier et les « jass » victorieux à Gand. La tradition veut que Anseele, pendant les journées mouvementées de novembre 1918, dans un entretien personnel avec le roi Albert, ait insisté sur les revendications du POB : suffrage universel, reconnaissance des syndicats, instauration de la journée des huit heures.

Le fait est qu’Edouard Anseele fait son entrée, avec Émile Vandervelde* et Joseph Wauters*, le 21 novembre 1918, dans le Gouvernement d’union nationale, dirigé par Léon Delacroix. Il devient alors le premier ministre socialiste flamand. Il a en charge les travaux publics, poste important en cette période de reconstruction. Il exerce ce mandat dans le Gouvernement d’union nationale mené par Henri Carton de Wiart, jusqu’au 24 octobre 1921, période à laquelle « l’incident de La Louvière » met un terme à la participation socialiste au gouvernement. Pour rappel : cet incident a pour origine, la présence d’Edouard Anseele à une manifestation d’anciens combattants, ce qui déclenche une réaction des nationalistes et, au bout du compte, la démission collective des ministres socialistes du gouvernement.

Après la victoire électorale historique du POB lors des législatives de 1925, l’ancien porteur de télégrammes devient ministre des Chemins de fer, des Postes, Télégraphes et Téléphones (PTT) et de l’Aéronautique, d’abord dans le cabinet catholique-socialiste de Prosper Poullet, puis dans le premier Gouvernement Jaspar du 20 mai 1926 au 21 novembre 1927. Pendant son deuxième mandat ministériel, il s’occupe, entre autres, de la reconnaissance des syndicats dans les services publics, son département étant le principal employeur dans le cadre de l’État. C’est également sous son mandat qu’un premier pas est fait pour la téléphonie automatique.

Comme reconnaissance pour ses mérites politiques, Edouard Anseele est nommé ministre d’État le 8 avril 1930.

À côté de la carrière politique locale et nationale d’Edouard Anseele, c’est surtout son œuvre de promoteur de coopératives qui est importante. En 1904, sous son impulsion, naît, à partir de la société coopérative Vooruit, la société coopérative, De Vereenigde wevers (Les tisserands réunis), la première coopérative de production dans un secteur industriel non artisanal. En 1910, il obtient la transformation de cette coopérative en société anonyme, Vereenigde weverijen en spinnerijen (Tissages et filatures réunis). Trois ans plus tard, est fondée à Gand la Banque belge du travail, également une société anonyme, qui devient rapidement la tête d’un petit empire socialiste financier et industriel. La banque étend sa branche textile verticalement et horizontalement : les usines de tissage de coton se ramifient en filatures et même en plantations (la compagnie de Ruzizi au Congo belge). On y travaille aussi le lin. Plus tard le groupe joue un rôle innovateur dans la fabrication de la soie artificielle. Bien que l’industrie textile soit sa principale préoccupation, la banque est également propriétaire ou participe au secteur de la construction, de la construction métallique et de la construction de machines ainsi qu’à celui de la pêche en mer avec De Roode vloot (La flotte rouge). Dans les années 1920, quelque 5.000 ouvriers et ouvrières travaillent directement pour le groupe de la Banque du travail.

C’est ainsi que l’ancien employé Anseele devient un « Captain of industry », un manager socialiste. La « dégénérescence capitaliste » du système coopératif n’est pas acceptée avec reconnaissance par tous au POB, certainement pas lorsque la banque verse dans l’aventure coloniale ou prête de l’argent à la Bulgarie, une dictature militaire. Mais tant que la situation financière reste bonne, la critique reste minoritaire et des fonds investis affluent des coopératives, syndicats et mutualités même des villes et communes où le POB exerce ses fonctions. Lors de la crise économique, en 1931, les premières difficultés internes apparaissent : la banque a investi à long terme trop de dépôts à court terme et, de plus, trop unilatéralement dans ses industries, principalement textiles. En mars 1934, la banque ne peut plus satisfaire ses engagements et ferme ses guichets. Il faut demander l’appui de l’État. La Banque du travail est finalement placée sous gestion contrôlée. Cette chute signifie la fin de la carrière politique d’Edouard Anseele, alors âgé de presque quatre-vingt ans. Il se défend énergiquement devant une commission d’enquête du POB durant laquelle il menace de se justifier publiquement lors d’un congrès, si on le force à donner sa démission de parlementaire. Un gentleman agreement intervient. Il ne sera pas candidat aux élections législatives de 1936. Jamais le POB ne le blâmera ouvertement. La commission d’enquête ne peut d’ailleurs accuser Anseele de tripotage ou fraude personnelle, seule l’imprudente « politique de grandeur » de la banque lui est reprochée.

Ces événements n’entament que très peu la popularité d’Edouard Anseele auprès de la classe ouvrière à Gand. En février 1938, un immense hommage lui est rendu lors de son enterrement. Même la fraction communiste du conseil communal rend hommage au « plus grand dirigeant ouvrier de Flandre ». Immédiatement, des listes de souscription sont ouvertes pour ériger un monument qui sera inauguré en 1948. Autour de sa personne légendaire naît un véritable culte populaire. Pour les socialistes âgés, le poème de Marcel Coole est toujours vivant : « Dans les jours pénibles, votre esprit occupe toujours la première place ».

Signalons que Edouard Anseele épouse le 14 août 1895 la tailleuse, Marie De Coster (1872-1923). Ils ont deux enfants : une fille, Marie (1898-1985), et un fils, Edouard (1902-1981) qui suivra la voie politique de son père. Son frère, Alfons Anseele, est également un militant socialiste. Après la mort de son épouse, en 1923, Edouard Anseele va habiter chez la veuve de son ami et collaborateur, Jules Vanderweghe, le premier directeur de la société coopérative De Vereenigde wevers.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article150555, notice ANSEELE Edouard (Edwardus, Edward, Eduard). [Belgique] par Guy Vanschoenbeek, version mise en ligne le 25 novembre 2013, dernière modification le 4 avril 2024.

Par Guy Vanschoenbeek

ŒUVRE : Voor ’t volk geofferd, 1881 − De omwenteling van 1830, historische roman, 1882 − De algemeene werkstaking, 1888 − De ware vijand van werkman en kleinen burger, 1890 − De samenwerking en het socialisme, 1902 − Vooruit en de Vlaamsche Beweging, 1913.

SOURCES : Il n’existe pas d’archives Edouard Anseele sensu-stricto à l’AMSAB à Gand. Plusieurs fonds d’archives (Fonds Gand-Eeklo, Fonds Wauters) possèdent d’importantes données − BERTRAND L., Edouard Anseele. Sa vie - Son œuvre, Bruxelles, 1925 − KENIS P., Het leven van Edward Anseele, Gent, 1930 − BRACKE A., « Proeve van bibliographie van en over Eduard Anseele », Socialistische Standpunten, t. III, 1956, p. 134-139 − DELSINNE L., « Anseele Eduard », dans Biographie nationale, t. XXX, supplément II, Bruxelles, 1959, p. 57-64 − VAN HAEGENDOREN M., Anseele Eduard, dans Encyclopedie van de vlaamse beweging, I, Tilt, 1973, p. 101-102 − Vader Anseele, biodrame écrit par Freek Neirynck, Bruxelles, 1986, diffusé le 1er mai 1986 par la BRT (Leo Magitsfonds).

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable