GERSON Alfred dit Fredo, de son vrai nom SEPCELEVITIUS [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 21 juillet 1928 à Paris, fils d’émigré communiste juif de Lituanie, jeune communiste de Paris XVIIIe, chargé par le PCF de la propagande auprès des soldats et du périodique Soldat de France ; en Algérie de septembre 1955 à novembre 1956 publie dix-sept numéros d’une feuille de La Voix du soldat en direction du contingent français ; arrêté en mars 1957, expulsé en décembre 1958 ; membre de la Fédération de Paris du PCF (1966-1977) ; responsable dans l’administration de l’Humanité et la gestion de la presse du PCF.

« Ce camarade français débarqué de Paris pour nous aider au temps de La Voix du soldat », c’est ainsi qu’André Moine*, secrétaire du PCA, qualifie Alfred Gerson, en évoquant cet effort de diffusion de presse et de tracts auprès du contingent français mobilisé dans la guerre en Algérie en 1955-1957. « Nous » veut dire le PCA, tout en reconnaissant l’initiative du PCF par-delà les contacts pris avec Larbi Bouhali et A. Moine lui-même, Lucien Feix* opérant comme intermédiaire.

Né à Paris où son père tenait une petite boutique de coiffeur dans le 18e arrondissement, Alfred Gerson se nomme en fait Sepcelevitius. Dans ses souvenirs d’emprisonné à Barberousse (Serkadji), le « logeur » des communistes clandestins à Alger, Christian Buono* évoque le nom, évidemment tiré de l’état civil, de son camarade de prison, imprononçable à l’appel du courrier : Sepcelevitius, en ajoutant « d’origine balte ». Familièrement, il est appelé du diminutif Fredo par ses camarades.

Le nom du père, émigré donc à Paris, fait penser aux patronymes juifs latinisés de Lituanie, zone de résidence de l’empire russe. Les parents sont naturalisés en 1930 et le père se fait appeler Gerson. Le garçon travaille d’abord comme ouvrier coiffeur au salon de son père. Dès août 1945, il est membre de l’UJRF (faisant office de Jeunesses communistes), se syndique à la CGT et en 1946 adhère au PCF. Il suit une école de section puis de la fédération du PCF en 1948 et entre au comité de la section du 18e arrondissement.

Après son service militaire effectué dans l’infanterie entre fin 1948 et fin 1949 en région parisienne, fait caporal, il travaille à Paris dans la chaussure puis dans la confection avant de faire un apprentissage d’ouvrier métallurgiste (fraiseur P3). Surtout il se dévoue au parti comme responsable de l’UJRF du 18e arrondissement, chargé de la propagande en direction des soldats. Ses premières actions sont menées en visant la caserne de Clignancourt.

C’est alors que le jeune Alfred est choisi par les responsables du PCF, autour de Jacques Duclos, pour s’occuper de la propagande du parti dans l’armée. Héritier de l’ancienne « agit-prop » de l’Internationale communiste à l’adresse des soldats, dont les actes de gloire sont les tracts et journaux, quelques-uns en arabe, appelant à la fraternisation au temps de l’occupation de la Ruhr (1923-1924) puis dans la guerre du Rif et de Syrie (1925-1926), un bureau du PCF a en charge la propagande auprès des casernes et de l’armée française.

« Le Parti m’a demandé de m’occuper de l’armée, essentiellement à cause de la guerre d’Indochine » rappelle Alfred Gerson. Ce travail au sein de l’armée est en fait très extérieur ; il consiste principalement dans l’édition occasionnelle de journaux : Secteur postal, Marins de France, Le Parachutiste, et avec plus de régularité : Soldat de France, dont la diffusion est très aléatoire, soit en partie par distribution, soit jetée par-dessus les murs des casernes. C’est au début des années 1950 qui sont les années de guerre froide et de dénonciation de la guerre d’Indochine, qu’Alfred Gerson est, à Paris, chargé de l’appareil de diffusion de Soldat de France, stockage, transport, réseau de points de chute, repérage des militants communistes faisant leur service. C’est pour ce même travail qu’en juin 1955, le Parti lui demande d’aller en Algérie, d’autant que séparé de sa femme, il est redevenu célibataire.

Il arrive à Alger le 20 juillet 1955 ; le PCA est interdit en septembre. Alors que les communistes sont depuis longtemps surveillés et recherchés, les arrestations se multiplient. La mission de propagande à l’armée passe à la clandestinité du PCA. Sur l’Algérie, Alfred Gerson tient pour l’essentiel ses informations des leçons et instructions lors de ses rencontres à Paris avec Léon Feix*, responsable de l’Afrique du Nord. Le PCA désigne pour le seconder, Lucien Hanoun*, contacté par André Moine*. C’est ce militant, français juif communiste de culture et de langue exclusivement française, comme il le dit lui-même, qui est le rédacteur des textes de tracts et des dix-sept numéros de La Voix du soldat. Membre du bureau de la Fédération d’Alger du PCA, il a été responsable de la diffusion de l’hebdomadaire du PCA, Liberté.

C’est de cache en cache, le même secrétariat et ronéotage clandestin qui fabriquent la presse du PCA, les tracts et ce journal sur deux feuillets que devient La Voix du soldat. Alfred Gerson, qui habite au centre d’Alger face à l’amirauté, chez une logeuse ouvertement Algérie française, a pour couverture de travailler incognito comme fraiseur dans une usine Blachette d’Hussein-Dey, près d’Alger ; il assure l’intendance et la circulation dans le réseau sans cesse à recomposer, des noyaux de militants et de membres clandestins du PCA.

Le journal renonce à transporter le titre patriotique du communisme français : Soldat de France. Tandis qu’en France, le PCF ne se joint qu’épisodiquement aux mouvements des appelés et rappelés et se refuse sauf cas d’exception, à préconiser l’insoumission, La Voix du soldat ne s’adresse cependant qu’aux soldats français, au contingent, à ceux qui sont nommés « fils du peuple de France » sur le mot d’ordre de paix en Algérie, jamais aux soldats que l’on désigne encore de Nord-Africains, à la part coloniale importante de cette armée, pas même aux enrôlés algériens qui font nombre eux aussi. C’est le contraire de l’ancienne propagande communiste de fraternisation et, toute récente, des actions ponctuelles en Indochine qui concernaient les soldats colonisés, venant entre autres d’Algérie ; mais ces efforts relevaient le plus souvent du PC indochinois.

« Nous nous réunissions tous les trois, dit Alfred Gerson, en parlant d’André Moine* et de Lucien Hanoun *, une fois par mois à Alger, mais jamais au même endroit ». Il ajoute « Je venais de temps en temps en France, discuter avec la direction du parti français ». Le premier numéro sort en septembre 1955, le dernier en novembre 1956 ; le tirage inégal selon les numéros fut au grand maximum d’un millier, distribué dans les trains, quelquefois entré dans les casernes à Alger et à Blida, à quelques dizaines d’exemplaires, pour une armée de plusieurs centaines de milliers de soldats, alors que les services de l’armée française installés dans les locaux qui étaient ceux d’Alger Républicain, submergeaient les soldats et les lieux publics du journal Le Bled. Mais les bureaux de surveillance militaire et le général Massu lui-même voyaient rouge devant la double page du journal saisi.

Lucien Hanoun* est arrêté en novembre 1956 et la publication s’arrête. Alfred Gerson tient en clandestinité jusqu’en mars 1957. C’est alors que commence l’instruction du procès de La Voix du soldat. Arrêté, il est conduit à la villa Sésini, le centre de tortures, puis emprisonné à Barberousse et Maison-Carrée (El Harrach) avant de connaître le camp de Lodi (Draa Esmar). En novembre 1958, le tribunal militaire condamne Sepcelevicius par méconnaissance du rôle d’Alfred Gerson, à dix-huit mois de prison, Laurent Hanoun, à quatre ans, André Moine, à cinq ans. Pour avoir déjà passé dix-neuf mois en détention, cet étrange Français de France, envoyé pour deux semaines au centre de tri de Beni Messous, est finalement expulsé vers son Paris d’origine. De retour en France, Alfred Gerson reprend place dans l’appareil du PCF participant à la gestion de la presse.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article151145, notice GERSON Alfred dit Fredo, de son vrai nom SEPCELEVITIUS [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 17 décembre 2013, dernière modification le 17 décembre 2013.

Par René Gallissot

SOURCES : Arch. du PCF, déposées aux archives de Seine-Saint-Denis à Bobigny. — Entretien avec A. Gerson, avec photo, cité dans H. Alleg (ed.), La guerre d’Algérie, op.cit., t.2. — Table ronde avec participation d’A. Gerson, Cahiers d’histoire de l’Institut de recherches marxistes, n° 8, Paris, 1982. — D. Iurelli-Bari, L’action du PCF en direction du contingent pendant la guerre d’Algérie, maîtrise d’histoire, Université Paris 8, 1975. — C. Buono, L’olivier de Makouda, Éditions Tirésias, Paris, 1991. — Notice Alfred Gerson par Paul Boulland dans DBMOMS, op. cit., t.5, Paris, 2009.

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