GHERAB Abdelhamid ou Hamid ou Ahmadou, écrit aussi GHERRAB, GUERRAB Lucien [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 22 juin 1926 à Ifigha près d’Azazga en Kabylie, mort à Paris en août 1997 ; journaliste à Alger Républicain, déserteur en avril 1956 pour gagner le maquis communiste des Combattants de la libération ; rescapé torturé deux fois condamné à mort ; ambassadeur d’Algérie en Amérique du sud après l’indépendance.

La famille Gherab venait des Beni Yenni, le groupe de villages de Kabylie le plus scolarisé en français ; Abelhamid, dit en berbère Ahmadou, appartient ainsi à une de ces familles kabyles d’école et de citoyenneté française. Comme quelques familles ont été converties au catholicisme sous l’influence des Pères blancs qui, depuis Fort national (Larbaa Nath Irathen) rayonnent en Kabylie tout en servant la culture berbère, les services français et plus encore les militaires en rajoutent facilement. Ainsi présentent-ils fréquemment Abdelhamid Gherab sous le nom de Lucien Guerrab. Peut-être son père l’appelait-il Lucien. Ce père, Mohammed Gherab, républicain français et non catholique, est instituteur ; la famille compte quatre garçons et trois filles.

C’est au village d’Ifigha en montagne forestière près d’Azazga qu’Ahmadou ou Hamid Gherab passe sa prime enfance. Le père y reste treize ans, devenant directeur de l’école. Il est nommé à Blida en 1934, Hamid Gherab a huit ans. Il poursuit l’école primaire et entre au lycée de la ville ; il obtient le baccalauréat math-élèm. Il entreprend assez vaguement ensuite des études de médecine à Alger et à Toulouse qu’il interrompt pour revenir à Alger ; jeune communiste quelque peu endiablé, il entre à Alger Républicain.

Au journal, il est un peu l’homme à tout faire ; on recourt à lui pour ses capacités musculaires malgré sa taille moyenne mais large d’épaules ; un mètre soixante douze et soixante-quinze kilogrammes, comme le note plus tard sa fiche de police. Il se spécialise dans les nouvelles internationales et écrit fréquemment le « Billet du jour » qui fait le point sur une question internationale. Il commence à faire quelques reportages ; il va en Tunisie suivre les manifestations nationalistes de Bizerte et les grèves de l’Arsenal en janvier 1952. Il signe ses papiers du nom de Mohammed Aghrib ; le nom a une connotation berbère mais pas le prénom, sinon ce serait Mohand. Pour le PCA, il faut faire valoir son journaliste comme arabo-berbère.

Quand A. Gherab part faire son service militaire de dix-huit mois retardé jusqu’en 1952, le PCA à la mode du communisme français, le pousse à suivre les EOR (élèves officiers de réserve). Citoyen français d’Algérie, il n’est pas écarté bien que fiché communiste ; il suit la formation au camp de Mourmelon en France. Il est affecté ensuite au Service militaire de santé à Lyon ; aspirant, il est lieutenant de réserve. Il reprend place à Alger Républicain à la fin de l’été 1953.

Comme officier de réserve, il est rappelé au service en mai 1955, puisque la guerre coloniale française d’Algérie a besoin des rappelés qui manifestent en France. En Algérie, la consigne du PCA est de suivre le rappel sans se faire remarquer. À son camarade communiste d’Alger Républicain Henri Maillot, lui aussi officier réserviste rappelé, venu passer un dimanche à la Villa Espérance, la maison familiale des Gherab à Blida, qui évoque une possible désertion, Hamid Gherab, selon un retour de mémoire vingt après, aurait répondu : « Moi, je respecte la hiérarchie : j’attends que tu désertes le premier ». A. Gherab est affecté en qualité d’officier d’administration à l’hôpital militaire de Blida.

Le responsable communiste de Blida Abdelkader Babou, qui prépare la mise en place du maquis des Combattants de la libération au-dessus d’Orléansville (Chlef), demande à celui qui est le militant Hamid Gherab de se tenir prêt. Célibataire sans attaches, celui-ci est parfaitement disponible. Bachir Hadj Ali*, secrétaire général du PCA clandestin se joint à Abdelkader Babou pour la rencontre décisive ; c’est le moment de la désertion de l’aspirant Maillot avec un camion d’armes. Après avoir quitté l’hôpital de Blida normalement pour le week-end, le vendredi 6 avril 1956, Hamid Gherab est convoyé pour être le responsable militaire du maquis, vers le massif de l’Ouarsenis qui domine la vallée du Chelif ; il y trouve quelques jeunes paysans communistes en rébellion contre le caïd qui domine la région, le bachaga Boualem et qui attendent des instructeurs et des armes. Rejoignent début mai, le communiste aguerri qui sera le responsable politique, Mustapha Saadoun*, le battant des luttes agricoles de la Mitidja au massif de Cherchell, et Maurice Laban, ancien des Brigades internationales, puis à la mi-mai Henri Maillot et, à la fin du mois, ne comprenant pas ce qu’il vient faire là, le syndicaliste des dockers d’Oran, Mohamed Boualem.

Ce maquis d’une vingtaine de Combattants de la libération, selon l’appellation donnée par le PCA, ne compte qu’une action à son actif, une descente sur renseignements sur un café d’Oued Fodda pour exécuter quatre collaborateurs notoires de l’armée française et du bachaga Boualem, le 4 juin 1956 ; Hamid a tiré avec son revolver. Le lendemain alors qu’ils sont en train de se laver au point d’eau, l’attaque française se déploie et cerne les maquisards ; M. Laban est tué, H. Maillot blessé puis achevé. Croyant à une dispersion en plusieurs sous-groupes, les militaires français poursuivent la recherche en s’éloignant. Mustapha Saadoun* s’en tire de son côté. Hamid Gherab et M. Boualem restent cachés dans un fourré et descendent la nuit dans la vallée vers le douar Beni Rached. Guidés par des partisans nationalistes algériens heureusement rencontrés, ils finissent par se retrouver auprès du Docteur Michel Martini* qui avait déjà assuré des convoyages et des secours pour le maquis communiste.

Celui-ci est le premier à entendre le récit d’Hamid Gherab qu’il connaît assez familièrement. Certes moins en colère que le syndicaliste d’Oran, M. Boualem, totalement étranger à la région, le maquisard en perdition n’en est pas moins dans le ressentiment. « Lorsque je lui demandai comment il se faisait que les militaires aient pu les surprendre en plein jour, alors qu’ils étaient en train de se laver, Gherab me répondit que, peut-être, on n’avait pas pris toutes les précautions nécessaires et, en particulier, qu’on n’avait pas mis de guetteurs ; de toute façon, les militaires avaient été renseignés et guidés jusqu’au groupe par des paysans : ‘nous en avons vu deux avec les militaires’. Il nous dit également que ce maquis était de la foutaise, que les paysans ne voulaient pas entendre parler d’eux, qu’aucune préparation politique n’avait été faite au niveau de ces mêmes paysans, qu’ils avaient à peine de quoi manger… ».

Contacté, A. Babou laisse le Dr Martini* se débrouiller alors que celui-ci est visiblement sous surveillance ; la relève est prise en ville par ses assistantes infirmières. Les deux rescapés sont convoyés sur Relizane où M. Boualem retrouve un vieux syndicaliste qui le fait rentrer à Oran. Hamid Gherab gagne Tlemcen ; il est envoyé dans un maquis de l’ALN conformément à l’accord passé entre le PCA et le FLN. Blessé à la jambe lors d’un accrochage au nord-est d’Aïn Temouchent, il est fait prisonnier par les militaires français le 1er septembre 1956.

Transféré à Oran, identifié, il est condamné à mort en flagrant délit par le Tribunal permanent des Forces armées d’Oran dès le 11 septembre. Abominablement torturé, il donne des noms de camarades qui sont jetés dans la prison des caves du Trésor d’Oran (ancien bâtiment du Trésor public) où arrive également le docteur Martini arrêté bien avant. Au procès des Combattants de la libération en juillet 1957 devant le Tribunal militaire d’Alger, Hamid Gherab est une deuxième fois condamné à mort. En minimisant la participation de M. Boualem, il sauve la tête du syndicaliste condamné seulement pour complicité. A. Gherab est emprisonné à Barberousse (Serkadji) dans le quartier des condamnés à mort avant d’en sortir après les Accords d’Évian.

Après l’indépendance, sous le gouvernement de Ben Bella qui met symboliquement en avant, non les dirigeants du PCA qui, interdit, subsistent par tolérance, mais les maquisards communistes passés à l’ALN et au FLN, Abdelhamid Gherab, fait citoyen algérien, devient le premier ambassadeur d’Algérie pour l’Argentine, le Chili et l’Uruguay. Mis de côté après le coup d’État du 19 juin 1965 bien qu’il n’entre pas dans l’opposition, Hamid Gherab dirige une entreprise de tôlerie à Alger-Kouba. Malade, lourdement grossi, il se retire dans la maison de Blida, la Villa Espérance. Brûlé au visage dans une explosion accidentelle en 1987, s’employant à faire bonne figure avec ses souvenirs et le cancer qui le rongent, il s’éteint à Paris où il est soigné. Son cercueil est ramené aussitôt en août 1997 au cimetière de Blida.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article151148, notice GHERAB Abdelhamid ou Hamid ou Ahmadou, écrit aussi GHERRAB, GUERRAB Lucien [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 5 janvier 2014, dernière modification le 16 février 2016.

Par René Gallissot

SOURCES : Entretiens avec H. Gherab en janvier 1983 et avril 1997 de J-L. Einaudi, Un algérien Maurice Laban, Le Cherche midi éditeur, Paris, 1999. — S. Kastell, Le Maquis rouge. L’aspirant Maillot et la guerre d’Algérie, 1956, L’Harmattan, Paris, 1997. — Témoignages du docteur Martini* et citations rapportées, M. Martini, Chroniques des années algériennes. 1946-1962, Bouchène, Saint-Denis, 2002, et dans J. Charby, Les porteurs d’espoir, La Découverte, Paris, 2004.

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