CORBON Anthine [CORBON Claude, Anthime]

Né à Arbigny-sous-Varennes (Haute-Marne) le 23 décembre 1808, mort à Paris le 27 février 1891. Un des fondateurs de L’Atelier (1840). Vice-président de l’Assemblée constituante en 1848. Membre, selon Fribourg, de l’Internationale.

Anthime Corbon en 1848
Anthime Corbon en 1848
Photo Bibl. Nat.

Anthime Corbon exerça divers métiers avant de devenir typographe, puis sculpteur. Il fut le principal rédacteur de L’Atelier en septembre 1840, sans avoir de titre particulier, la rédaction étant organisée collectivement et la direction exercée par une sorte de collège. Avec Buchez dont il fut le disciple et l’ami, avec Magu, avec Chevé, Corbon prit quand même, en fait sinon en droit, une part décisive à l’élaboration de cet " organe spécial de la classe laborieuse, rédigé par des ouvriers exclusivement ", comme l’affirmait fièrement le sous-titre de la revue à parution mensuelle, qui dura dix ans.
Représentant de la Seine à l’Assemblée constituante, en 1848, opposant sous l’Empire, maire du XVe arrondissement, le 7 septembre 1870, par désignation du gouvernement de la Défense nationale, membre, durant la Commune de Paris, de la Ligue des Droits de Paris qui voulait réconcilier Versailles et la capitale, sénateur inamovible en 1875, questeur du Sénat à sa mort, Corbon fut un républicain très modéré comme Buchez.

L’homme politique qu’il a été est moins important que l’homme tout court.

Son père était un artisan tisserand de village ruiné par l’invasion de 1814. Il dut travailler pour les autres et faire travailler ses enfants chez les autres de très bonne heure. À sept ans, le jeune Claude-Anthime fut occupé comme rattacheur de fils, accroupi sous le métier de l’artisan. Le philanthrope et pédagogue suisse Pestalozzi proposait bien à la même époque que les loisirs des petits rattacheurs de fils fussent consacrés à l’apprentissage de la lecture, mais cela n’était concevable et ne sera réalisé que dans de grands ateliers, et non chez les humbles tisserands du plateau haut-marnais. Claude-Anthime apprit à lire et à écrire seul ou avec une aide occasionnelle. Sa première victoire lui en valut une seconde : au lieu de passer devant le métier à tisser, il fut capable de devenir peintre en lettres, de continuer à apprendre et d’obtenir avant sa vingt-cinquième année le poste de confiance de métreur du bâtiment dans une grosse entreprise. Mais cette ascension ne lui suffit pas. En 1833, il arriva à Paris, et le voici typographe puis metteur en pages. Quand l’imprimerie n’eut plus de secret pour lui, Corbon se transforma en sculpteur sur bois et ce fut seulement en 1841 qu’il aborda sa dernière profession manuelle, celle de sculpteur sur marbre.

Ce Protée de la condition ouvrière, dont la dextérité autant que l’intelligence devait être peu communes, a d’abord été séduit par les idées républicaines des communistes et par le fouriérisme. Il a côtoyé la Société des Saisons et connu les insurgés du 12 mai 1839. Buchez l’a converti au catholicisme et a fait de lui, dans les colonnes de L’Atelier, un polémiste de qualité au service d’un socialisme catholique, stigmatisant l’irréligion d’origine bourgeoise et dénonçant l’incompréhension des problèmes intéressant la classe ouvrière chez les " grands seigneurs philosophes du siècle dernier ", ou chez leurs successeurs bien vivants du XIXe siècle. Ses campagnes les plus importantes à L’Atelier ont trait, en 1844 et 1845, à la question du livret. Les projets gouvernementaux d’étendre le livret à tous les travailleurs sans exception, afin d’exercer un contrôle rigoureux de la main-d’œuvre et de surveiller les passages de la campagne, où il n’y avait pas de livret, à la ville où l’obligation était de principe, furent pour lui l’occasion de dénoncer le livret comme une forme d’asservissement à l’employeur, qui inscrit salaires ou avances consenties et retient l’ouvrier par les dettes ou l’empêche de négocier librement sa force de travail chez un nouveau patron, puisque le nouveau patron n’ignore pas ce que payait son prédécesseur. Corbon en profita pour demander des droits politiques pour la classe ouvrière, et pour lancer une pétition qui amènera son auteur et L’Atelier, en 1845, devant les assises de la Seine sous la prévention de " provocation à la haine d’une classe de la société contre une autre ". Le jury ne suivit pas l’accusation et prononça un acquittement.

Durant les années 1840-1848, Corbon semble avoir indisposé ses camarades de L’Atelier, et d’une manière plus générale tous les ouvriers avec qui il se trouvait en contact. On lui reprochait de la vanité, une trop sûre confiance en soi, un dédain de l’opinion des autres à peine dissimulé, même quand on lui reconnaissait de la dignité morale, voire de la rigidité, une compétence dans les questions qu’il traitait et une indéniable valeur intellectuelle qui finira par faire de lui un homme de grande culture.

Pour l’orgueil de Corbon, l’expérience de 1848 fut cuisante. Alors, pourtant, toutes les satisfactions lui furent données. Ouvrier et catholique, catholique et socialiste, il se trouva au nœud de la réconciliation quarante-huitarde. Ce fut presque un officieux entre l’archevêché, la mairie de Paris où il était installé comme secrétaire de Garnier-Pagès, et le Gouvernement provisoire. Les déceptions ne tardèrent pas.

À la Constituante, Buchez occupait le fauteuil présidentiel et Corbon, élu comme lui dans la Seine, était second vice-président. Corbon se montra hostile à Louis Blanc et à la commission du Luxembourg. Le 5 juillet 1848, il déclara à la tribune : " L’association est le plus grand besoin de notre époque. " Fidèle à la pensée buchézienne, il voyait dans l’association et, en particulier, dans l’association de production, le seul moyen d’abolir le salariat.

Bien qu’il fût hostile à l’action de l’État, il déposa sur le bureau de l’Assemblée une proposition de loi demandant le vote d’un crédit de trois millions pour commanditer les associations ouvrières. Il entendait, ainsi, préparer " le passage des travailleurs de la situation de salariés à celle d’associés volontaires, transformation qui sera l’œuvre du temps et des efforts particuliers des travailleurs ". La proposition fut votée à l’unanimité et la loi du 5 juillet régla les conditions d’attribution de la somme.

Corbon assignait au compagnonnage un rôle primordial dans l’éducation et dans la cohésion ouvrières, dans la défense des droits essentiels, dans la mise en place de dispositifs efficaces pour mener à bien une coalition ou pour mettre à l’index certains patrons, dans la garantie donnée à la qualité du travail, mais il se montrait hostile aux secrets qui entretiennent la routine et qui divisent la classe ouvrière, et il ne se dissimulait pas le vieillissement des institutions compagnonniques.

Le 8 septembre 1848, il monta une nouvelle fois à la tribune pour demander, en un remarquable discours, la limitation des heures de travail des ouvriers et proposer l’association comme moyen de résoudre les difficultés économiques. Au début d’octobre, en réponse à un discours de Thiers, il dressa un sombre tableau de la baisse des salaires qui frappait les ouvriers depuis 1846.

Son ami Genoux Claude, typographe comme lui, nous dit qu’il présidait l’Assemblée " avec une dignité qui rappelle celle de Boissy d’Anglais " (Mémoires d’un enfant de la Savoie, p. 276.) Fâcheux rapprochement pour qui se souvient de la Convention, en l’an III, et de Boissy-Famine.

En 1849, Corbon ne fut réélu à l’Assemblée législative ni par la Haute-Marne ni par la Seine. Il fit les frais de la politique du National, bien qu’il se fût élevé contre certains aspects de réaction bourgeoise de cette politique. Ensuite, force lui fut de constater que la hiérarchie ecclésiastique soutenait le parti de l’ordre et reniait la République à laquelle il restait attaché personnellement. Ultérieurement, ce fut l’adhésion de l’Église à l’Empire qui lui apparut comme une injure, comme une dérision du grand rêve d’alliance du catholicisme et de la République fait en 1848.

Rédacteur au Siècle sous l’Empire, Corbon élabora une espèce de réformisme patient et pratique, à la mesure des désillusions que les immenses desseins de 1848 et leur démenti par l’histoire lui avaient infligées.

Il compta, pour promouvoir l’agriculture, sur le développement de la petite propriété, à la façon de Proudhon. Il prôna " l’idée corporative ", c’est-à-dire l’organisation de la profession par le compagnonnage ou par la chambre syndicale. Il adhéra vers 1865 à l’Internationale — si l’on en croit du moins Fribourg, L’Association Internationale des Travailleurs, Paris, 1871 — en qualité de coopérateur et signa le manifeste des coopérateurs paru dans La Réforme du 4 juillet 1868.

Corbon journaliste a publié de nombreux articles. Il est l’auteur de plusieurs livres. Son opuscule De l’Enseignement professionnel, Paris, 1859, in-16, 192 pages, où il préconisait un enseignement " polytechnique " comme seul capable de ne pas mutiler l’homme dans l’ouvrier, alors que l’enseignement d’une seule technique rendrait l’ouvrier étranger au reste du monde, fut lu par Karl Marx et retint son attention. Les Lettres politiques d’un sénateur républicain à M. le duc de Broglie, Paris, 1876, recueil d’articles modifiés pour la réimpression, ont un certain intérêt pour l’histoire du 16 mai 1877. Mais Le Secret du Peuple de Paris, édité en 1863, et qu’à plusieurs reprises on a parlé de rééditer, sans y parvenir, est un chef-d’œuvre de compréhension de ce qu’était la classe ouvrière de Paris au milieu du XIXe siècle. Georges Sorel, en particulier, en faisait le plus grand cas.

Pendant le Siège, Corbon avait été maire du XVe arrondissement et, sous la Commune, il chercha en vain à jouer un rôle de conciliation entre Versailles et Paris. Il faisait alors partie du bureau de la Ligue d’Union républicaine des Droits de Paris et, le 4 mai, fut de ceux qui, au nom de la Ligue, demandèrent une trêve de vingt jours " pendant laquelle les véritables conditions qui doivent mettre fin à la lutte pourraient se faire jour " (Procès-verbaux de la Commune de 1871, Paris, t. II, 1945, pp. 121-122)

Élu député le 2 juillet 1871, il devint sénateur inamovible en 1875. À la Chambre, il combattit la loi contre l’Internationale et le projet de loi tendant à déclarer d’utilité publique la construction de l’église du Sacré-cœur destinée, avant tout, à exalter, selon le rapporteur, le souvenir des victimes de la Commune, " ces martyrs d’hier qui sont morts pour défendre et pour sauver la société chrétienne ".

Corbon mourut à Paris le 27 février 1891.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article151369, notice CORBON Anthine [CORBON Claude, Anthime], version mise en ligne le 22 décembre 2013, dernière modification le 30 janvier 2020.
Anthime Corbon en 1848
Anthime Corbon en 1848
Photo Bibl. Nat.

SOURCES : Arch. PPo., B a/109. — Profils critiques et biographiques des 900 représentants du Peuple, par un vétéran de la presse, Paris, Garnier frères, 3e éd. 1848. — A. Robert, E. Bourleton, G. Cougny, Dictionnaire des Parlementaires français, 1789-1889, Paris, Borl, 1891. — J. Jolly, Dictionnaire des Parlementaires français , Paris, 1963. — Crauk (G.) et Crauk (M.-G.), Le carnet d’un sculpteur... Claude Corbon sénateur, Luçon, 1930, in-8°, 221 pages. — Armand Cuvillier, Un journal d’ouvriers, L’Atelier 1840-1850, nouv. éd., Paris, 1954.

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