GUILLON Maxime [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Instituteur à Souk-Ahras puis à Bône (Annaba), professeur d’École primaire supérieure à Alger et Sidi-bel-Abbès ; organisateur du syndicat des Chemins de fer Bône-Guelma et de la Fédération SFIO d’Algérie avant 1914 ; adhérent en 1920 au Parti communiste en entraînant la quasi unanimité des trois fédérations socialistes, conseiller municipal et responsable de la section communiste de Sidi-bel-Abbès, auteur de la fameuse motion de Sidi-bel-Abbès stigmatisée par l’Internationale communiste (1922) ; démissionne du PC en décembre 1922.

Faisant ses débuts d’instituteur à Souk-Ahras, Maxime Guillon est en contact avec les cheminots syndicalistes et les ouvriers qui construisent la voie de chemin de fer Bône–Guelma pour la Compagnie du même nom. Il fonde en 1904 un groupe d’études sociales : « L’Aurore sociale » qui suit les débats du congrès d’Amsterdam de la IIe Internationale. Un des effets de ce congrès socialiste est, en France, le regroupement en 1905 de partis et groupes ouvriers ou socialistes pour donner naissance à la SFIO.

Nommé à Bône (Annaba), M. Guillon y organise la première section socialiste SFIO d’Algérie. Il contribue à la fondation de la Bourse du travail et à la constitution du syndicat CGT des cheminots de la Compagnie Bône-Guelma dont il soutient la grève en 1907, la première grande grève de cheminots en Algérie. En 1906, arrivé de la région parisienne à Alger, « le citoyen Gabier » s’emploie à former ce qui devient la Fédération SFIO d’Algérie réunissant, d’abord, la section de Bône derrière M. Guillon et le groupe d’Alger Le Prolétaire, coopérative d’imprimerie, créé dès 1900 autour du typographe Célestin Aprosio. Le premier congrès fédéral a lieu à Alger en 1907 en présence de Marcel Cachin, le dirigeant français désigné comme délégué socialiste à la propagande pour l’Afrique du Nord.

À Bône, M. Guillon aurait lancé en 1908 un petit journal, Le Cri du Peuple, qui aurait tenu une année ; mais peut-être est-ce une confusion avec Le Cri de l’Algérie, le journal de combat du Constantinois animé par Gaston de Vulpillières* d’El Kantara et Victor Spielmann de Bordj Bou Arreridj, auquel il collabore et qui, de 1910 à 1912, ne cesse de tirer à boulets rouges sur cette « canaille de Tomson », député de Constantine et un des porte-parole du grand colonat à la Chambre française des députés. Contre les exploiteurs, Le Cri de l’Algérie défend la cause des petits, des parias, des petits colons et des fellahs, des bédouins et des ouvriers. On reconnaît là l’anticapitalisme plébéien du XIXe siècle des petits contre les grands, contre les féodaux, les grandes sociétés et les seigneurs de la colonisation.

M. Guillon dénonce en particulier le scandale de l’Ouenza ; les mines de fer ont failli passer à bon compte à un consortium Krupp-Schneider-Cokerill. C’est lui qui adresse à Jaurès et aux parlementaires socialistes, les informations qui soulèvent le débat à la chambre et dans la presse à Paris. En janvier 1910, le député Tomson demande le déplacement disciplinaire de « ce journaliste doublé d’un fonctionnaire ». Défendu par un des leaders du socialisme français, Jean Allemane, M. Guillon échappe à la sanction et reste à Bône.

Durant ces années, M. Guillon est fort occupé par les dissensions et les débuts chaotiques de la Fédération SFIO. En effet, un an après son arrivée, Gabier s’en retourne d’Alger vers Paris. Comme les disputes se passent à Alger, pour reconstituer la R. Brémond*, il participe ainsi en 1909 à la création de l’hebdomadaire La Lutte Sociale publiée d’abord à Oran, qui devient l’organe de la SFIO en Algérie et, après 1920, celui de la Région communiste. La Lutte sociale est transférée à Alger en 1910. C’est que M. Guillon est devenu secrétaire de la Fédération. En avril 1909, il est délégué au congrès de la SFIO à Saint-Etienne (France). Les adhésions atteignent les 450 membres pour les sections de Bône, Oran, Constantine et Alger. En 1912, la Fédération SFIO d’Algérie laisse place à trois fédérations départementales : de Constantine, d’Alger et d’Oran.

Au 2e congrès fédéral d’Algérie, la prééminence de M. Guillon avait été contrebattue par le tout jeune journaliste Paul Ruff, connu sous le nom de Charles Lussy. Issu d’une famille de juifs alsaciens établis en Algérie, le père est libraire à Alger, Paul Ruff-Charles Lussy quitte alors son emploi aux PTT à Alger pour devenir journaliste à Paris à L’Humanité, le quotidien de la SFIO sous Jaurès, avant de devenir la quotidien du parti communiste après 1920.

Comme la majorité des socialistes d’Afrique du Nord, M. Guillon est partisan de l’assimilation française, qui ferait donc des sujets français musulmans d’Algérie, des citoyens français ; la question coloniale et le statut musulman sont dissous par la citoyenneté de la si belle patrie française, fille de la Révolution de 1789, comme les instituteurs l’enseignent aux enfants des écoles.

Après la guerre de 1914-1918, M. Guillon est promu professeur à l’École Primaire Supérieure de Sidi-bel-Abbès, un couronnement de carrière pour les instituteurs, en général soutenu par le Syndicat français des instituteurs (SNI), dans ce que l’on appelle ensuite les Cours complémentaires. C’est un poste prestigieux dans cette France seconde et de classes plus modestes, d’administration française qu’est l’Algérie, où le degré d’intelligentsia se distingue par le niveau « certificat d’études primaires » et au-dessus, par le Brevet dit d’études supérieures auquel conduisent mais pas au delà, les Écoles primaires supérieures. M. Guillon se voue à nouveau et à l’action syndicale et à l’action politique socialiste.

Dès juin 1919, il rassemble les syndicalistes dispersés autour de la base rouge constituée par les cheminots du dépôt et des ateliers des chemins de fer. Il est élu secrétaire général de l’Union CGT des syndicats de l’arrondissement de Bel-Abbès ; il est délégué au congrès de la CGT à Lyon en septembre 1919. Aux élections municipales de novembre 1919, il est élu et siège donc au conseil municipal où il devient le porte-parole de la fraction municipale socialiste qui compte sept élus. Il fait un bon score mais n’est pas élu dans l’arrondissement de Sidi-bel-Abbès au Conseil général, laissant au jeune professeur André Julien (s’appelant ensuite Charles-André Julien), élu à Oran, l’avantage d’être le premier conseiller général socialiste d’Algérie, puis communiste.

On ne dit plus socialistes, mais bolchévistes pour cette extrême gauche qui invoque l’exemple de la révolution bolchevique en Russie. Dans des campagnes électorales surchauffées du fait du petit nombre des électeurs et dans les villes coloniales qui sont des villes de casernes et de places d’armes, de cafés et de bordels, et de kiosques à musique militaire, et plus encore à Sidi-bel-Abbès qui abrite la Légion, le cri de guerre du colonat est « à bas le bolchevisme ». Or, de 1919 à 1920, les socialistes ont à se prononcer sur le ralliement à l’Internationale communiste, à travers l’adoption des 21 conditions d’adhésion dont la huitième demande de lutter pour l’indépendance des colonies.

Se croyant plus Algériens que les Algériens tout en étant supérieurement des citoyens français, ces socialistes coloniaux pensent que c’est eux qui parlent au nom de l’Algérie. Dans leur inconscience de supériorité coloniale, eux les petits, les parias, les prolétaires, comme en Algérie déjà en 1848 et plus encore avec les Communes d’Algérie imitant la Commune de Paris en 1871, vont au parti extrême. La section socialiste de Sidi-bel-Abbès est la première à voter l’adhésion à l’Internationale communiste. M. Guillon, qui les a autant dire formés, entraîne au Parti communiste, les trois Fédérations SFIO d’Algérie, à la quasi unanimité (34 mandats sur 41) au congrès de Tours en France à la fin décembre 1920. Par sa fraction municipale de sept membres et son leader, Sidi-bel-Abbès devient La Mecque du communisme ; l’appellation resservira.

C’est contre le mot d’ordre d’indépendance, contre le nationalisme dit musulman, contre l’intervention de Moscou et de Paris dans les affaires coloniales qui seraient réservées à l’appréciation locale, soit celle des Européens d’Afrique du Nord, que se prononcèrent la plupart des sections communistes d’Algérie en réponse à une enquête effectuée par Charles-André Julien dans son activité de délégué communiste pour l’Afrique du Nord. Par la plume de M. Guillon, la section de Sidi-bel-Abbès, (c’est la première version en date du 21 avril 1921, de ce que l’on appellera la motion de Sidi-bel-Abbès), exprime très fortement ce refus du principe et des tâches de libération nationale : « L’émancipation des populations indigènes d’Algérie ne pourra être que la conséquence de la révolution en France. La propagande communiste directe auprès des indigènes est actuellement inutile et dangereuse. Elle est inutile parce que ces indigènes n’ont pas atteint encore un niveau intellectuel et moral qui leur permette d’accéder aux conceptions communistes... ».

Cette prise de position et cette argumentation étaient ensuite développées en réplique et en rejet de l’Appel lancé le 20 mai 1922 par l’Internationale communiste « pour la libération de l’Algérie et de la Tunisie ». Le texte de la section de Sidi-bel-Abbès, en date du 27 juin 1922, publié par La Lutte Sociale, devient motion de congrès, du Congrès de la Fédération communiste d’abord, 10 septembre 1922, qui l’adopte à une forte majorité, puis du 2e congrès interfédéral communiste d’Afrique du Nord tenu à Blida le 24 septembre 1922, à l’unanimité ; mais seules les fédérations d’Algérie s’exprimaient, la fédération communiste de Tunisie ne semble pas représentée. L’Appel de l’Internationale communiste était qualifié « d’erreur absolue ».

Ce sont les communistes de Tunisie (article de Robert Louzon intitulé « Une honte » que reproduit Le Bulletin communiste du 4 janvier 1923, et intervention de Tahar Boudengha au congrès de l’IC) qui firent appel à l’Internationale communiste pour condamner la motion de Sidi-bel-Abbès et Blida et rejeter « les pseudo-communistes algériens ». C’est au IVe congrès de l’IC (novembre-décembre 1922) que Trotsky et Safarov et la résolution sur la question française dénoncent « cette position purement esclavagiste », appelant à « combattre opiniâtrement et sans merci les tendances pseudo socialistes et colonisatrices de certaines catégories d’ouvriers européens bien payés travaillant dans les colonies », et à lutter pour la libération nationale en s’appuyant « en premier lieu sur la jeunesse prolétarienne indigène ».

M. Guillon suivi par cinq des six conseillers municipaux communistes, renonce à son mandat municipal. Il démissionne de son poste de secrétaire interfédéral et quitte le Parti communiste, « ce parti qu’il avait contribué à créer en Algérie » comme le dit sa lettre de démission du 22 décembre 1922. S’il publie un article d’explication dans le journal de la SFIO Le Populaire du 21 janvier 1923 où il persiste et signe : « C’est moi qui suis le rédacteur de la thèse de Sidi-bel-Abbès et j’en prends toute la responsabilité », il ne semble pas revenir au parti socialiste.

Entre-temps, en 1922, M. Guillon obtient la licence de droit à la Faculté d’Alger. Il quitte ensuite Sidi-bel-Abbès pour Alger ; dans les années 1930, il est professeur à l’Institut industriel de Maison Carrée (El Harrach).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article151487, notice GUILLON Maxime [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 24 décembre 2013, dernière modification le 16 février 2016.

Par René Gallissot

SOURCES : L’Encyclopédie socialiste, Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes, t. 1, Paris, 1921. — La Lutte Sociale, 1921-1923. — A. Juving, Le socialisme en Algérie, thèse de droit, Alger, 1924. — C.-R. Ageron, « Les communistes français devant la question algérienne de 1921 à 1924 », Le Mouvement social, n° 78, janvier-mars 1972. — E. Sivan, Communisme et nationalisme en Algérie, op.cit. — R. Gallissot, « Sur les débuts du communisme en Algérie et en Tunisie », Mélanges d’histoire sociale offerts à Jean Maitron, Éditions ouvrières, Paris, 1976. — Notice Guillon par J. Jurquet et A. Koulakssis, revue Parcours, op.cit., juin 1983. — A. Koulakssis, Le parti socialiste SFIO et l’Afrique du Nord de Jaurès au Front populaire, L’Harmattan, Paris, 1987. — J. Delorme, mémoire sur Sidi-Bel-Abbès, op.cit.

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