BENBAHMED Mostefa [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot et Louis-Pierre Montoy

Né le 12 janvier 1899 à Bône (Annaba), mort à Alger le 15 mars 1978 ; vice-président de l’AEMAN à Alger en 1925 sur une ligne Jeune Algérien ; avocat à Guelma puis avoué à Constantine ; candidat socialiste SFIO à différentes élections, membre du bureau de la Fédération SFIO ; élu député au parlement français en 1951 ; au sein de la SFIO, appelant à des réformes en Algérie, puis après le 1er novembre 1954, dénonçant la répression et le système colonial ; rejoignant le FLN au Caire en juillet 1956.

Issu d’une famille qui appartient au beylik turc de Constantine et collabore ensuite avec l’administration française, Mostefa Benbahmed est fils d’un juge musulman (cadi). Après des études secondaires en France, il obtient une licence de droit à la Faculté d’Alger. Etudiant, il est en 1925-1926, vice-président de l’AEMAN. Il ne fait pas de service militaire. En 1927, il s’installe comme avocat à Guelma. Membre de l’intelligentsia francisée qui se fait une petite place dans la colonie au lendemain de la Première guerre mondiale, M. Benbahmed entend « s’intégrer » à la vie publique au rang et place que lui autorisent ses diplômes. Il est conseiller municipal de Guelma de 1929 à 1935. Il n’oublie pas, ce faisant, la « communauté musulmane » dont il souhaite assurer, à son exemple, la promotion dans le cadre français.
Ainsi en juin 1927, il participe à la fondation d’un comité France-Islam dont il est nommé secrétaire. Placé sous la présidence d’honneur du gouverneur général Viollette dont les tendances libérales affichées séduisent nombre de « Jeunes Algériens », ce comité se fixe comme but « de rechercher et appliquer les moyens les plus pratiques d’améliorer matériellement et moralement le sort des indigènes algériens et de les attacher de plus en plus à la France ». Curieusement, il est en dehors du mouvement de Front populaire comme du Congrès musulman.

Mostefa Benbahmed entame une nouvelle carrière après le débarquement du 8 novembre 1942. Il est maintenant installé à Constantine où il obtient en 1945 une charge d’avoué. Membre du comité directeur du mouvement Combat Outre-mer  ; il est également devenu membre du parti socialiste SFIO dont il approuve le discours assimilationniste et les efforts pour promouvoir l’égalité entre les communautés. C’est alors qu’il se lance, à vrai dire sans grand succès, dans les nombreuses compétitions électorales qui ponctuent la vie politique entre 1945 et 1948. En septembre 1945, il est en vain candidat SFIO au Conseil général dans la 3e circonscription indigène ; en octobre 1945, il figure sur la « liste socialiste et démocratique » présentée par Fraternité à l’occasion des élections à la première Assemblée constituante à Paris ; malgré une campagne très active sur le terrain, il est battu. Nouvel échec en juin 1946 lors des élections pour la seconde Assemblée constituante. Échec pour les élections municipales d’octobre 1947 sur une liste d’union entre l’UDMA et partis et personnalités démocratiques, et en novembre 1948 dans une candidature au Conseil de la République.

Ces échecs répétés ne gênent cependant en rien son ascension au sein de la SFIO où son influence s’affirme. Dans les années 50, il est membre du bureau fédéral. En 1951, sa situation est définitivement assise lorsqu’il reçoit enfin la consécration du suffrage universel : Mostefa Benbahmed est élu député de la 2e circonscription du 2e collège du département de Constantine. Il porte l’étiquette de la SFIO mais est élu sur une liste républicaine soutenue par le Dr Benjelloul. En octobre 1951, il devient conseiller général. Inscrit au groupe parlementaire socialiste, M. Benbahmed siège dans diverses commissions dont notamment celle de la justice et de la législation et celle chargée de proposer des grâces amnistiantes pour les condamnés politiques en Algérie ; il dépose une proposition de loi dans ce sens. Il intervient sur les questions d’Afrique du Nord, en particulier en octobre 1953 sur la politique de réaction coloniale au Maroc après la déposition du sultan.

Son discours assimilateur est en porte à faux à partir du 1ernovembre 1954 puisqu’il entend être porte-parole de sa communauté. Au parlement, dans les instances de la SFIO, dans les meetings, Benbahmed ne cesse dès lors de manifester son « angoisse » et son désarroi devant l’évolution de la situation qui lui fait craindre pour « l’avenir de l’Algérie française ». Dans un premier temps, ses critiques se font de plus en plus nettes contre la répression et les excès. Il intervient dans les trois grands débats parlementaires des 12 novembre, 18 décembre 1954 et 2 février 1955. Il vote pour le gouvernement de Pierre Mendès-France et approuve les déclarations de François Mitterrand sur l’Algérie française. Il prend ensuite ses distances avec le gouvernement d’Edgar Faure et vote le 31 mars 1955 contre l’état d’urgence en Algérie. Lors du débat sur la prolongation de l’état d’urgence à la fin juillet 1955, il dénonce ouvertement la torture à l’électricité pratiquée en Algérie.

Après l’insurrection d’août 1955 lancée par le FLN dans le Constantinois, visé vraisemblablement par un attentat auquel il échappe, il renonce à un positionnement français pour passer à des déclarations proprement algériennes, non sans abandonner une grandiloquence d’école de la IIIe République française. À un député de droite faisant remarquer qu’il était en train de défendre des gens qui avaient voulu le tuer, il répondit : « On peut tuer un Benbahmed, on ne peut tuer l’Algérie ». Il refuse la confiance au gouvernement Edgar Faure.

Les élections du 2 janvier 1956 étant reportées en Algérie, il ne siège plus à la chambre des députés. Ses interventions redoublent alors de vigueur auprès du Comité directeur de la SFIO. Il déplore la reculade de Guy Mollet au lendemain de la journée du, 6 février à Alger. En avril 1956, il rend publique dans l’Express, la lettre qu’il avait adressée au Comité directeur l’accusant de « transgresser délibérément » les décisions du congrès de janvier 1956 et menaçant de se désolidariser « d’une politique insensée qui discréditerait à jamais le parti et ses hommes ». Devant le groupe socialiste, il va jusqu’à dire que dans le Constantinois, il ne s’agit plus de pacification ni de répression aveugle, mais d’extermination. En juin 1956, au congrès de la SFIO à Lille, il invoque Galilée pour dire qu’il ne peut nier « la conscience nationale algérienne ». Puis il démissionne de tous ses mandats.

Au printemps 1956, Ferhat Abbas et des notables Oulémas rallient le FLN ; à son tour, Mostefa Benbahmed le rejoint et gagne Le Caire en juillet 1956. En 1958, il est fait président du Croissant Rouge algérien à Tunis où il exerce un rôle plus diplomatique que de politique de santé qui doit recourir à des solutions de fortune menées par le Dr Nekkache avec le concours du Dr Martini*. Après l’indépendance, Mostefa Benbahmed est nommé président du Tribunal de grande instance d’Annaba puis président de chambre à la Cour suprême d’Alger (1964) dont il devient le premier Président en 1971. Il occupe ce poste jusqu’à sa mort en mars 1978. Il s’était marié en novembre 1957 à 58 ans.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article151531, notice BENBAHMED Mostefa [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot et Louis-Pierre Montoy, version mise en ligne le 25 décembre 2013, dernière modification le 18 novembre 2020.

Par René Gallissot et Louis-Pierre Montoy

SOURCES : Arch. Nat. France, Paris, F1a 3233 et F1c II 126. — Arch. Assemblée nationale, Paris, dossier biographique. — L’avenir de Guelma, 1927-1929. — Le Progrès de Guelma, 24 juillet 1939. — La Dépêche de l’Est, 23 juillet 1939. — La Dépêche de Constantine, 1945-1960. — Fraternité, 11 octobre 1945. — Egalité, 17 octobre 1947. — Le Monde, 18 février 1955, 4 janvier 1956, 17 mars 1978. — Arch. de l’OURS, Paris. — M. Kaddache, Histoire du nationalisme algérien, op. cit. — Jean Vaujour, De la révolte à la révolution, Albin Michel, Paris 1985. — G. Morin, L’opposition socialiste à la guerre d’Algérie et le Parti socailiste autonome (1954-1960), thèse d’histoire, Université de Paris 1, 1992, et notice dans la nouvelle série Maitron, DBMOMS, op.cit., Paris 2006. — M. Martini, Chroniques des années algériennes. 1946-1962. Bouchène, St. Denis 2002.

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