BEN MEHIDI Larbi [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né en 1923 près d’Aïn M’Lila dans le Constantinois ; militant du PPA-MTLD et cadre de l’OS ; partisan et organisateur de l’insurrection armée du 1er novembre 1954 et premier responsable de la wilaya d’Oranie de l’ALN ; arrêté le 23 février 1957 ; déclaré mort par suicide dans sa cellule par un communiqué des autorités françaises publié le 6 mars 1957, couvrant en fait l’exécution perpétrée par les militaires français. Cité ici pour ses orientations et ses choix de conduire la lutte en ville et au centre qu’est Alger en s’appuyant sur le mouvement syndical (UGTA), et lançant la grève de 8 jours à la fin janvier 1957 qui ouvre la « Bataille d’Alger ». Noms de clandestinité et de guerre : Zapata, El Hakim, Le Carburateur pour sa petite taille et son rôle moteur.

Au douar El Kouabi, la famille de Larbi Ben M’Hidi aussi bien du côté paternel que maternel (au nom de Cadi), appartient à la moyenne notabilité de propriété rurale et d’autorité maraboutique de la région d’Aïn M’Lila ; elle ne compte dans ses antécédents de bienveillance coloniale qu’un caïd ; elle se trouve en fait en voie de déclassement. Le jeune garçon est accueilli chez un beau-frère à Biskra pour faire des études secondaires qui restent en suspens ; il serait parti à Alger vers 1945 suivre des cours d’art dramatique.
En tout cas, à Biskra en 1947, il est Commissaire des Scouts musulmans et militant du MTLD ; il s’engage dans l’OS et opère dans la clandestinité, ce qui lui vaut en 1950, une condamnation par défaut à 10 ans de prison. Pour écarter les risques en pays connu, le MTLD l’envoie en Oranie où sous de faux noms, il est permanent et chef d’une circonscription du parti (daïra). Il se montre ouvert à la formation d’un front politique pour les élections à Tlemcen par exemple. C’est pour sortir de la crise du MTLD qu’il se porte vers le CRUA dont il est ainsi un des fondateurs ou « historiques », membre du Comité des 6 qui lance l’insurrection. de novembre 1954. Il commande la zone d’Oranie qui deviendra ensuite la Wilaya 5 sous le commandement de Abdelhafid Boussouf. Au début de 1956, Larbi Ben M’hidi va se joindre à Ramdane Abane* à la tête de la coordination politique du FLN à Alger.

Dans les premiers mois de 1956, il se rend d’abord au Caire pour faire entendre auprès de la Délégation extérieure, les besoins urgents en armes des combattants de l’intérieur et des demandes de clarification politique. Pour l’emporter, la lutte de libération doit entrainer la mobilisation des masses, s’imposer au coeur d’Alger et s’affirmer internationalement. Larbi Ben M’hidi réprouve les combinaisons entre clans ou clientèles au Caire et les manipulations des services égyptiens ; il demande que la balance soit égale entre pays, partis et Etats arabes et ne penche pas notamment vers Salah Ben Youssef contre Bourguiba pour l’avenir de la Tunisie ; il souhaite que l’engagement algérien ne soit pas exclusivement dans la dépendance de l’Égypte et du colonel Nasser ; ce qui vise Ben Bella. Il préconise une direction collégiale du FLN au niveau d’un Comité central et d’une assemblée déléguée.
Son nationalisme volontariste l’emporte sur toute considération de régionalisme et de confessionalisme. Croyant et mesurément bilingue, venant d’un constantinois arabe et confrérique dont il ne fait pas une carte de pouvoir face au nombre des chefs et sous-chefs qui parlent kabyle, il aspire à une République algérienne unie, moderne et démocratique, indivisible. Ce sont ces orientations que traduit en formules fortes du primat du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur, la plateforme de la Soummam et qui se retrouvent dans la mise en place du CCE (Comité de coordination et d’exécution) et du CNRA pour représenter les zones ou willayas en veillant à la parité entre représentants de l’intérieur et de l’extérieur.

Alors que Ben Bella est absent au congrès de la Soummam en septembre 1956, Larbi Ben M’hibi pèse d’un grand poids, représentant à la fois la direction du FLN d’Alger et la Willaya5 d’Oranie et de la frontière, car A. Boussouf est retenu à la suite d’une intervention chirurgicale. Il se déclare partisan d’élections pluralistes (plusieurs listes de partis) dans les futures assemblées représentatives d’une République algérienne. Certes il est acquis à la conjonction dans la lutte d’indépendance des bases de masses des campagnes et des villes, cette alliance des paysans et des ouvriers dont se réclame la plateforme ; il porte cependant, par vision moderniste, son attention sinon la priorité aux actions au coeur des villes coloniales et entend faire avancer le mouvement à Alger même, pensant susciter la mobilisation algérienne, la défaite coloniale et la reconnaissance internationale. On connait sa justification des actes terroristes de la campagne des bombes au centre d’Alger : « Donnez-moi vos bombardiers, je vous donnerai mes couffins. »
Il est aussi partisan de l’affirmation par les grèves et pense à une grève générale portée par un mouvement tournant sur un mois. Cette mobilisation passe donc par les syndicats ; la coordination à Alger du FLN appelle l’UGTA à organiser une grève d’une semaine. Les discussions portent moins sur la date fixée à la fin janvier en correspondance avec le débat à l’ONU, que sur les deux réserves des syndicalistes qui craignent de mettre en péril leur organisation. Ceux-ci suggèrent de limiter la durée et exigent que le lancement de la grève soit le fait du syndicat, de l’UGTA, centrale nationale, donc, et non pas du FLN seul appelant à la grève. Larbi Ben M’hidi est sensible à l’argument démocratique et accepte la mise en place par l’UGTA du Comité de grève qui conduit l’action. Alors qu’une part du Secrétariat reconstitué de l’UGTA dont Abdennour Ali Yahia*, défend la réalisation d’une grève totale mais de 24 heures, Larbi Ben M’hidi emporte l’entrée dans une semaine de grèves tant des salariés que des boutiques et commerces en une mobilisation générale qui tient aussi de la fuite en avant. La grève est appelée dans les 26 principales villes d’Algérie.

Alors qu’il rêvait peut-être d’un Dien Bien Phu par la montée en puissance dans les villes, la disproportion des forces conduit aux terribles effets de la Bataille d’Alger qui renvoie la lutte de libération des villes vers les montagnes. Par la relève rurale de jeunes garçons à peine ou non scolarisés, empreinte de moralisme familial confirmé par la seule instruction coranique, c’est au détriment des générations adultes et jeunes formées à l’école nouvelle et dans le syndicalisme et le militantisme politique émancipateur, certes peu nombreuses sauf dans le monde du travail manouvrier, et qui avaient déclenché la guerre de libération, que s’effectue le basculement de la lutte algérienne d’indépendance. Les violences de l’armée française et la violence de la répression coloniale amplifient l’usage de la torture et sèment la mort dont celle de Larbi Ben M’hidi au début de mars 1957. A la fin décembre 1957, la conjuration de chefs qui commande l’assassinat de Ramdane Abane* confirme l’inversion de sens de la révolution nationale algérienne.

Rompant avec la version controuvée du suicide, l’organisation de son exécution est maintenant connue. Arrêté par les parachutistes français du colonel Godart, Larbi Ben Mehidi n’est certes pas torturé ; mais comme il se refuse de céder aux offres des militaires français, il est remis entre les mains du commandant Aussaresses, chargé des basses œuvres. Le colonel Godart lui a fait rendre les honneurs, comme on dit par gloriole militaire, avant qu’un groupe de parachutistes ne l’emmènent dans une ferme coloniale de la Mitidja dans la nuit du 3 au 4 mars 1957. Paul Aussaresses règle la pendaison qu’il faut recommencer car la corde casse une première fois. À la date anniversaire, le général Aussaresses confie son témoignage publié dans Le Monde daté du 6 mars 2007.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article151584, notice BEN MEHIDI Larbi [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 26 décembre 2013, dernière modification le 18 novembre 2020.

Par René Gallissot

SOURCES : M. Boudiaf, La préparation du 1er novembre. El Jarida, Paris, 1976. — Parcours, op. cit., notices de B. Stora, G. Meynier, A. Caudron, n° 16-17, 1992. — B. Bourouiba, Les syndicalistes algériens, op. cit. — O. Carlier, Entre nation et Jihad, op. cit. — M. Harbi, Les Archives de la Révolution algérienne. Jeune Afrique, Paris, 1981. — Fathi al Dib, Abdel Nasser et la Révolution algérienne, L’Harmattan, Paris, 1985, traduction de : Gamal ‘Abd ul Nâcir wa l thawra l jazâ-iriyya. Dâr ul Mustaqbal, Le Caire 1984. — M. Belhocine, Le Courrier Alger-Le Caire, Casbah éditions, Alger, 2000. — G. Meynier, Histoire intérieure du FLN. 1954-1962. Fayard, Paris, 2002. — M. Harbi et G. Meynier, Le FLN, documents et histoire, 1954-1962. Fayard, Paris 2004. — S. Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne. Flammarion, Paris, 2005. — Le Monde, 6 mars 2007.

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