BERGER Denis, pseudo Pierre-François [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 11 juin 1931 à Paris, mort à Paris le 6 mai 2013 ; instituteur en banlieue parisienne puis professeur ; plus libertaire et internationaliste que dogmatique malgré sa formation au PCI en 1952-1953 ; pratiquant l’entrisme au PCF au service de courants minoritaires liés d’abord à Messali*, animateur de La Voie communiste en 1957 et du soutien de la lutte d’indépendance (évasions des prisonnières de La Roquette et de responsables de la Fédération de France du FLN) ; prenant position pour Mohamed Boudiaf* et son parti algérien de la Révolution socialiste (PRS) ; enseignant de Sciences politiques à l’Université de Vincennes puis de Saint-Denis-Paris 8.

Denis Berger
Denis Berger

Le père était comptable à Paris ; très jeune, Denis Berger est saisi par la pensée libertaire et débute comme instituteur. Il se dispense du service militaire en simulant une dépression et la maladie mentale. Il s’est engagé en 1949 au PCI qui appartient à la IVe Internationale dite trotskyste ; il en reste membre sur près d’une dizaine d’années dans le secret que pratique ce groupement étroit tout en se livrant à l’entrisme au PCF. Serré autour de Pierre Lambert* (Boussel de son vrai nom), le groupe scissionniste en 1952-1953, entretient son attachement à Messali* qui entend incarner le mouvement national algérien. Denis Berger appartenait à la cellule étudiante du PCI aux prises au quartier latin aussi bien avec les groupes d’extrême droite qu’aux attaques rivales des étudiants communistes (PCF).

Son premier engagement le conduit dans l’été 1950 en Yougoslavie avec la Brigade de travail  : "14 juillet", du PCI, pour contribuer à la construction de la cité universitaire à Zagreb ; il s’agit de manifester le choix en faveur de Tito dans le conflit avec Staline, à l’encontre du PCF. En 1953, il est responsable du "travail entriste" pour le PCI dont il devient en 1955 membre du Comité central et du Bureau politique. Par entrisme donc, il entre au PCF en 1953 devenant secrétaire de la "cellule Saint-Just" qui compte plusieurs étudiants en histoire ; il côtoie Alain Besançon, Paul Boccara et Claude Mazauric ; identifié comme "trotsko-titiste", il est écarté des responsabilités. Instituteur en banlieue, notamment à Saint-Ouen en 1954, Denis Berger milite successivement dans plusieurs cellules du PCF.

Denis Berger situe au début de 1955, le moment de découverte de l’histoire du CRUA (comprenant M.Boudiaf*) qui avait lancé le soulèvement algérien, et de l’existence à Paris d’un noyau FLN. « Il a fallu un certain temps pour comprendre que le CRUA était un moment intermédiaire de préparation » et que le FLN avait pris la direction de la lutte armée. « Ce fut le critère de choix » confirme t-il dans son témoignage. « Simonne Minguet* m’a dit que, au début, la Fédération de France était un petit noyau, sans locaux, avec peu d’argent et pas d’armes. Ils avaient demandé au groupe trotskiste (ce qui était assez comique quand on connaît les moyens de celui-ci) d’essayer de se procurer des armes ». Les contacts sont encore ténus.

Avec la crise intellectuelle au PCF qui touche la jeunesse militante lors du vote en mars 1956 par les députés communistes des « pouvoirs spéciaux pour le maintien de l’ordre en Algérie », les petits groupes trotskystes contribuent à la critique interne de l’orientation du PCF sur son nationalisme français et sur son stalinisme, d’autant qu’ils sont éclairés sur l’histoire socialiste et disposent de leur doctrine de la dégénérescence de la révolution ouvrière en URSS. Deux bulletins sont porteurs de ce réveil de pensée marxiste dans le parti, Unir avec des anciens de la Résistance anti-nazie attentifs à la signification nationale de la rupture avec Tito et la Yougoslavie fédérale, et l’Etincelle plus ancré sur les changements de ligne du communisme mondial, sans parler des numéros de Voies nouvelles qui publie bientôt les articles de Maxime Rodinson sur la nation et sur le nationalisme arabe et au Maghreb.

En fait, il y a échanges d’idées et de textes au moment de la crise dite de la cellule Sorbonne-Lettres sur le vote des "pouvoirs spéciaux" autour de Victor Leduc*, Jean-Pierre Vernant, puis de l’intervention soviétique à Budapest. Un troisième bulletin, Tribune de discussion, joue le rôle intermédiaire. Les plus attachés au parti comme les géographes avec J. Dresch (voir au nom d’André Prenant*), et Victor Leduc* même, François Chatelet* et Henri Lefebvre, restent au Parti. Quelques vétérans et de plus jeunes se retrouvant à quelques dizaines sur la France, vont passer sous l’impulsion de Gérard Spitzer* venant du Secours Rouge International puis Secours populaire, à la formation d’un groupe prenant le nom de son périodique  : La Voie communiste.

Par conviction et par ouverture intellectuelle et internationaliste, Denis Berger cependant se montre plus sensible aux prises de position du courant adverse dans la IVe internationale, celui conduit par Pierre Franck* et l’économiste Ernest Mandel, qui prend fait et cause pour les luttes de libération et va prendre en compte le fait que l’insurrection algérienne est menée par le FLN. Denis Berger est aussi au contact à l’intérieur du PCI avec Félix Guattari, Anne Giannini, Gabriel Cohn-Bendit, Paul Sebag qui soutiennent la lutte algérienne et vont quitter le PCI en 1958. Finalement Denis Berger est exclu du PCI à la fin de 1958, et du PCF en 1960.

Par l’intermédiaire de Roger Rey* et de Simon Blumental*, ce groupe de La Voie communiste dont Denis Berger fait partie et dont l’animateur est Gérard Spitzer*, s’adonne au soutien du FLN pour les planques, les transferts d’argent et d’armes, la préparation d’évasions des emprisonnés. Côté algérien, la coordination relève d’abord de Moussa Kebaïli puis de Aït El-Hocine ; Bachir Boumaza est aussi partie prenante. C’est dans le montage et la réalisation d’évasions avec des échecs mais aussi au bénéfice de complicités entre camarades hommes et femmes, et en développant un cercle de relations politiques algériennes, que Denis Berger joue un rôle grandissant.

Après l’arrestation de M. Kebaïli, la DST le retient une semaine pour interrogatoires ; simulant à nouveau la maladie mentale, il s’en tire après une courte hospitalisation à l’Hôtel-Dieu. Les actions du groupe sont ralenties par l’arrestation de Gérard Spitzer* et la découverte des fonds du FLN ; mais une grande campagne est montée par le Comité Spitzer à travers pétitions, tracts, meetings, interventions internationales, marquant aussi le véritable début de l’engagement de J.-P. Sartre. Le groupe est mêlé aux actions du réseau Jeanson* de 1959 à 1960, et reprend des actions propres en 1961 comme ces transferts d’armes à Achères, cachées dans la maison de l’actrice Marina Vlady.

Trois affaires d’évasion n’ont pas le même dénouement. Le 24 février 1961, bien que Denis Berger ait laissé la corde se coincer trop en hauteur dans le mur, sans plus personne pour les recevoir, les prisonnières du réseau Jeanson (Hélène Cuénat*, Didar Fawzi*, M. Pouteau* et les autres) réussissent à se faire la belle. Par contre pour des sorties réussies de plusieurs combattants du FLN de la prison de Fresnes, celles de M. Boudiaf* et d’Ahmed Doum ne va pas à terme, puis les évasions des « historiques » du FLN du château de Turquant et après leur transfert, du château d’Aulnoy, ne sont pas accomplies ; il est vrai qu’en approchant de la conclusion des négociations, A. Ben Bella et M. Boudiaf jugent qu’il est préférable d’attendre l’heure de l’indépendance.

Le travail était aussi politique. Denis Berger participe à la formation des jeunes militants du FLN. Sous couvert de l’accord passé entre l’AGTA et la CGT, ce sont généralement des étudiants déjà politisés qui sont choisis ou des syndicalistes pensant au retour en Algérie dans l’UGTA. La CGT prête des locaux ; les discussions portent sur ce que sera le socialisme algérien ; dans le sillage de La Voie communiste, l’alliance se resserre avec Mohamed Boudiaf* et ses partisans pour constituer le PRS. « Sans regret » sur ce temps d’histoire, répond Denis Berger quand au 40e anniversaire de l’indépendance, on lui objectait ce que « l’Algérie était devenue ». Il venait de soutenir sa thèse de Sciences politiques mettant en examen ce qu’il était advenu du communisme.

En 1965, le groupe de La Voie communiste est rompu par le départ de Félix Guattari ; Denis Berger maintient un petit bulletin sous le nom de La Voie. Pour un temps, il rejoindra le PSU en 1971. Enseignant au département de Sciences politiques de Vincennes-Paris 8, avec Jean-Marie Vincent, il est partie prenante de ce milieu marxiste révolutionnaire qui publie des articles dans Critique communiste (sous les hospices de la Ligue communiste révolutionnaire), puis a sa propre revue  : Futur Antérieur. Denis Berger fut secrétaire du Comité Vietnam National et du Tribunal Russel contre les crimes de guerre.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article151623, notice BERGER Denis, pseudo Pierre-François [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 28 décembre 2013, dernière modification le 18 septembre 2022.

Par René Gallissot

Denis Berger
Denis Berger

ŒUVRE : Le spectre défait. La fin du communisme ? Paris, 1990. — avec Henri Maler, Une certaine idée du communisme. Répliques à François Furet, Paris, 1996. — Participation aux ouvrages collectifs  : traduction de Léon Trotsky, Défense du marxisme, EDI, 1972. — Que lire ? bibliographie de la révolution, EDI, 1975. — Marx ou pas ? réflexions sur un centenaire, EDI, 1983. — Permanences de la Révolution, La Brèche, 1989. — Femmes, Pouvoirs, Kimé, 1993. — Démocratie et Représentation, Kimé, 1995. — Marx après le marxisme, L’Harmattan, 1997. — Faire Mouvement, PUF, 1998.

SOURCES : S. Pattieu, Les Camarades des Frères. Trotskistes et libertaires dans la guerre d’Algérie. Syllepse, Paris 2002. — Témoignage de Denis Berger dans J. Charby, Les porteurs d’espoir. Les réseaux de soutien au FLN pendant la guerre d’Algérie  : les acteurs parlent. La Découverte, Paris 2004. — Notice Denis Berger par Michael Löwy dans DBMOMS, op. cit., t. 2, 2006.

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