BOEGLIN Jean-Marie [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né en 1928 à Châlons-en-Champagne ; militant des JC puis du PC, exclu en 1947, journaliste adhérent à la Fédération anarchiste de France, exclu en 1951 ; homme de théâtre, organisateur du réseau lyonnais d’aide au FLN, condamné par contumace ; à Alger à l’indépendance, co-fondateur avec Mohamed Boudia*, du Théâtre National Algérien ; revenu d’Algérie en France en 1982.

Dès l’âge de 15 ans, Jean-Marie Boeglin est entraîné dans la Résistance française contre l’occupation allemande ; son père, cheminot de base, est un responsable régional des FTP sous direction communiste ; il confie au tout jeune homme des missions de liaison. Après la Libération de la France, J-M. Boeglin devient comme naturellement communiste. En 1947, pour un article dans une revue locale affirmant que l’aliénation n’était pas seulement économique, il est exclu du PCF, pour anarchisme ; à l’époque l’orthodoxie stalinienne considérait l’idée d’aliénation comme une bévue idéaliste du jeune Marx.

J.-M. Boeglin adhère alors à la Fédération anarchiste de France ; il collabore notamment avec l’écrivain féru de théâtre, Benjamin Péret, en étant chargé de la page culturelle du Libertaire, la tribune de la Fédération. Il est exclu en 1951 pour marxisme. Hors parti, il restera donc marxiste libertaire, vivement engagé dans l’action anticolonialiste dans le milieu de l’action théâtrale populaire qu’il a choisi.

En 1951, actif au mouvement des Auberges de Jeunesse, il fait connaissance dans des rencontres internationales de jeunesse de Roger Planchon qui a déjà une troupe de théâtre à Lyon et dans ce groupe, de Mohamed Boudia* venu d’Alger pour être acteur et homme de théâtre, et déjà comédien et jeune militant. Ces amitiés et son propre engagement le conduisent à Villeurbanne où il s’emploie au Théâtre de la Cité que dirige Planchon, et à aider M. Boudia dans son militantisme de réseau de participation aux mouvements de libération à commencer par les luttes palestiniennes et bientôt ouverte, la lutte algérienne. M. Boudia est un activiste ; J.-M. Boeglin faisant fonction depuis 1956 d’administrateur du théâtre aux côtés de Roger Planchon, est le tisseur de toile, le gestionnaire des rencontres lors des déplacements, l’homme de ressources. Il est aussi instructeur national des Auberges de Jeunesses, ce qui élargit son champ d’action. La mort sous la torture à Grenoble d’un militant du FLN  : Kader, précipite encore son action.

À la faveur d’un déplacement de la troupe à Paris au théâtre Montparnasse, la liaison est établie avec le comédien Jacques Charby* ; à partir de 1957, les activités de soutien au FLN prennent une importance majeure dans les milieux du théâtre, de la littérature engagée et de l’action culturelle que coordonne le réseau Jeanson*. La région lyonnaise en est un pôle avec des contacts avec la Mission de France et les prêtres du Prado ; d’Aix-en-Provence où il enseigne, plus jeune, J-J. Brochier fait le pont avec l’autre pôle fort qui est marseillais. Pour le réseau Jeanson, une tâche essentielle est le convoyage des valises de billets de la collecte du FLN qui aboutissent ou plutôt transitent pour une grande part dans le coffre du théâtre de l’Odéon à Paris. En recourant aux transferts bancaires, le réseau Curiel simplifiera ce travail.

Du réseau Jeanson au réseau Curiel, J.-M. Boeglin veille à mieux assurer le cloisonnement. « Ainsi, il y avait un réseau protestant, un autre catholique, un réseau communiste en rupture avec le PCF, un réseau du PSU, et encore un réseau très important formé de francs-maçons. » Ce qui n’a pas empêché à l’automne 1960, les chutes sur Marseille et sur Lyon à travers les rencontres maintenues avec Monsieur Paul, Abdallah Younsi, le responsable du FLN qui avait été retourné. « À cause des renseignements donnés par « Paul », nombre d’Algériens sont tombés et ont fait des années de prison. Plus tard on saura que le traître avait d’abord été torturé avant qu’on ne lui propose un marché accompagné de chantages odieux ». La rafle enlève les proches ; Nicole et J.-J. Brochier*, Claudie Duhamel…, seront condamnés en avril 1961. Échappé de justesse, J.-M. Boeglin resserre un groupe qui se consacre aux évasions (projet par hélicoptère sur la prison du fort de Montluc où Robert Bresson avait tourné Un condamné à mort s’est échappé) ; les transports d’armes et de bombes ne sont pas exclus.

Dans son témoignage, Jean-Marie Boeglin revient sur ces actes risqués, au risque d’attentats aveugles. « On a reproché aux Algériens en lutte certaines de leurs méthodes » ; il répond en faisant écho au propos attribué à Larbi Ben Mehidi*  : « Il ne faut pas oublier que le terrorisme d’État pratiqué par une grande puissance militaire était bien plus terrible que celui des « bombes dans les couffins… Ce qu’il faut retenir de tout cela, c’est que la guerre est une chose épouvantable ».

Passant d’une cache à l’autre de Paris à Milan, il est condamné par contumace à dix ans de prison et à la privation des droits civiques. Il accompagne les quelques militantes évadées de La Roquette à Paris, dont Didar Fawzi-Rossano*, qui poursuivent l’action auprès des Algériens au Maroc, de Rabat à Oujda.

À l’indépendance à Alger, avec M. Boudia*, il porte à bout de bras l’établissement du Théâtre National Algérien. Renonçant à rentrer en France après l’amnistie en 1966, des "condamnés en liaison avec les événements d’Algérie", en contact avec Yacine Kateb*, acteur et animateur de théâtre, il demeure en Algérie ; il rentre en France en 1982.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article151646, notice BOEGLIN Jean-Marie [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 28 décembre 2013, dernière modification le 10 mars 2020.

Par René Gallissot

SOURCE  : Témoignage dans J. Charby, Les porteurs d’espoir. Les réseaux de soutien au FLN pendant la guerre d’Algérie  : des acteurs parlent. La Découverte, Paris, 2004.

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