BORKER Jules [Dictionnaire Algérie]

Par René Gallissot

Né le 10 mai 1919 en Lithuanie ; avocat à Paris depuis 1947, engagé par le PCF dans les collectifs d’avocats défendant les militants inculpés durant les guerres coloniales françaises d’Indochine et d’Algérie ; représentant communiste français au Comité Audin*, interdit de séjour en Algérie en 1960.

Les parents emmenant le jeune enfant de deux ans, quittent la Lithuanie pour la France, en 1921 après la révolution bolchevique donc, comme d’autres familles juives qui poursuivent l’émigration juive ancienne, à la fois économique par prolétarisation due à la crise de l’artisanat et de la boutique, et politique ; l’empire russe pratiquait un antisémitisme d’État qui assignait les minorités juives à résidence en Ukraine et en Lithuanie, et prêtait son concours policier aux pogroms. Tous les Juifs cependant n’optent pas pour la révolution soviétique. Graveur sur métaux, le père était venu de Russie en Lithuanie ; la mère était lithuanienne.

En région parisienne, le père travaille d’abord sur les marchés, en particulier au Kremlin-Bicêtre et à Villejuif, avant de pouvoir tenir une boutique, rue Quincampoix dans le vieux Paris. D’autant que l’antisémitisme gagne en violence à droite, les jeunes immigrés juifs, non sans sensibilité à ce qui se passe à l’Est et en URSS, sont attirés par le mouvement de Front populaire. À 20 ans, Jules Borker sans être adhérent, se trouve défendre les positions du Parti communiste, y compris sur le pacte germano-soviétique ; l’URSS, Staline et le PCF sont dans le même camp, celui de l’antifascisme. En 1940, il distribue des tracts aux côtés des communistes.

Jules Borker se lance dans des études de médecine qu’il commence à Toulouse et poursuit en urologie à Marseille, avant d’abandonner et de s’engager totalement au Parti communiste ; il se donne une formation d’ajusteur pour être vraiment ouvrier. Rapidement il est pris par la Résistance dans un groupe juif déjà à Toulouse, puis à Grenoble au contact avec le PCF, il devient responsable de Jeunes de la MOI (Main-d’œuvre immigrée, appellation tant de la CGT que du PCF).

Son point d’attache demeure Toulouse et le Secrétaire fédéral du PCF le pousse à suivre des études de droit. Après l’armistice de 1945, officier démobilisé, il peut faire son droit par correspondance que le PCF finance. Il prête serment d’avocat le 23 janvier 1947 ; après avoir travaillé comme juriste à la Fédération des locataires, il entre au cabinet de l’avocat communiste Fernand Plas, secrétaire du groupe parlementaire communiste. En désaccord financier, il ouvre son propre cabinet, boulevard Jean Jaurès dans l’Est populaire parisien. À son tour, il accueillera pour ses débuts, le jeune lauréat, brillant secrétaire du Stage, Jacques Vergès*, responsable communiste des Étudiants anticolonialistes et frère du communiste réunionnais Paul Vergès. À l’engagement communiste à la défense des condamnés de Madagascar, va succéder la formation d’un premier collectif de défense des militants contre la guerre d’Indochine ; c’est le début d’une association avec les autres avocats communistes Pierre Braun* et Henri Douzon*.

Cette assistance communiste en liaison avec le Secours populaire se poursuit face à la répression en France et en Algérie pour les militants tant nationalistes que communistes arrêtés pour leur soutien à la lutte de libération algérienne. Le collectif des avocats assure ce que l’on appelle dès 1955-1956, le pont aérien entre Paris et Alger. Sous l’impulsion de Jacques Vergès* qui critique le modérantisme communiste et le contrôle du PCF dont il reste cependant membre jusqu’en 1957, le FLN dirige son propre collectif d’avocats.

L’action communiste dans le premier collectif s’exerce par la participation fréquente de Pierre Braun* et Henri Douzon* et à moindre titre de Jules Borker. Celui-ci est chargé par le PCF de suivre le dossier Audin* ; il joue en quelque sorte le représentant du parti au Comité animé en particulier par Pierre Vidal-Naquet, très sourcilleux sur les sinuosités stratégiques de la ligne communiste, Michel Crouzet* qui entre en dissidence, et Madeleine Rebérioux, membre du PC s’appuyant sur le grand géographe Jean Dresch*, lui aussi camarade de parti, pour éviter les ruptures.

Jules Borker est un des avocats de Josette Audin* qui s’est adressée au PCF ; alors que Jacques Vergès* est interdit de séjour en Algérie depuis l’automne 1956 (affaire Djamila Bouhired), et Henri Douzon* depuis l’été 1958 (affaire du Casino de La Corniche), empêché de se rendre aux côtés de Josette Audin*, Jules Borker est à son tour interdit en mars 1960. Il est toujours présent au Comité Maurice Audin.

Dans les années 1960, Jules Borker est un des organisateurs des colloques de juristes de Royaumont (en région parisienne) qui suscite des rapprochements entre intellectuels de gauche. Sous les directives de Waldeck Rochet devenu secrétaire général du PCF, il joue les bons offices auprès de François Mitterrand, qui aboutissent à l’accord communiste sur sa candidature présidentielle unique en 1965. Il accomplit ensuite des missions internationales pour la défense d’Angela Davis, des victimes chiliennes de la répression militaire et pour d’autres causes pacifistes. Au service du PCF, il est l’avocat du journal l’Humanité.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article151652, notice BORKER Jules [Dictionnaire Algérie] par René Gallissot, version mise en ligne le 29 décembre 2013, dernière modification le 26 novembre 2020.

Par René Gallissot

SOURCES : Sharon Elbaz, « Solidarité judiciaire. L’action des avocats contre la répression coloniale », Aujourd’hui l’AFRIQUE, n° 82, décembre 2001. — Sylvie Thénault, La justice dans la guerre d’Algérie, thèse d’histoire, Université de Paris X-Nanterre, novembre 1999, entretiens reproduits en annexe. — Frédérick Génevée, Le PCF et la Justice des origines aux années cinquante  : organisation, conceptions, militants et avocats communistes face aux normes juridiques, thèse d’histoire, Université de Bourgogne, Dijon, 2003, éditée par les Presses universitaires de la Faculté de droit de Clermont-Ferrand, LGDJ, Paris, 2006, et notice Jules Borker, DBMOMS, op.cit., t. 2, 2006, par Frédérick Genevée. — Jacques Vergès, De la stratégie judiciaire, Minuit, Paris, 1968. — Mémoire autobiographique rédigé par Henri Douzon en 1967 et transmis par Sharon Elbaz, 72 p. dactylo.

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